Le Canada isolé lors du débat du Conseil de sécurité sur le multilatéralisme efficace

– Hilary LeBlanc –

Sous la présidence de la Fédération de Russie, la 9308e session du Conseil de sécurité des Nations unies s'est tenue le 24 avril avec un ordre du jour sur le thème « Maintien de la paix et de la sécurité internationales : un multilatéralisme efficace reposant sur la défense des principes consacrés dans la Charte des Nations unies ». La principale caractéristique de ce débat du Conseil de sécurité a été le rôle actif joué par de nombreux États membres de l'ONU qui se battent pour défendre et moderniser les principes de la Charte de l'ONU. Le Canada, quant à lui, a offert une performance infantile pitoyable en répétant de fausses croyances idéologiques usées et en n'abordant pas, même de loin, la réalité concrète à laquelle les Nations unies et le monde sont confrontés.

L'ambassadeur du Canada, Bob Rae, emboîtant le pas aux États-Unis, a déclaré que la Fédération de Russie croit qu'elle est un défenseur fidèle des principes de la Charte des Nations unies, et en même temps, elle croit qu'elle « croît pouvoir s'affranchir de ses principes quand elle le souhaite, que ce soit en Ukraine, en Syrie ou contre son propre peuple ». La Fédération de Russie, a-t-il dit, agit comme si elle était au-dessus de la loi. Il a vanté le mandat d'arrêt illégal et futile émis par la Cour pénale internationale contre le président russe Vladimir Poutine pour la déportation massive et forcée présumée d'enfants ukrainiens depuis février 2022, affirmant que cela démontre que « nul n'est au-dessus des lois ».

Selon Bob Rae, le monde est confronté à une détérioration aussi prononcée de la sécurité mondiale parce que la Russie a lancé une invasion à grande échelle et une guerre d'agression contre l'Ukraine (et non à cause de la guerre des États-Unis contre le terrorisme et de tous les crimes d'agression, sanctions et violations du droit international et des droits humains qu'ils ont commis avec leur coalition de volontaires ou non). Il a déclaré que si la Fédération de Russie proteste contre l'imposition du principe selon lequel la force prime le droit, « c'est pourtant ce qu'elle fait en Ukraine ». En outre, elle « utilise son droit de veto pour bloquer l'action visant à maintenir la paix et la sécurité internationales », a-t-il ajouté. Se moquant de la vérité, Bob Rae a déclaré que « les actions de la Russie coûtent cher à l'ensemble du monde ».

Selon l'agence de presse de l'ONU, Bob Rae a indiqué que « les prix des denrées alimentaires et de l'énergie ont grimpé en flèche et que les marchés mondiaux ont été ébranlés ». Aucune mention des spéculateurs que les États-Unis abritent ou des oligopoles alimentaires et autres qui s'entendent pour augmenter les prix dans les supermarchés et autres. Reprenant la rengaine des États-Unis et de l'OTAN selon laquelle certains pays, en défendant le principe de leur souveraineté, violent les droits humains, Bob Rae a déclaré qu'il était important que la Charte soit lue dans son ensemble, et non de manière sélective, ajoutant que la Charte englobait pleinement les droits humains, l'égalité des genres et la nécessité de la solidarité sociale et du développement économique. Bob Rae devrait peut-être suivre son propre conseil, mais son intention a été révélée lorsqu'il a déclaré qu'il ne s'agit pas simplement d'une célébration de la souveraineté nationale et qu'il n'avait pas la nostalgie d'un monde divisé en sphères d'influence ou en blocs de pouvoir. « Nous voulons continuer à bâtir une ONU qui saura relever les défis d'aujourd'hui et de demain », a-t-il dit.

Selon sa logique, si tout le monde se plie à ce que disent et veulent les États-Unis, le monde ne sera pas divisé en « sphères d'influence ». Il n'y aura que les intérêts des États-Unis et de personne d'autre. Le raisonnement de Bob Rae est pitoyable et infantile et n'aborde pas la question qui nous occupe, à savoir, comment régler les différends par des moyens pacifiques. Cela impliquerait nécessairement de rejeter la façon dont les États-Unis (et leurs alliés) recourent à la force, aux menaces, à la politique de la corde raide et aux provocations pour évaluer la force de leurs adversaires et déterminer les armes qu'ils déploieront contre eux. L'arrogance de « l'homme blanc » des États-Unis et du Canada, dont Bob Rae est le porte-parole à l'ONU, est méprisable. Elle découle du refus de discuter de quoi que ce soit avec le peuple canadien ou avec les États membres de l'ONU.

