Numéro 67

2 décembre 2022

L'ordre du jour antinational du gouvernement Legault

Hydro-Québec - un « fleuron
québécois » en perdition

– Fernand Deschamps –


Le parcours d'Hydro-Québec

À titre d'information

Partenariat de plusieurs millions de dollars entre
Hydro-Québec et l'armée américaine



L'ordre du jour antinational du gouvernement Legault

Hydro-Québec - un « fleuron
québécois » en perdition

– Fernand Deschamps –

Le jour où Pierre Fitzgibbon, ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie du gouvernement Legault, a été assermenté comme ministre, il a déclaré qu'au Québec, « nous consommons beaucoup trop d'électricité, comme résidents ». Les Québécois sont en droit de se demander pourquoi il dit cela alors qu'il ne manque pas d'électricité au Québec pour laquelle, en tant que résidents, on leur fait payer toujours plus cher.

Dans une lettre parue dans Le Devoir, une conseillère budgétaire à l'Association coopérative d'économie familiale (ACEF) du Nord de Montréal a réagi à cette déclaration du ministre Fitzgibbon. Elle rappelle dans sa lettre comment l'énergie est essentielle dans la vie quotidienne pour se chauffer, manger, se laver, être en bonne santé, travailler et étudier. Elle remet en question le plan du gouvernement Legault de donner priorité aux entreprises énergivores.

Et c'est précisément là que l'on peut voir ce qui en est véritablement du programme du gouvernement Legault pour une économie plus verte. L'auteure de la lettre soulève à juste titre la question du changement de vocation d'Hydro-Québec, car on a toujours dit aux Québécois que la nationalisation des entreprises privées d'électricité, il y a 60 ans de cela, a été faite dans le but d'être « Maîtres chez nous ». Ce n'est vraiment plus le cas comme on peut le constater notamment en matière d'énergie électrique. Hydro-Québec s'en va à la dérive à cause des stratagèmes pour payer les riches des gouvernements qui se sont succédé depuis le début des années 1990, lorsque le néolibéralisme a orienté l'économie au détriment du peuple, de la société et de l'édification nationale.

Dans le discours fait par François Legault lors de l'assermentation des ministres de son cabinet le 20 octobre dernier, il a annoncé la mise sur pied d'un « Comité sur l'économie et la transition énergétique » qui va encore plus concentrer ce pouvoir décisionnel entre les mains du Cabinet où règnent les grands intérêts privés étroits.

Ces grands intérêts privés sont représentés au sein même des réunions d'Hydro-Québec par des firmes privées telles que le cabinet-conseil McKinsey. Sylvain Audette, membre associé à la Chaire de gestion du secteur de l'énergie de l'École des hautes études commerciales (HEC) de Montréal avait ceci à dire à propos de la présence de ce puissant cabinet-conseil américain dans les réunions d'Hydro-Québec : « Ces consultants, même s'ils signent une clause de confidentialité, s'ils font un mandat pour un autre [client], leur cerveau n'est pas effacé. » Lors de réunions auxquelles les consultants participent, ils « peuvent avoir accès à des informations qui ne sont pas nécessairement couvertes par les ententes de confidentialité », a-t-il expliqué.

Il faut garder à l'esprit que, de manière alarmante, ce sont les agences de renseignement et la machine de guerre des États-Unis qui mènent la barque en tant que partie intégrante de ces intérêts privés étroits. Alors que toutes les infrastructures et installations doivent être modernisées à la suite des développements de la révolution technique et scientifique et qu'il est urgent de mettre fin à l'utilisation des combustibles fossiles, la question fondamentale reste de savoir à qui sert l'économie. Vendre les ressources naturelles et humaines du pays et les mettre à la disposition de la machine de guerre des États-Unis au nom de « l'écologisation de l'économie » est vraiment cynique. Les Québécois n'accepteront pas ce genre de « nationalisme » de la part d'aucun gouvernement, quelle que soit sa couleur politique.

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Le parcours d'Hydro-Québec


Les débuts

Au moment de sa création, en 1944, Hydro-Québec n'exploitait que quatre centrales concentrées dans la grande région de Montréal. Tout le reste du Québec était sous le contrôle de sociétés d'électricité privées, chacune avec ses propres tarifs. Dans le Québec de l'après-guerre, la demande d'électricité augmentait alors au même rythme que l'économie : elle doublait tous les dix ans. Cette croissance très rapide a forcé les compagnies d'électricité à lancer des grands projets à un rythme effréné.

