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Il est grand temps que le Régime de retraite des enseignantes et enseignants de l'Ontario se sépare de l'entreprise antisyndicale Stone Canyon Industries Holding Inc.

– Enver Villamizar –

Le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario (RREO) a modifié sa représentation au sein du conseil d'administration de Stone Canyon Industries Holdings Inc., composé de huit personnes, depuis que ses actionnaires – les enseignantes et enseignants de l'Ontario – ont exprimé des inquiétudes au sujet de ses investissements dans cette entreprise antisyndicale[1]. Michelle Lung a remplacé Ashfaq Qadri, qui était membre de l'équipe des actions du RREO.

Michelle Lung est comptable professionnelle agréée (CPA) et évaluatrice d'entreprise agréée (CBV) en Ontario. Elle est directrice de l'équipe Private Capital Global Funds et travaille au RREO depuis 2014. Selon sa biographie sur le site web de Stone Canyon, « elle a participé à la création, à l'évaluation, à l'exécution ainsi qu'au suivi et à la gestion post-investissement de nombreux investissements de fonds. Auparavant, elle a travaillé en tant que associée principale chez PwC dans les groupes Consulting & Deals et Audit ». Michelle Lung est diplômée de l'Université de Toronto.

Les CPA de l'Ontario sont liés par le code de déontologie des CPA, qui exige des membres et des cabinets qu'ils agissent dans l'intérêt du public. Le code stipule que « la confiance du public dans des rapports financiers et de gestion sains et équitables et dans des conseils compétents sur les affaires commerciales – et l'importance économique de ces rapports et conseils – imposent ces obligations spéciales à la profession ». À ce titre, ses membres doivent « éviter toute action susceptible de discréditer la profession ». Selon le code, « les membres et les entreprises doivent faire preuve de franchise, d'honnêteté et de loyauté dans toutes leurs relations professionnelles ».

Le code de déontologie contient des lignes directrices permettant de déterminer si un comportement est éthique ou non. Quelles que soient les normes juridiques en vigueur pour déterminer la faute déontologique, du point de vue d'une majorité d'enseignants de l'Ontario, le démantèlement de syndicats constitue sans aucun doute une faute éthique.

Officiellement, lorsqu'un membre est confronté à un « conflit éthique », il est tenu de prendre en compte les éléments suivants :

- les faits pertinents;
- les questions déontologiques en jeu;
- les principes fondamentaux et les dispositions du code du CPA applicables à l'affaire en question;
- les procédures internes établies;
- les autres recours possibles[2].


Une délégation d'enseignants et de travailleurs de l'éducation retraités du Greater Essex sur le piquet de grève de Sel Windsor le 24 avril 2023

Les dirigeants de Stone Canyon

Plusieurs des principaux dirigeants de Stone Canyon, notamment son coprésident et son codirecteur général, son président et ses deux premiers vice-présidents, étaient auparavant employés par une société appelée Knowledge Universe (KU), fondée en 1996 et détenue par Michael Milken après qu'il a été libéré de prison et qu'il n'a plus été autorisé à effectuer des opérations sur titres.

Michael Milken est le célèbre financier américain qui a été reconnu coupable et condamné à une peine de prison en 1990 pour avoir enfreint les lois sur les valeurs mobilières et qui a été privé de son droit d'exercer une activité dans le secteur des valeurs mobilières. « Il est connu pour son rôle dans le développement du marché des obligations à haut rendement ('junk bonds'), ainsi que pour sa condamnation à la suite d'un plaidoyer de culpabilité pour violation des lois américaines sur les valeurs mobilières », indique Wikipedia[3], qui ajoute que « Milken a été inculpé de racket et de fraude en matière de valeurs mobilières en 1989 dans le cadre d'une enquête sur un délit d'initié. Dans le cadre d'un accord de plaidoyer, il a plaidé coupable de violations des lois sur les valeurs mobilières et les rapports, mais pas de racket ni de délit d'initié. Milken a été condamné à dix ans de prison, à une amende de 600 millions de dollars (bien que son site web personnel revendique 200 millions de dollars) et à une interdiction permanente d'exercer dans le secteur des valeurs mobilières par la Securities and Exchange Commission (Commission des valeurs mobilières et des opérations boursières). Sa peine a ensuite été réduite à deux ans pour avoir coopéré au témoignage contre ses anciens collègues et pour bonne conduite. Milken a été gracié pour ses crimes par le président Donald Trump le 18 février 2020. »

Le juge qui a prononcé la sentence pour les crimes de Milken a déclaré à l'époque : « Lorsqu'un homme aussi puissant que vous dans le monde de la finance, à la tête du département le plus important de l'une des plus importantes banques d'investissement de ce pays, conspire de manière répétée pour violer, et viole, les lois sur les valeurs mobilières et les lois fiscales afin d'obtenir plus de pouvoir et de richesse pour lui-même et ses riches clients, et commet des crimes financiers qui sont particulièrement difficiles à détecter, une peine de prison significative est nécessaire. »

