Lever le voile sur les secrets d'État
Un autre problème entourant le couronnement a été le souhait
avoué du roi Charles d'introduire de la « transparence »
dans la partie la plus sacrée de la cérémonie en « levant le
voile » au moment où le monarque est oint par l'archevêque
de Canterbury. Il a fait savoir qu'il souhaitait permettre aux
caméras de filmer la partie la plus sacrée de la cérémonie,
celle qui est censée représenter l'onction du souverain choisi
par Dieu, créant ainsi un sentiment de révérence et de mystère
autour de la personne du roi. Avec tout le reste de l'apparat
médiéval, c'est la partie destinée à conférer au monarque, et à
l'autorité suprême qui lui est dévolue, la qualité de quelque
chose qu'il faut craindre. C'est par « sa relation avec Dieu »
qu'il devient le protecteur des « mystères de l'État »,
c'est-à-dire de tous les secrets auxquels le public n'a pas
accès parce qu'il s'agit de toutes les sales besognes réalisées
pour préserver l'État bourgeois.
Cependant, après de nombreux va-et-vient, l'annonce a été faite le 13 avril : « Le Roi a maintenant changé d'avis sur un élément de l'onction lors de son couronnement. » Le Royal News annonce que « le roi Charles III suivra la tradition des trente-neuf monarques couronnés avant lui à l'abbaye de Westminster et veillera à ce que la partie la plus sacrée de la cérémonie, l'onction, reste privée ».
En effet, le roi et le palais ont insisté sur ses liens à la chrétienté en rappelant que l'huile d'onction provient d'Israël. Le site officiel de la famille royale indique : « L'huile chrismale [huile parfumée à base d'olives] avec laquelle le roi et la reine consort seront oints, qui a été consacrée dans l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem en mars, sera contenue dans l'ampoule faite d'or et moulée sous la forme d'un aigle aux ailes déployées. L'huile est versée par une ouverture dans le bec. L'ampoule a été fabriquée pour le couronnement du roi Charles II en 1661 par le joaillier de la Couronne, Robert Vyner, et est basée sur un récipient antérieur plus petit, lui-même basé sur une légende du XIVe siècle dans laquelle la Vierge Marie est apparue à Saint Thomas à Becket et lui a présenté un aigle en or et une fiole d'huile pour oindre les futurs rois d'Angleterre. » (Thomas Becket est l'archevêque de Canterbury assassiné sur l'autel de la cathédrale le 29 décembre 1170 par des chevaliers d'Henri II parce qu'il refusait de donner au roi le pouvoir sur l'Église.)
Préparation de l'huile pour l'onction de Charles III lors du
couronnement
Dans son discours de Noël 2022, le roi Charles, debout dans la chapelle Saint-Georges du château de Windsor, a parlé de sa foi chrétienne, du fait qu'il se trouvait « si près de l'endroit où ma mère bien-aimée, la regrettée reine, repose », de sa foi en Dieu et de la sienne. Il a évoqué la nécessité de « faire briller la lumière dans le monde qui nous entoure » et a parlé de sa visite à Bethléem et à la basilique de la Nativité où « comme la Bible nous le dit, la lumière qui est venue dans le monde est née ».
Après la mort de sa mère, voulant créer l'image d'un personnage moderne, Charles a essayé de se faire couronner comme le défenseur « de toutes les religions » et « d'aucune religion ». Malgré cette tentative de s'insinuer dans les domaines des autres religions et même des athées c'était de toute évidence une cérémonie de l'Église d'Angleterre, en dépit de la présence de représentants d'autres religions reconnus lors du couronnement.
Néanmoins, le nouveau zèle de Charles à représenter « toutes les religions et aucune » s'inscrit dans la lignée du personnage néolibéral qu'il se donne en tant que chef d'État, censé représenter les personnes de toutes origines, religions et ethnies confondues au Royaume-Uni et dans tous ses « royaumes ». Le masque de « service » sert à vendre la fiction que la personne d'État représente les valeurs chères à tous les habitants des royaumes et que son interprétation de ces valeurs fait de lui l'unificateur, l'incarnation de ce que le peuple veut.