La Fédération de Russie, conformément à l'article 37 du Règlement intérieur provisoire du Conseil de sécurité, a invité les représentants des pays suivants à participer à ce débat : Australie, Azerbaïdjan, Arménie, Bahreïn, Biélorussie, République bolivarienne du Venezuela, Vietnam, Égypte, Inde, Indonésie, République islamique d'Iran, Canada, Colombie, Cuba, Koweït, République démocratique populaire lao, Liban, Malaisie, Maroc, Mexique, Népal, Pakistan, République de Corée, Singapour, République arabe syrienne, Sierra Leone, Thaïlande, Turkménistan, Turquie, Uruguay, Philippines, Éthiopie et Afrique du Sud.

S'exprimant au nom de la Fédération de Russie, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a tout d'abord déclaré que la défaite de l'Allemagne nazie « a jeté les bases de l'ordre international d'après-guerre. La Charte des Nations unies en a constitué le fondement juridique et notre organisation, incarnant un véritable multilatéralisme, a assumé un rôle central de coordination dans la politique mondiale ». Aujourd'hui, a-t-il ajouté, « notre système centré sur l'ONU traverse une crise profonde ». La raison principale en est que certains membres de l'ONU s'efforcent de remplacer le droit international et la Charte des Nations unies par une sorte d'ordre « basé sur des règles », a-t-il déclaré, ajoutant qu'elles sont appliquées « pour contrecarrer les processus naturels de formation de nouveaux centres de développement indépendants qui sont la manifestation objective du multilatéralisme ».

Pour illustrer son propos, Sergueï Lavrov a cité de nombreux exemples bien connus de mesures unilatérales illégales, comme les sanctions visant à priver des pays de l'accès aux technologies modernes et aux services financiers, à les exclure des chaînes d'approvisionnement, à saisir leurs biens, à détruire leurs infrastructures essentielles, etc. Il a ajouté que les États-Unis, avec leurs « Sommets pour la démocratie, le Partenariat mondial sur l'intelligence artificielle, la Coalition mondiale pour la liberté des médias et l'Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace », contrecarrent délibérément les discussions sur ces questions sous les auspices des Nations unies afin d'imposer des concepts non consensuels et des solutions qui les servent. « En imposant un ordre fondé sur des règles, ses auteurs rejettent avec arrogance le principe clé de la Charte des Nations unies, à savoir l'égalité souveraine des États ». Il a fait référence à la déclaration arrogante du chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, selon laquelle « l'Europe est un jardin d'Eden et le reste du monde une jungle », estimant qu'elle reflétait « leur monde d'exception ».

De nombreux membres ont réitéré leurs « appels à des réformes attendues depuis longtemps, certains remettant même en question la viabilité d'un système multilatéral qui reflète encore l'équilibre des pouvoirs en 1945 ». Le Brésil, par exemple, a déclaré que la composition actuelle du Conseil n'était pas compatible avec les réalités géopolitiques actuelles, car le continent africain et sa propre région, l'Amérique latine et les Caraïbes, ne sont pas représentés en tant que membres permanents.

L'Inde s'est demandé si le Conseil était collectivement conscient des insuffisances d'un système multilatéral qui n'a pas su répondre aux défis contemporains, qu'il s'agisse de la pandémie du virus de la COVID-19 ou du conflit en cours en Ukraine. Le représentant de l'Inde a demandé si un « multilatéralisme efficace » pouvait être pratiqué en défendant une charte qui rend cinq nations plus égales que les autres et leur confère le pouvoir d'ignorer la volonté collective des 188 États membres restants.

Plusieurs délégués ont critiqué le recours croissant à des mesures coercitives unilatérales et d'autres utilisations sélectives du droit international, estimant qu'il s'agit d'une menace sérieuse pour la coopération, la paix et la sécurité internationales. Le représentant de l'Iran, par exemple, a déclaré que ces mesures sont un exemple préoccupant de démarche unilatérale nocive qui vont à l'encontre des principes fondamentaux du droit international, de la Charte et des droits humains. « Ces mesures illégales ont des conséquences humanitaires considérables et peuvent saper les efforts diplomatiques visant à résoudre les différends et à promouvoir la coopération », a-t-il déclaré.