La plupart des rivières près des grands centres urbains avaient déjà été harnachées au Québec. Ce qui s'annonçait était d'immenses chantiers de construction de barrages hydroélectriques en régions éloignées. Cela exigeait des investissements énormes d'argent gelés pendant de nombreuses années avant qu'il y ait un retour monétaire sur ce financement qui avait aussi sa part de risques, que les sociétés privées d'électricité n'étaient pas prêtes à assumer. C'est là qu'intervient Hydro-Québec en tant que société d'État qui va prendre tous ces risques alors que les grands financiers de Wall Street et d'ailleurs lui prêtent l'argent pour financer de tels grands projets tout en se voyant garantir par le gouvernement du Québec un retour sur leurs investissements.


La nationalisation de l'électricité avec compensation
des sociétés privées

En 1962, les onze compagnies d'électricité privées ont été nationalisées par le gouvernement libéral de Jean Lesage. Elles offraient l'avantage d'être réparties sur tout le territoire du Québec mais elles étaient dominées par des intérêts anglo-canadiens, américains et britanniques, qui n'accepteraient pas de se laisser nationaliser sans être compensées. Ces onze compagnies en question étaient aussi de gros bailleurs de fonds des partis politiques au Québec.

Le gouvernement de Jean Lesage a déclenché à l'automne de 1962 une élection référendaire sur ce projet de nationalisation avec comme slogan « Maintenant ou jamais, Maîtres chez nous ». L'argument qu'on faisait valoir aux Québécois était qu'avec cette nationalisation tous pourraient payer le même tarif d'électricité et contrôler le développement de cette ressource naturelle. Le 14 novembre 1962, les libéraux remportaient les élections. Les onze compagnies privées d'électricité ont été rachetées pour une somme de plus de 600 millions de dollars, ce qui représentait une somme énorme si on considère que les revenus du gouvernement du Québec en 1961-1962 ont été de 750 millions de dollars.

Par contre, le gouvernement Lesage n'a jamais voulu nationaliser les installations de la trentaine d'industries produisant l'électricité à leurs propres fins, dont la plus grande était Alcan qui exploitait déjà 2 000 mégawatts au Saguenay et au Lac-Saint-Jean. Encore de nos jours, les 640 travailleurs de la filiale Énergie électrique de Rio Tinto Alcan voient aux opérations et à l'entretien de ses 28 barrages et six centrales qui représentent la deuxième plus grande installation de production d'hydroélectricité au Québec.


1981 à 1989 - le changement de mandat d'Hydro-Québec dans
un but commercial

Un des grands projets commencés par Hydro-Québec en 1959 a été celui d'harnacher la rivière Manicouagan, sur la Côte-Nord du Québec. C'est durant cette période que de nombreux ingénieurs embauchés par Hydro-Québec ont été formés à la construction de ces grands barrages hydroélectriques, dont un des plus grands barrages à voûtes multiples au monde. Cette expertise en ingénierie d'Hydro-Québec s'est développée par la suite avec de nouvelles innovations, dont la construction dans les années 1960 et 1970 des lignes de transport d'électricité à des très hautes tensions de 735 000 volts, une première mondiale.

Mais tout ce savoir-faire a commencé à être récupéré par les grandes firmes de génie-conseils américaines. Ainsi, le gouvernement libéral de Robert Bourassa a annoncé en 1970 le projet de construction des barrages hydroélectriques sur les rivières du bassin de la Baie James, sans le consentement de la Première Nation crie qui n'avait jamais cédé son immense territoire. Il a eu à faire face non seulement à la résistance des peuples autochtones mais aussi à se plier aux exigences des grands financiers de Wall Street qui ont mis comme condition pour prêter les sommes requises par Hydro-Québec que le maître d'oeuvre de ce gigantesque chantier soit la firme de génie-conseil américaine Bechtel.

Entre 1978 et 1983, une série de mesures législatives ont transformé la mission et les structures d'Hydro-Québec. L'équipe de commissaires indépendants qui la dirigeait depuis 1944 est remplacée par un conseil d'administration, dont les onze membres seraient nommés par l'État. Hydro-Québec est alors devenue une compagnie à vocation commerciale assujettie au gouvernement et qui doit générer des profits. Le statut juridique et la structure financière d'Hydro-Québec sont modifiés. L'État est alors devenu « actionnaire unique » d'Hydro-Québec. Ses gains de productivité ne se traduiront plus en baisses de tarifs, mais en dividendes remis à l'État. En 1989, une nouvelle modification de la loi régissant la gouvernance d'Hydro-Québec vient renforcer cette vocation commerciale en attribuant de façon explicite à la société d'État le mandat d'exporter de l'électricité et de mener des activités dans tout domaine connexe ou lié à l'énergie.