Il s'agit d'une fiction destinée à dissimuler le fait que le pouvoir suprême est détenu par une classe dirigeante qui prend des décisions fondées sur les mystères de l'État auxquels elle est la seule à avoir accès. Le « Nous » royal et le « Nous » du peuple doivent être compris comme l'ensemble des personnes qui se sont entendues pour être représentées par une personne d'État. Ainsi, quoi que dise la personne d'État, elle représente toujours le peuple. En même temps, le roi est oint pour représenter l'alliance des alliances, l'alliance entre Dieu et son peuple par laquelle Dieu fait du roi le révélateur de toute sa sagesse et le gardien de ses secrets, ce qui lui permet vraisemblablement de manier la puissante épée de la justice. Il est important de comprendre que s'il s'agit d'une fiction, cela ne signifie pas que ce pouvoir, le pouvoir suprême que représente la personne d'État, est simplement symbolique. Loin de là.
Le rôle du roi dans le gouvernement britannique
Il est important d'examiner la nature de la « démocratie du roi » et de l'ordre constitutionnel parlementaire auquel elle préside afin d'en tirer les conclusions qui s'imposent. Voici certaines questions pertinentes : comment le « Nous royal » devient-il « nous le peuple » ? Comment « notre souverain » devient-il « nous » ? En règle générale, rien de tout cela n'est discuté présentement.
Voici ce que disent la plupart des sources et cela ne nous éclaire pas beaucoup :
Officiellement, « le roi est le chef de l'État britannique, le plus haut représentant de toutes les nations de Grande-Bretagne sur la scène nationale et internationale ». Tous sont censés prêter serment d'allégeance au roi ou du moins le considérer comme la personne de l'État. Le premier ministre, que le roi nomme officiellement, est le « chef du gouvernement britannique » et parle au nom du roi et du gouvernement de Sa Majesté tant qu'il est en fonction.
Le roi rencontre le premier ministre une fois par semaine, reçoit chaque jour des boîtes de documents d'État à signer et reçoit des informations sur les affaires courantes. Il préside le Conseil privé des ministres du gouvernement, qui se réunit en moyenne une fois par mois. Le roi a officiellement son mot à dire dans la promulgation des lois au Parlement, tout comme le premier ministre et les quelques ministres qui rédigent les lois parlementaires de Westminster.
Depuis la mort de la reine, les membres des parlements
d'Angleterre, d'Écosse et du Pays de Galles, ainsi que les
militaires, de même qu'au Canada et dans d'autres pays
considérés comme les « royaumes du roi » où il est
également chef d'État, ont déjà dû prêter serment d'allégeance,
ou ont maintenu leur allégeance à la constitution qui consacre
Charles III en tant que roi et « commandant » des forces
armées. Cette mesure est censée garantir « la stabilité de
l'ordre constitutionnel ».
L'ordre constitutionnel, selon le juriste américain Mark Tushnet dans son livre de 2003 The New Constitutional Order, désigne « un ensemble raisonnablement stable d'institutions par lesquelles les décisions fondamentales d'une nation sont prises sur une période prolongée, ainsi que les principes qui guident ces décisions ». « Tant les institutions que les principes constituent un ordre constitutionnel. Ces institutions et ces principes donnent la structure au sein de laquelle se déroule la contestation politique ordinaire. [...] Sur le plan institutionnel, un ordre constitutionnel comprend le pouvoir exécutif, la cour suprême, les assemblées législatives et les partis politiques nationaux. Les principes constitutionnels ne peuvent être compris que dans le contexte des arrangements institutionnels qui existent et prévalent dans les autres branches du gouvernement national. Ils vont au-delà de la doctrine judiciaire et des interprétations juridiques et ne peuvent être véritablement compris que si l'on considère l'état de la société qu'ils régissent[1]. »
Vidéo musicale : Tom Robinson – The Mighty Sword of Justice
Note
1. The New Constitutional Order, Mark Tushnet, Princeton University Press, 2003
Cet article est paru dans
Volume 53 Numéro 6 - Juin 2023
Lien de l'article:
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