Brésil
La tentative de coup d'État échoue grâce à la défense de la démocratie par le peuple
La prise d'assaut des bâtiments gouvernementaux au Brésil le
dimanche 8 janvier semble s'inspirer des événements qui ont eu
lieu à Washington il y a deux ans, le 6 janvier 2021. En début
d'après-midi, le 8 janvier, à Brasilia, la capitale du Brésil,
plusieurs milliers de partisans de l'ancien président Jair
Bolsonaro ont été incités à marcher du quartier général de
l'armée, où nombre d'entre eux campaient depuis la fin du mois
d'octobre, date de l'élection présidentielle, jusqu'à la place
des Trois Pouvoirs qui abrite les bâtiments de l'Assemblée
nationale, du Palais présidentiel et de la Cour suprême. La
plupart des émeutiers sont arrivés dans la capitale en caravane
venant de toutes les régions du pays. Au moins 170 autobus
nolisés ont commencé à entrer à Brasilia à partir du vendredi 6
janvier.
La plupart des participants à l'émeute portaient des maillots jaunes, comme ceux de l'équipe nationale de football, et beaucoup avaient des drapeaux brésiliens sur les épaules. Ils ont exigé que l'armée « intervienne ». On pouvait les entendre sur les vidéos crier ce qui ressemblait à « Dieu, pays, famille, liberté » (en portugais) alors qu'ils s'approchaient du commissariat du gouvernement. Les vidéos montrent également des véhicules de police en tête du cortège et d'autres qui l'accompagnent. Une fois qu'ils ont atteint les bâtiments du gouvernement, la masse des manifestants a couru jusqu'à l'édifice du Congrès et a facilement franchi les barricades fragiles érigées par le petit nombre de policiers présents sur place, qui se sont essentiellement écartés. Ils ont ensuite pénétré dans les bâtiments, brisant les fenêtres et les portes à l'aide de projectiles et de bâtons, montant sur le toit, et se conduisant généralement dans le style de ceux qui ont pris d'assaut le Capitole à Washington, deux ans plus tôt. Les rapports indiquent que bon nombre d'entre eux auraient été armés puisque le droit pour presque tout le monde de porter des armes est un mantra de Bolsonaro. Aucun tir n'a cependant été signalé.
Grâce à la réaction du président du Brésil, Luiz Inacio « Lula » da Silva, du Parti des travailleurs (PT), et du président de la Cour suprême fédérale (STF), le juge Alexandre de Moraes, la tentative de coup d'État a pris fin dimanche : 40 autobus ont été saisis et 260 personnes ont été arrêtées, prises en flagrant délit. En outre, Lula a ordonné une intervention auprès de la sécurité publique du district fédéral (qui comprend Brasilia) jusqu'au 31 janvier, tandis que la STF a ordonné la suspension d'Ibaneis Rocha dans ses fonctions de gouverneur du district fédéral pour 90 jours. À la fin de la journée, quelque 400 personnes avaient été arrêtées.
Manifestation contre la tentative de coup d'État, Brasilia, 9 janvier 2023
Outre les arrestations en flagrant délit, 1 200 bolsonaristes ont été arrêtés par l'armée dans la matinée du lundi 9 janvier et placés en garde à vue par la police fédérale, sans recours à la force. Ils peuvent être accusés d'une série de crimes, tels que dommages aggravés, crimes contre le patrimoine culturel, association criminelle, terrorisme, attaque contre l'État de droit démocratique et coup d'État. S'il est prouvé que les invasions étaient préméditées et délibérément antidémocratiques, la peine peut atteindre 30 ans de prison. Les hommes d'affaires qui ont financé les attaques font également l'objet d'une enquête. Les gouvernements des États et des municipalités ont également éliminé les campements des putschistes situés près des casernes militaires dans d'autres régions du pays.