Le néolibéralisme et la destruction nationale des années 1990

Depuis le début des années 1990 le mot à la mode était « libéralisation ». L'élite financière des États-Unis et d'ailleurs cherchait le moyen de briser les monopoles d'énergie que détenaient les États. L'idée était de diviser partout la production, le transport et la distribution en trois entités distinctes que des entreprises privées pourraient racheter. Cette libéralisation a requis de créer de nouveaux cadres réglementaires et d'organiser le marché de l'électricité en zones d'échanges.

Cette libéralisation des marchés de l'énergie a permis au début à Hydro- Québec d'écouler ses surplus d'électricité à un prix nettement plus élevé que sur le marché domestique. Le seul hic : la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) des États-Unis n'autoriserait jamais Hydro-Québec à pénétrer le marché américain si le gouvernement du Québec continuait de protéger son monopole domestique.

En 1997, pour se plier aux demandes de la FERC, le gouvernement du Québec a transformé Hydro-Québec en un holding regroupant trois sociétés commerciales : Hydro-Québec Distribution, Hydro-Québec Transport (appelée TransÉnergie) et Hydro-Québec Production, pour satisfaire aux règles du marché américain. La création de la Régie de l'Énergie au Québec l'année d'avant, avec ses pouvoirs quasi judiciaires, avait été une autre condition de la FERC.

Avec le changement du statut d'Hydro-Québec à celui d'une entreprise commerciale, les tarifs d'électricité proposés par Hydro-Québec étaient maintenant débattus en commission parlementaire puis décidés au bureau du premier ministre. Avec la mise en place en 1996 de la Régie de l'énergie du Québec, Hydro-Québec doit maintenant défendre chaque demande de hausse et comparaître devant les régisseurs. Par contre, le gouvernement peut agir sur la Régie par des lois et des décrets.

En décembre 2019, le gouvernement Legault a fait adopter sous bâillon le projet de loi 34, Loi visant à simplifier le processus d'établissement des tarifs de distribution d'électricité.

Cette loi soustrait à partir de 2020 Hydro-Québec à l'obligation de se soumettre à un examen annuel de la Régie de l'énergie pour justifier ses demandes de hausses des tarifs et ses projets de vente et/ou d'exportation d'énergie. C'est donc le gouvernement caquiste qui prend le rôle de dicter les tarifs d'électricité et d'ouvrir le marché de la vente de blocs d'énergie à des groupes industriels supranationaux qui opèrent au Québec ainsi que l'exportation de l'énergie. C'est ce que cela signifie la politisation d'intérêts privés étroits. Le pouvoir décisionnel est directement usurpé par ces intérêts.

Principales lignes et postes du réseau de transport d'Hydro-Québec en 2008. (Cliquez pour agrandir)

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À titre d'information

Partenariat de plusieurs millions de dollars entre Hydro-Québec et l'armée américaine

Un article paru récemment dans le Journal de Montréal informe que dès 2016, Hydro-Québec et le U.S. Army Research Laboratory (ARL) travaillaient ensemble pour développer un nouveau modèle de batterie rechargeable au lithium-ion qui aurait des applications tant civiles que militaires.

Le 29 juin 2018, Hydro-Québec a publié un communiqué de presse concernant ce qu'il a appelé « une percée dans le domaine des matériaux pour les batteries au lithium-ion » par les chercheurs d'Hydro-Québec et de l'ARL. Selon le communiqué, les chercheurs « ont réussi une première mondiale : fabriquer une batterie au lithium-ion de 1,2 ampère-heure ayant une tension de 5 volts », une batterie rechargeable composée principalement de lithium, de cobalt et de phosphate.

La recherche s'inscrit dans le cadre d'un contrat de 8 millions de dollars américains entre Hydro-Québec et le U.S. Army Research Laboratory (ARL) qui s'étendait de février 2016 à novembre 2020 et dont les partenaires ont partagé les coûts à parts égales. Le directeur général du Centre d'excellence en électrification des transports et en stockage d'énergie d'Hydro-Québec à l'époque, Karim Zaghib, a déclaré ce qui suit au sujet de cette percée :« La tension élevée de cette nouvelle batterie nous permet d'atteindre une énergie massique très élevée. C'est une propriété qui est très en demande et qui peut améliorer les batteries ciblant une foule d'applications ».

