Le couronnement de Charles III le 6 mai
Un couronnement qui sonne le glas de la monarchie
Le couronnement de Charles III le 6 mai à l'abbaye de Westminster, à Londres, en Angleterre, a donné certaines indications du personnage que Charles veut se donner comme fiction. Il est le personnage qui joue dans une pièce dont il est également l'auteur. Le rôle qu'il s'est donné dans cette pièce est celui d'un homme dit « moderne », « progressiste » et « vert », pour qui le devoir des êtres humains est « d'être au service ». L'archevêque de Canterbury a entièrement consacré son homélie de trois minutes à ce thème du service.
En tant que chef d'État dans une monarchie constitutionnelle, le rôle assigné à Charles est d'incarner l'unité de la nation. À cette fin, il doit rester au-dessus des luttes de factions et servir la faction qui forme le gouvernement quelle qu'elle soit. Le problème évident est que le Royaume-Uni n'est ni uni (sauf par une loi résultant de l'utilisation de la force pour conquérir les nations soumises), ni une nation. C'est un État composé de l'Angleterre, de l'Écosse, du Pays de Galles et d'une partie de la nation divisée de l'Irlande, qu'il traite tous comme des « possessions ». De même, la relation entre le monarque et « ses royaumes et territoires » est acquise par la conquête et les arrangements constitutionnels qui ont fait du roi ou de la reine d'Angleterre le monarque de tous ces « royaumes et possessions ». L'« appartenance » de ces « royaumes et possessions » par le monarque est aussi fictive que l'idée que « leur monarque » est un facteur d'unité. C'est absurde.
Le système qui confère l'autorité suprême à la personne de l'État a été conçu à l'issue de la guerre civile anglaise, la tentative d'Oliver Cromwell d'établir une autorité publique n'ayant pas résolu le problème de la succession. Lorsqu'on parle de succession, il s'agit avant tout d'un système de gouvernement dans lequel le pouvoir suprême est transmis pacifiquement à ceux qui sont désignés pour gouverner selon les dispositions en vigueur au moment et à l'endroit où ils se trouvent.
En France et en Angleterre, la déclaration « Le roi est mort, vive le roi » (ou la reine, selon le cas) a été mise en pratique pour la première fois au XIIe siècle afin de s'assurer qu'il n'y ait pas de vide de pouvoir. C'était pour conjurer la guerre civile et la guerre pour le contrôle du territoire et de l'autorité spirituelle à un moment où le roi pourrait être absent, même pendant des années, à combattre dans des guerres à l'étranger, comme lors d'une croisade, par exemple. Les guerres entre intérêts conflictuels étaient constantes en Europe au Moyen-Âge. La guerre de Cent Ans est une série de conflits armés entre les royaumes d'Angleterre et de France vers la fin du Moyen Âge. Elle trouve son origine dans les prétentions de la maison anglaise des Plantagenêt et de la maison française des Valois au trône français. Elle a duré 116 ans, de 1337 à 1453, les Anglais tentant de récupérer le duché d'Aquitaine et d'autres terres et de revendiquer la royauté de la France. De l'avis général, ces guerres ont été incroyablement féroces. Selon une description pittoresque qu'on retrouve, lorsque les personnes enrôlées pour combattre dans l'un ou l'autre camp « n'étaient pas massacrées par des flèches tombant du ciel, les soldats étaient tailladés ou frappés à mort par des épées, des haches et des marteaux ».
Aujourd'hui, outre la succession héréditaire des rois et des reines dans les pays où les monarques font encore office de chefs d'État, une succession ordonnée est censée être garantie par le système des élections dans ce qu'on appelle une démocratie représentative. Conformément à la thèse de l'alliance adoptée au XVIIe siècle pour sortir l'Angleterre de la guerre civile, « le peuple » appartient à un État-nation représenté par un chef d'État, soit un monarque héréditaire, soit un président, qui exerce l'autorité suprême et qui, à son tour, est censé le représenter. Cette thèse a fait de l'État-nation européen le modèle adopté ou imposé à tous les pays du monde depuis. À moins qu'un système de gouvernement et de règles ne soit délibérément établi sans se fonder sur la thèse de l'alliance, c'est le monarque ou le chef d'État qui écrit l'histoire de ce qu'il/elle représente – une histoire mise en oeuvre par le biais d'une constitution formelle ou d'une convention constitutionnelle, ou les deux à la fois. Ils définissent ce qu'on appelle les institutions démocratiques et le processus démocratique.