Le délégué du Venezuela s'est exprimé au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations unies. Il a souligné les tentatives actuelles de diviser le monde en blocs, avec un recours croissant à l'unilatéralisme dans l'application illégale de mesures coercitives unilatérales à l'encontre de plus de 30 pays. Ces soi-disant sanctions, nouvelle forme de domination et de néocolonialisme, sont devenues l'outil de choix de certains gouvernements pour exercer des pressions tout en générant des souffrances indicibles sur des peuples entiers. La solution aux défis nouveaux et complexes d'aujourd'hui passe par le renforcement et la revitalisation d'un multilatéralisme inclusif dans lequel tous les pays, grands ou petits, sont engagés.

Gerardo Penalver Portal, premier vice-ministre des Relations extérieures de Cuba, s'associant au Mouvement des non-alignés et au Groupe des amis pour la défense de la Charte des Nations unies, a déclaré qu'une transformation radicale des Nations unies s'imposait d'urgence pour instaurer un ordre démocratique international juste, équitable et respectueux de l'égalité souveraine des États. Il a appelé à la cessation immédiate des mesures coercitives unilatérales et des listes fallacieuses et arbitraires, telles que celle des États prétendument commanditaires du terrorisme, soulignant que ces listes vont à l'encontre du droit international. Le monde a besoin de solidarité, de coopération et de respect mutuel, et non de blocus ou de sanctions.

Khalifa Shaheen Almarar, ministre d'État des Émirats arabes unis, a souligné que « les structures du statu quo ne nous permettront pas de sortir du statu quo » et que les décisions doivent être prises en tenant compte des pays vulnérables, mais aussi en les associant à la table des négociations, y compris aux discussions émergentes sur la réforme des institutions financières internationales afin de mieux servir les intérêts des pays du Sud.

Hermann Immobgault, vice-ministre des Affaires étrangères du Gabon, soulignant la crise de la solidarité internationale, a déclaré que l'Afrique occupe aujourd'hui près de 70 % de l'ordre du jour du Conseil, sans pour autant disposer d'un siège permanent au sein de cet organe décisionnel. Le Conseil doit être réformé pour qu'il soit représentatif de la réalité d'aujourd'hui et à même de répondre efficacement aux défis actuels et futurs.

Zhang Jun, représentant la Chine, a déclaré que la Charte était la pierre angulaire de l'ordre international fondé après la guerre, consacrant le respect de la souveraineté territoriale et la non-ingérence dans les affaires intérieures d'autrui. Des problèmes mondiaux surgissent parce que ses objectifs et ses principes ne sont pas mis en oeuvre. La communauté internationale doit éviter les petits clubs exclusifs qui fabriquent des récits construits de toutes pièces et provoquent des confrontations géopolitiques. Appelant à ce que l'ordre international soit étayé par le droit international, il a exprimé son opposition à la façon dont certains États en détournent le sens, en imposant leur volonté, en violant sans raison les droits légitimes d'autres pays et en dépréciant les accords internationaux. Un monde multipolaire est en train de devenir une réalité, a-t-il déclaré, soulignant que les pays en développement, en particulier en Afrique, méritent de jouer un rôle plus important au sein des Nations unies, y compris dans la prise de décision. Il faut s'opposer aux sanctions unilatérales, y compris celles imposées par les États-Unis et d'autres pays extérieurs au Conseil qui utilisent ces outils pour préserver leur hégémonie. « Les sanctions sont un monstre rampant », a-t-il observé, violant les droits fondamentaux et entravant le développement des petits et moyens États. Exhortant les pays concernés à y mettre fin immédiatement, il a souligné que la Chine adhérait en permanence à un véritable multilatéralisme.

Juan Gomez Robledo Verduzco du Mexique a déclaré que « la communauté internationale est actuellement confrontée à l'effondrement de certains systèmes de sécurité collective sur lesquels les Nations Unies sont construites », citant les invasions militaires de pays souverains (note – il ne s'est pas limité aux développements actuels en Ukraine), les actes d'agression, « les invocations fréquentes de la légitime défense contre des acteurs non étatiques » (c'est-à-dire, des remarques qui pourraient être facilement appliquées à la guerre des États-Unis et de l'OTAN contre la Libye, à l'occupation par les États-Unis de certaines parties de la Syrie, à la guerre des États-Unis et de l'OTAN contre l'Afghanistan, qui dure depuis 20 ans).