Le site web de l'ARL, sous la rubrique « Qui nous sommes », indique ce qui suit : « Le laboratoire de recherche de l'armée de terre de l'U.S. Army Combat Capabilities Development Command (DEVCOM) est stratégiquement placé sous le Army Futures Command en tant que seul laboratoire de recherche fondamental de l'armée axé sur la découverte scientifique de pointe, l'innovation technologique et la transition des produits de la connaissance qui offrent un potentiel incroyable pour améliorer les chances de l'armée de survivre à et de gagner tout conflit futur. »

Et sous la rubrique « Collaborez avec nous », l'ARL mentionne que « les avancées révolutionnaires en science et technologie au DEVCOM Army Research Laboratory sont rendues possibles par des collaborations importantes entre les chercheurs de l'armée et les membres de l'écosystème scientifique et technologique plus large. Afin de résoudre les défis les plus difficiles de l'armée, nous invitons les coéquipiers potentiels de l'industrie privée, du milieu universitaire et d'autres domaines dans le monde entier à explorer les nouvelles frontières de la modernisation de l'armée avec nos experts en la matière hautement expérimentés. »

Le type de recherche promu par l'armée américaine, comme le montre l'exemple de ce partenariat entre Hydro-Québec et l'ARL, s'inscrit dans la lignée de ce que les impérialistes américains ont en tête lorsqu'il s'agit de fabriquer des armes et des équipements militaires qui utilisent largement les batteries rechargeables au lithium-ion et d'autres minéraux critiques à la « sécurité nationale » des États-Unis, dans le cadre de leur quête d'hégémonie mondiale.


Communiqué de presse 2018
d'Hydro-Québec (cliquez pour agrandir)

Dans un article intitulé « Viewpoint : Offshore Battery Production Poses Problems for Military » paru dans le numéro de novembre 2018 du magazine américain National Defense, Marc D. Gietter, ingénieur industriel retraité de la branche des abris tactiques du Commandement des communications et de l'électronique de l'armée américaine (CECOM), explique :

« Les piles au lithium — qu'elles soient rechargeables ou non — sont devenues omniprésentes dans presque tous les systèmes d'armes utilisés par le département de la Défense. Bien qu'elles soient un consommateur relativement faible de technologies de batteries au lithium par rapport au marché commercial, l'importance de ces technologies ne peut être sous-estimée.

« Presque toutes les pièces d'équipement électronique portatif essentielles au succès des combattants américains sur le champ de bataille sont alimentées par une forme de batterie au lithium. La dépendance à leur égard devrait croître de manière exponentielle avec la prochaine génération d'armes — comme les nouveaux véhicules terrestres tactiques, les systèmes sans pilote et les armes à énergie dirigée — conçue autour de la haute densité énergétique et du faible poids d'une technologie de batterie au lithium[1]. »


Les intentions derrière une « économie verte »

Invité à commenter le partenariat entre la société d'État québécoise de l'énergie et l'armée américaine, Daniel Breton, président et chef de la direction de Mobilité électrique Canada, une association à but non lucratif « vouée exclusivement à la promotion de l'électromobilité », a déclaré ce qui suit : « Le plus gros consommateur de pétrole institutionnel au monde, c'est l'armée américaine. Ils veulent trouver une façon de réduire leur dépendance au pétrole. Ils sont conscients que les événements les plus perturbateurs des prochaines décennies seront les enjeux liés aux changements climatiques. »

En d'autres mots, il est acceptable pour les États-Unis de continuer à instiguer des guerres d'agression et d'occupation, à financer des guerres par procuration et des coups d'État qui créeront encore plus de destruction, de chaos, de crises humanitaires de réfugiés, etc. en tant qu'« événements les plus perturbateurs » , tant que cela se fait dans le cadre d'une économie « plus verte ».

Les Québécois et les Canadiens ne souscrivent pas à une telle vision qui désinforme sur les véritables enjeux de la lutte pour un avenir radieux pour eux-mêmes et pour toute l'humanité. Plus précisément, ils rejettent cette notion selon laquelle une économie « verte » signifie que les économies du Québec et du Canada doivent être intégrées à la machine de guerre des États-Unis.

Note

1. Voir « Joignez-vous à la grève mondiale pour le climat ! Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour résoudre la crise climatique », Le Renouveau, 24 septembre 2021.

(Avec des informations de Le Renouveau, Hydro-Québec, ARL, National Defense et Journal de Montréal)

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