Ce n'est pas le peuple au nom duquel ils parlent qui écrit quoi que ce soit, décide quoi que ce soit ou contrôle quoi que ce soit, parce que le peuple remet son autorité à des représentants. À cet égard, les élections censées lui assurer une représentation sont en fait le moment où sa dépossession du pouvoir est consommée. Son vote autorise d'autres personnes à le représenter, c'est-à-dire à parler et à agir en son nom. En outre, parce que le peuple a conclu un pacte pour créer cette personne d'État et être représenté par elle, ce qu'elle représente est ipso facto ce qu'il veut – et c'est tout. Lorsque le peuple élit un « représentant » pour « agir en son nom », ce représentant représente le monarque, à qui il prête allégeance, ce qui signifie que le représentant doit être une représentation de la représentation du pouvoir suprême représenté par le monarque.
Selon la convention du « roi (ou de la reine) au Parlement », ainsi que dans le cas d'une république, la souveraineté – le pouvoir de décision – est dévolue à l'assemblée législative qui est censée représenter le peuple – les communes – et limiter les pouvoirs autrement illimités du chef de l'État. Le monarque est censé représenter le peuple uni sur la base des valeurs transmises par Dieu et n'est que symbolique.
Malgré cela, il n'y a rien de symbolique dans le système mis en place pour faire respecter ces valeurs, dans lequel la personne du monarque joue un rôle qui fait partie intégrante de tous les aspects de la vie – de la frappe de la monnaie à la nomenclature de la topographie, des rues, des villes, des cités et des provinces, à la signature de chaque loi sans laquelle elle ne peut être appliquée, au commandement des forces armées, à la façon dont les questions de crime et de châtiment sont pesées dans la balance de la justice, et ainsi de suite. Les membres du parlement s'engagent à représenter le monarque ou, dans le cas des États-Unis et d'autres républiques, et maintenant du Québec, « le peuple » ou « la constitution ». La question est donc de savoir ce que représente la constitution, comment elle définit le « peuple », qui constitue le « peuple » et ce que le « peuple » est censé représenter.
Le grave problème aujourd'hui est que les élections ne garantissent plus une transition ordonnée du pouvoir. Si le système électoral d'une démocratie représentative a pour but de dépouiller le peuple du pouvoir en le forçant à remettre son autorité à ceux qui représentent le monarque ou le chef d'État, aujourd'hui le peuple voit clairement qu'il n'a aucun rapport avec le processus. Les élections sont conçues pour former un gouvernement de parti et, aujourd'hui, les partis sont des organisations mafieuses, avec omerta et tout le reste, qui forment des cartels pour écarter du pouvoir ceux qui ne font pas partie de leurs clubs exclusifs. Ils sont façonnés par des oligopoles qui sont payés pour former des partis, les diriger, créer des thèmes, attaquer les autres candidats à l'élection, etc. Il s'agit d'énormes machines électorales qui contrôlent les médias, les tribunaux, le pouvoir judiciaire, le processus électoral, tout cela pour semer la désunion et créer les guerres civiles. La rivalité entre les factions est telle aujourd'hui qu'elles ne reconnaissent plus ce qu'on appelait autrefois « les règles du jeu » ou qu'elles les manipulent d'une manière si intéressée que les personnes qu'elles prétendent représenter ont depuis longtemps cessé de se voir représentées par elles. « Pas en mon nom », « pas dans ma communauté », « pas ma démocratie », « pas mon roi » sont autant d'affirmations qui vont dans ce sens.
Les partis du cartel dans les assemblées législatives font partie intégrante des oligopoles qui ont usurpé le pouvoir de décision par suite de la privatisation de l'État lui-même. Ces oligopoles interviennent dans le domaine politique sous la forme de cartels et de coalitions qui influencent les décisions des États. Leurs luttes de factions échappent au contrôle des formes existantes adoptées il y a 400 ans pour les contenir. Les manigances au sein du Parlement britannique pendant et après le Brexit en témoignent, tout comme le niveau élevé d'anarchie et de violence qui fait des ravages aux États-Unis, où il n'y a absolument aucun consensus sur ce que représente la Constitution, et encore moins sur ce qui constitue « Nous, le peuple ».
L'insurrection qui a eu lieu aux États-Unis le 6 janvier 2021 lors de la session du Congrès destinée à confirmer l'élection du nouveau président semble loin d'être terminée, même si la machine électorale qui présente l'actuel président des États-Unis à la réélection utilise le pouvoir judiciaire pour transformer ses rivaux en hors-la-loi. Le niveau de corruption sans précédent observé dans l'utilisation des prérogatives des présidents, des juges de la Cour suprême et des ministres et, au Canada, la promulgation constante de lois au niveau fédéral et provincial pour donner aux ministres le « droit » d'agir en toute impunité au service d'intérêts privés étroits ne sont que quelques exemples de personnes d'État et de ministres qui revendiquent des mandats en dépit d'élections qui ne sont pas perçues par le peuple comme conférant des mandats de quelque nature que ce soit.