Osama Mahmoud Abdelkhalek Mahmoud (Égypte) a déclaré qu'il y avait eu un « recul » sur plusieurs principes clés au coeur de l'ONU, y compris des tentatives d'ingérence dans les affaires intérieures des États et la monopolisation de la prise de décision sans consulter les États concernés, en particulier ceux d'Afrique. En outre, il y a eu deux poids deux mesures dans plusieurs dossiers, des tentatives de certains États de politiser les forums internationaux – ce qui a miné leur capacité d'action, ainsi que le commerce international – et des tentatives de certains d'attribuer une plus grande importance aux actions des acteurs non étatiques. Sur ce point, il a souligné que si certains acteurs non étatiques ont la possibilité de jouer un rôle positif dans certains dossiers, cela ne signifie pas qu'ils peuvent remplacer ou concurrencer les États dans ces domaines. La réforme du système multilatéral international, a-t-il dit, doit être fondée sur le retour aux principes de la Charte des Nations unies, l'amélioration de la gouvernance économique mondiale, y compris les institutions de Bretton Woods, le réexamen du système de sécurité collective en permettant aux différentes régions de jouer le rôle qui leur revient, et la correction des injustices historiques présentes au sein du Conseil conformément au Consensus d'Ezulwini et à la Déclaration de Syrte.

Munir Akram, du Pakistan, a rejeté un monde unipolaire, bipolaire ou même « multipolaire » dominé par quelques États ultrapuissants, tout en exprimant son inquiétude face aux nouveaux concepts avancés dans certaines discussions des Nations unies, tels que le multilatéralisme « multipartite » et le multilatéralisme « en réseau ».

Bassam Sabbagh, de la Syrie, s'associant au Mouvement des non-alignés et au Groupe des amis pour la défense de la Charte des Nations unies, a appelé à un examen continu et complet des méthodes de travail et des mécanismes de l'ONU. Tous les États membres doivent respecter la Charte, le droit international et les normes établies des relations internationales, a-t-il souligné, en insistant sur la nécessité d'éviter d'utiliser des méthodes ou une terminologie qui ne font pas l'objet d'un consensus, en particulier l'expression « système fondé sur des règles ». Notant une augmentation sans précédent du nombre de résolutions ne faisant pas l'objet d'un consensus de l'Assemblée, il a fait remarquer que dans de nombreux cas, un vote est nécessaire malgré les divergences sur le fond et les procédures de ces résolutions. Soulignant la polarisation du Conseil par certains États membres, il a déclaré que la préservation du multilatéralisme passait avant tout par l'élargissement du Conseil afin qu'il soit véritablement représentatif de la réalité politique actuelle.

Dang Hoang Giang du Vietnam, s'associant à la déclaration qui sera faite par le Mouvement des non-alignés, a déclaré que le multilatéralisme est confronté à des défis redoutables qui menacent la coopération et l'ordre international basé sur le droit. Dans ce contexte, il a réaffirmé l'importance d'un multilatéralisme efficace, fondé sur le respect de la Charte des Nations unies et du droit international. En outre, tous les différends doivent être réglés par des moyens juridiques et toutes les voies doivent être explorées pour résoudre les conflits et trouver des solutions aux problèmes de sécurité. Le multilatéralisme doit être fondé sur la bonne volonté, la compréhension mutuelle et la coopération.

Pour leur part, les États-Unis, représentés par l'ambassadrice Linda Thomas-Greenfield, se sont présentés comme les champions des principes de la Charte des Nations unies et ont présenté la Russie comme le soi-disant agresseur de l'Ukraine, qui viole les principes des Nations unies et l'état de droit. Sa présentation était dans la même veine de celle de Bob Rae qui, de toute façon, s'inspire de la rengaine des États-Unis. Ces pays ont été accusés par tous les autres et lorsqu'ils ont pris la parole, ils ont en donné une belle preuve.


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Volume 53 Numéro 5 - Mai 2023

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