En fin d'après-midi et dans la soirée du lundi 9 janvier, en réponse à l'appel lancé la veille par un certain nombre de mouvements sociaux, dont le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), les centrales syndicales, l'Union nationale des étudiants et d'autres, de grandes manifestations qui ont réuni des milliers de personnes ont eu lieu partout au Brésil pour rejeter la tentative de coup d'État et ses commanditaires, pour s'opposer à toute amnistie accordée à ses auteurs, pour que soient rapidement punis ceux qui ont envahi et vandalisé les trois bâtiments gouvernementaux et pour défendre la démocratie au Brésil. Un rassemblement très animé a également eu lieu à midi à l'intérieur de la faculté de droit de l'Université de Sao Paulo, où les mêmes revendications ont été soulevées. De nombreuses autres mobilisations ont eu lieu à l'échelle internationale, notamment à Ottawa, Montréal, Toronto et dans d'autres villes.
Porto Alegre (en haut) et Rio de Janeiro, le 9 janvier 2023
Radio-Canada et d'autres médias internationaux ont largement couvert ce qui s'est passé à Brasilia, notamment l'absence de résistance de la part de la police ou de l'armée lorsque les forces du coup d'État se sont approchées et ont pénétré dans les trois édifices gouvernementaux, où elles ont détruit tout ce qu'elles voyaient, notamment du matériel, des meubles et des oeuvres d'art. Les dégâts causés par l'eau ont aggravé le problème lorsque le système de gicleurs de l'un des bâtiments a été activé après que quelqu'un a apparemment tenté de mettre le feu à un canapé. Les participants à ce vandalisme et les observateurs semblaient tous utiliser des téléphones cellulaires pour enregistrer ce qui se passait, avec probablement des milliers de vidéos et de photos publiées sur les médias sociaux comme preuve.
Des armes létales et non létales auraient été volées au bureau de la sécurité institutionnelle du palais de Planalto. Le ministre de la Communication sociale et un fonctionnaire du ministère de la Justice ont inspecté le bureau saccagé et ont filmé ce qu'ils ont trouvé. Ils ont affirmé que quelqu'un savait sûrement qu'il y avait des armes à cet endroit et est allé les chercher.
Comme lors de la tentative de coup d'État à Washington, il y a eu un manque évident de présence policière ou d'efforts pour prévenir ou arrêter ces actions, en particulier compte tenu de tout ce qui avait été annoncé à l'avance par les bolsonaristes qui avaient déjà passé deux mois à appeler à un coup d'État militaire. Certains des policiers qui étaient de service lorsque les bâtiments ont été pris d'assaut et saccagés ont pu être vus dans des vidéos en train de regarder l'action et semblant même sympathiser avec les forces de la tentative de coup.
Lula se trouvait dans l'État de Sao Paulo où il était allé évaluer une situation d'urgence causée par de fortes pluies lorsque les événements se sont produits à Brasilia. Quelques milliers de personnes venues en bus d'autres régions se sont jointes à ceux qui campaient à Brasilia pour faire pression sur l'armée pour qu'elle intervienne contre le gouvernement de Lula, pour « extirper le communisme du Brésil », etc. Avant de rentrer à Brasilia pour gérer la situation, Lula a tenu une conférence de presse à Sao Paulo pour dénoncer ceux qu'il a qualifiés de fanatiques et de fascistes qui avaient envahi les bâtiments du gouvernement, et pour annoncer qu'il avait ordonné une « intervention fédérale » dans le district fédéral, autorisant la mobilisation de la Force militaire spéciale de sécurité nationale pour y assurer la sécurité jusqu'au 31 janvier, étant donné le « manque de sécurité » et l'« incompétence » des forces de sécurité du district et de leurs responsables. La personne qu'il a désignée comme intervenant fédéral, l'actuel secrétaire exécutif du ministère de la Justice, est directement responsable devant le président de la République. Il a également déclaré que les responsables de ce qui se passait seraient trouvés et punis « de manière exemplaire », ajoutant que tout allait faire l'objet d'une enquête « très, très approfondie et très rapide ». Il a laissé entendre que parmi ceux qui ont soutenu les actions à Brasilia se trouvaient des mineurs illégaux, des exploitants forestiers illégaux et des intérêts agro-industriels. Il a également déclaré que Bolsonaro serait tenu de rendre des comptes.