Aujourd'hui, nous voyons une faction briser les limites imposées aux pouvoirs de police par la Constitution au nom du maintien de l'ordre constitutionnel quand il faut assurer une transition pacifique du pouvoir. Nous voyons des factions rivales attaquer directement les Constitutions afin de supprimer les limitations qu'elles imposent aux pouvoirs de police exercés par les chefs d'État et les ministres. Dans cet ordre d'idées, Charles III s'est également fixé pour objectif de briser les limitations qui lui ont été imposées jusqu'à présent par la convention du roi au Parlement et le rôle prétendument symbolique qu'il est censé jouer. Il estime manifestement qu'il est nécessaire de prendre le taureau par les cornes pour défendre les « valeurs unificatrices » qu'il représente en tant que personne de l'État britannique. Il n'a eu de cesse de dire à qui veut l'entendre que les valeurs qu'il défend sont les valeurs des uns et des autres, parce qu'il est leur représentant et qu'ils doivent le reconnaître comme tel s'ils veulent la stabilité de l'ordre constitutionnel.
Lorsque les valeurs que l'État représente ne sont pas perçues par le peuple comme étant celles qu'il défend, que faut-il faire ? Comment forcer un peuple à accepter quelque chose qui est contraire à sa conscience ? L'idée de faire les choses au nom du « plus grand bien » a été abusée une fois de trop. Elle a été piétinée dans la boue une fois de trop. On a demandé aux citoyens de sacrifier leurs intérêts au nom du « plus grand bien » et on leur a fait porter le fardeau en regardant les riches s'enrichir à leurs dépens, une fois de trop. Ils sont de plus en plus nombreux à ne plus vouloir renoncer à leur conscience au nom du « plus grand bien ». De quel bien supérieur s'agit-il, qui convainc le peuple de l'admirer et de considérer qu'il est de son devoir d'« obéir » ?
Le couronnement de Charles III et de son épouse Camilla était une manifestation tellement sordide du pouvoir et des privilèges que seule une très minuscule minorité pouvait s'y reconnaître. Le message qu'il véhiculait sur le service et le volontariat en lieu et place d'une société moderne qui reconnaît l'égalité d'appartenance de tous et le droit de tous de prendre les décisions qui affectent leur vie ne peut pas résoudre le problème de l'incapacité de l'État à répondre aux besoins de la population. L'étalage de la richesse de la famille royale et de ceux qui sont considérés comme ses « pairs » et ce qu'ils font pour protéger cette richesse, est un affront à la conscience moderne. Entretmps, que les institutions de l'autorité publique qui sont censées s'occuper du peuple ont été détruites ou ne fonctionnent plus, met en pièces la fiction de la personne de l'État et les arrangements constitutionnels qu'elle est censée préserver.
Loin que la « tradition » préserve la stabilité de l'ordre constitutionnel, la classe dirigeante détruit d'elle-même l'ordre constitutionnel. Elle détruit les limites imposées à ses propres prérogatives et, ce faisant, le pouvoir est abandonné aux pouvoirs de police qui opèrent au-dessus de la règle de droit. En outre, elle applique les limitations constitutionnelles qui ont été conçues dès le départ pour garder le peuple sous contrôle en imposant des « limites raisonnables » à ses droits et libertés. Ces limitations ont donné naissance à ce qu'on appelait depuis le XIXe siècle une autorité publique fondée sur la philosophie utilitariste du « plus grand bien pour le plus grand nombre ». Des arguments intéressés concernant la sécurité nationale ont maintenant resserré ces limites pour justifier la diffamation, la criminalisation, la marginalisation et même l'interdiction de ceux qui s'expriment en leur propre nom et dont on dit qu'ils déstabilisent l'ordre constitutionnel. Les interventions directes de Charles dans les affaires de l'État ne rendront pas la monarchie et sa conception fondamentalement élitiste modernes ou acceptables.
Le couronnement de Charles III et de son épouse, loin de représenter un nouveau départ pour la monarchie, en a sonné le glas. La voie du renouveau démocratique et d'une constitution moderne peut commencer par l'abolition de la monarchie dans le but d'établir un système qui confère la souveraineté au peuple, telle qu'elle est définie par le peuple lui-même sur une base démocratique de masse.
Note
Cet article est paru dans
Volume 53 Numéro 6 - Juin 2023
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