En réponse à sa condamnation, Michael Milken aurait déclaré : « Ce que j'ai fait n'a pas seulement violé la loi, mais aussi tous mes principes et toutes mes valeurs. Je le regrette profondément et je le regretterai pour le reste de ma vie. Je suis vraiment désolé. »

En ce qui concerne les détails de l'affaire, le New York Times a indiqué que la juge pensait que l'ancien financier avait tenté d'empêcher les enquêteurs de découvrir ses crimes en suggérant à ses subordonnés de se débarrasser de documents importants. Elle a également déclaré qu'elle pensait que Michael Milken avait induit un client en erreur. Lors du prononcé de la sentence, elle aurait déclaré à l'accusé : « Vos crimes témoignent d'une tendance à contourner la loi, à passer du mauvais côté de la loi dans le but apparent d'obtenir certains des avantages liés à la violation de la loi sans courir un risque substantiel d'être pris en flagrant délit. »

La rémunération de Michael Milken, alors qu'il dirigeait le département des obligations à haut rendement chez Drexel Burnham Lambert à la fin des années 1980, a dépassé 1 milliard de dollars sur une période de quatre ans, un record pour un revenu américain à l'époque. Avec une valeur nette de 6 milliards de dollars en 2022, il fait partie des personnes les plus riches du monde.

KU, l'entreprise fondée par Milken et qui a employé plusieurs des principaux administrateurs de Stone Canyon, détenait un grand nombre de filiales liées à l'enseignement privé en personne et en ligne, dont KinderCare Learning Centers, le plus grand fournisseur de services de garde d'enfants à but lucratif des États-Unis. KU a vendu ses filiales en 2015, juste après la création de Stone Canyon en 2014. Forbes a rapporté en 2017 que le siège de Stone Canyon se trouve à la même adresse de Santa Monica que l'Institut Milken. Stone Canyon Industries a été enregistrée auprès du secrétaire d'État de Californie en 2014 par Stanley Maron, l'avocat de longue date de Milken. Un porte-parole de Michael Milken qui a parlé à Forbes en 2017 a admis que Milken était un investisseur dans Stone Canyon, mais a minimisé son influence en déclarant : « Des dizaines d'entreprises investissent l'argent de Mike et il n'est pas impliqué dans leurs décisions d'investissement, ne les contrôle pas et ne siège pas à leur conseil d'administration. »

Outre ses liens évidents avec un partisan notoire de l'enseignement privé et un criminel condamné, bien qu'aujourd'hui gracié par Donald Trump, Stone Canyon a des liens directs certains avec l'État américain. Il est donc probable que le contrôle du sel par Stone Canyon, qui est une ressource naturelle stratégique du Canada, soit supervisé par des fonctionnaires d'un gouvernement étranger ayant intérêt à mettre en oeuvre des activités anti-travailleur et antisociales. Mark Weinberger, ancien président mondial d'Ernst and Young, aujourd'hui EY, figure sur la page « Leadership » en tant qu'unique conseiller principal.

Mark Weinberger est l'ancien sous-secrétaire du département du Trésor américain (politique fiscale) dans l'administration de George W. Bush. Il a ensuite été nommé par le président Clinton au conseil consultatif de l'administration de la sécurité sociale. Il a ensuite été membre du groupe de travail sur les infrastructures du président Obama et a fait partie de l'ancien forum stratégique et politique du président Trump, composé de 15 PDG chargés d'aider Donald Trump à mettre en place un programme qui profite aux riches. Il a également travaillé au Sénat américain en tant que membre du Conseil des affaires internationales et a été un responsable de l'agenda mondial pour le progrès économique du Forum économique mondial. Il a coprésidé le Conseil consultatif pour les investissements étrangers en Russie (FIAC) avec le premier ministre russe de l'époque, Dmitri Medvedev, et a été président du Conseil consultatif des chefs d'entreprise internationaux (IBLAC) auprès du maire de Shanghai. Il a également été conférencier à l'Institut Milken.

Mark Weinberger a également siégé au conseil d'administration de Johnson & Johnson et de MetLife. Il est actuellement conseiller principal auprès de Teneo, l'une des plus grandes sociétés de relations publiques au monde, qui engage des hommes politiques pour offrir des « conseils stratégiques aux PDG et aux cadres des plus grandes entreprises du monde », ainsi que conseiller stratégique auprès du conseil d'administration de FCLTGlobal, qui se spécialise dans « l'investissement à long terme et la gouvernance d'entreprise »[4]. Mark Weinberger fait partie du conseil consultatif des PDG de JUST Capital, qui se présente comme « un organisme indépendant à but non lucratif qui se consacre à la construction d'une économie qui fonctionne pour tous les Américains en mesurant et en améliorant les rendements des entreprises en matière de gouvernance... ». Elle dit classer les entreprises « en fonction des questions qui préoccupent le plus les Américains... ». Il siège au conseil d'administration du National Bureau of Economic Research (NBER) des États-Unis, est conseiller principal auprès de Chief Executives for Corporate Purpose (CECP) et membre de l'Aspen Economic Strategy Group.