« Des terroristes ne peuvent pas être appelés des
manifestants. ». « Un autre Brésil est possible –
emprisonnez Bolsonaro. »
Anderson Torres, le chef de la sécurité du district fédéral nouvellement nommé a été licencié par le gouverneur lorsqu'il était introuvable le 8 janvier, étant parti pour des « vacances en famille » à Orlando, en Floride, où Bolsonaro s'est également installé. Son licenciement est intervenu quelques heures avant que le gouverneur, dont il relève, ne soit lui-même relevé de ses fonctions pour 90 jours pour manquement à ses devoirs par le juge de la Cour suprême Alexandre de Moraes. Torres, un fidèle de Jair Bolsonaro, qui a été ministre de la Justice et de la Sécurité publique de l'ancien président, est depuis rentré au Brésil et a été placé en détention, l'enquête sur son rôle se poursuivant.
Alexandre Moraes a également dirigé le Tribunal supérieur électoral pendant l'élection et a rendu plusieurs décisions contre les bolsonaristes, notamment en rejetant comme frivole la requête devant le tribunal d'une annulation de la majorité des votes exprimés au second tour de l'élection, que leur candidat a perdu, suivant l'affirmation non fondée que plus de la moitié des machines à voter présentaient un défaut logiciel qui rendait les résultats peu fiables. Il leur a infligé de lourdes amendes pour cette affaire frivole.
Gleisi Hoffman, présidente du PT, et Luciana Santos, présidente du Parti communiste du Brésil (PCdoB) et une ministre du cabinet de Lula, ainsi que de nombreux autres membres du nouveau gouvernement, y compris les dirigeants des deux chambres du Congrès, ont déclaré que toutes les personnes impliquées dans les actions violentes du 8 janvier et celles qui ont permis qu'elles se produisent doivent être traitées fermement et punies avec toute la force de la loi. Hoffman a gazouillé que les actions des partisans de Bolsonaro ne faisaient pas partie d'un mouvement de masse ou n'étaient pas spontanées, mais étaient organisées par « des bandits, qui ont des intérêts très clairs : l'exploitation minière illégale, l'accaparement de terres, la libération d'armes, les milices et d'autres choses, toutes sanctionnées par Bolsonaro ».
Jair Bolsonaro a tenté de se laver les mains de l'assaut contre les édifices gouvernementaux, tout comme il l'a fait lorsque des partisans échauffés par quatre années de sa rhétorique toxique et de ses mensonges ont érigé des centaines de barrages routiers illégaux en apprenant sa défaite, et que d'autres ont été pris en train d'exécuter ou ont admis avoir planifié des actes terroristes de différents types. Cette fois, il a rejeté les accusations de Lula et d'autres, selon qui il est en partie responsable de ces actes criminels, affirmant que les manifestations pacifiques font partie de la démocratie mais que toute invasion d'édifices publics dépassait les bornes.
On pense généralement que Jair Bolsonaro s'est enfui aux États-Unis avant l'expiration de son mandat afin de pouvoir réquisitionner un avion gouvernemental pour l'emmener, lui et ceux qui l'accompagnaient, et obtenir un visa spécial que les États-Unis accordent aux chefs d'État en exercice, afin d'échapper à l'arrestation et aux accusations qu'il s'attendait à devoir affronter au Brésil lorsque son immunité présidentielle prendrait fin.
Il y a plusieurs enquêtes déjà en cours liées à des allégations déposées auprès du système judiciaire, et d'autres qui viendraient sûrement lorsque ceux qu'il a incités passeraient à l'action comme ils l'ont fait le 8 janvier. Certains membres du Congrès américain affirment que les États-Unis devraient cesser de donner refuge à Bolsonaro et l'extrader vers le Brésil. Selon les dernières nouvelles, l'ancien président a demandé un visa touristique pour rester aux États-Unis pendant six mois de plus.
Des chefs de gouvernement, des personnalités et des organisations de différents types d'Amérique latine et du monde entier ont condamné les actions violentes et antidémocratiques des partisans de Bolsonaro. Le premier ministre canadien Justin Trudeau s'est joint au secrétaire d'État américain Antony Blinken et au président Joe Biden ainsi qu'au chef de la diplomatie de l'Union européenne Josep Borell pour condamner l'assaut contre les institutions gouvernementales brésiliennes.
(Photos : Media Ninja, M. Diego.)
Cet article est paru dans
Volume 53
Numéro 1 - Janvier 2023
Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/Lml2023/Articles/LM53016.HTM
Site web : www.pccml.ca Courriel : redaction@pccml.ca