Le CECP se présente comme « un conseiller de confiance pour les entreprises qui s'engagent dans la voie de la raison d'être d'une entreprise afin de créer une valeur durable à long terme ... ». Il « partage des informations exploitables avec sa coalition dirigée par des PDG afin de répondre aux besoins des parties prenantes »[5].

Son conseil consultatif compte l'ancien ambassadeur itinérant des États-Unis Henry A. Crumpton, dont la biographie indique qu'il est « un vétéran de 24 ans du service clandestin de la CIA, qui a travaillé sur le terrain à l'étranger, y compris en tant que chef de poste, pendant la plus grande partie de sa carrière ». Il est intéressant de noter que sa biographie indique qu'il est toujours ambassadeur itinérant à ce jour. En 2001, après les attentats du 11 septembre, il a été responsable de la gestion quotidienne de la guerre criminelle menée par les États-Unis en Afghanistan pendant sa première année, selon Wikipedia[6]. Cette guerre, à laquelle a participé le Canada, a détruit le pays et qui se poursuit encore aujourd'hui.

De 2003 à 2005, Crumpton a été le chef de la division des ressources nationales de la CIA, responsable de toutes les opérations des services clandestins aux États-Unis [notre souligné], à une époque où les États-Unis torturaient ouvertement des prisonniers sur leurs bases militaires. En 2005, au plus fort de la « guerre contre la terreur » lancée par le président américain George W. Bush – plus justement appelée « guerre de la terreur » – Bush a nommé Henry A. Crumpton coordinateur américain pour la lutte contre le terrorisme au département d'État, avec le rang d'ambassadeur itinérant. Cette nomination lui confère, entre autres, l'immunité diplomatique.

Dans l'ensemble, étant donné les activités antisyndicales de Stone Canyon à Sel Windsor et ses liens avec les pires éléments du gouvernement et de l'establishment américains, il ne serait pas exagéré de conclure qu'il est grand temps que le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario se désengage de Stone Canyon Holdings et trouve quelque chose de prosocial, et non d'antisocial, à faire avec l'argent de la pension des enseignants.

Notes

1. Pour en savoir plus sur les préoccupations des enseignants concernant les investissements de leur régime de retraite dans SCIH, voir les articles suivants sur EmpowerYourselfNow.ca : Teachers Pension Plan Major Investor in US Company Attacking Windsor Salt Workers, Union-busting in Canada by U.S. Law Firm Jackson Lewis, Teachers Raise Concerns About Having a Say Where Pension Funds Are Invested.

2. Voir le texte intégral du code de déontologie

3. « Michael Milken », Wikipedia

4. Selon Wikipedia, Teneo est une société privée de conseil et de relations publiques fondée en juin 2011 par Declan Kelly, Paul Keary et Doug Band. Basée à New York, elle compte actuellement plus de 1 450 employés répartis dans 40 bureaux. En 2019, Teneo a vendu une participation majoritaire à CVC Capital Partners, pour une valorisation totale d'environ 700 millions de dollars. Ses filiales comprennent notamment Teneo Strategy Consulting LLC, et WestExec Advisors. Son site web confirme ce qui suit :

« L'offre de Teneo en matière de gouvernement et d'affaires publiques fournit des conseils stratégiques et une exécution tactique aux dirigeants d'entreprises importantes et complexes pour leur permettre de naviguer dans des paysages politiques volatils. Notre équipe de spécialistes chevronnés possède une expertise approfondie des principales priorités politiques du Québec, de l'Ontario et du gouvernement fédéral.
« Notre équipe de conseillers en affaires gouvernementales et publiques fournit des renseignements politiques issus de la compréhension approfondie de la dynamique politique et des réseaux inégalés de nos experts, développés au fil des décennies sur tous les grands marchés. Elle fournit des conseils stratégiques aux PDG et aux cadres des plus grandes entreprises du monde. »
L'un de leurs conseillers principaux en matière de gouvernement et d'affaires politiques « naviguant dans la volatilité géopolitique » est l'ancien premier ministre du Canada Brian Mulroney.

5. Selon le site web du CECP : « Fondé en 1999 par l'acteur et philanthrope Paul Newman et d'autres chefs d'entreprise, le CECP est un mouvement regroupant plus de 200 des plus grandes entreprises du monde qui représentent 7,7 billions de dollars de revenus, 37,4 milliards de dollars d'investissements communautaires, 14 millions d'employés, 22,5 millions d'heures d'engagement des employés et 21 billions de dollars d'actifs sous gestion. Le CECP aide les entreprises à transformer leur stratégie en leur proposant des analyses comparatives, des réunions, des stratégies et des communications dans les domaines de l'investissement sociétal/communautaire, de l'engagement des employés, de la gouvernance environnementale et sociale/des affaires durables, de la diversité et de l'inclusion, ainsi que de la communication.

6. « Henry A. Crumpton », Wikipedia


Cet article est paru dans
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Volume 53 Numéro 5 - Mai 2023

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