La signature du faux acte de capitulation de Reims
Les tentatives anglo-américaines pour amenuiser le rôle de l'Union soviétique dans la victoire sur le fascisme ont commencé alors que la guerre en Europe touchait à sa fin. L'objectif était de priver l'Union soviétique du grand prestige dont elle jouissait auprès des peuples du monde en raison de son leadership et des grands sacrifices de ses peuples pendant la guerre, et de réduire son rôle dans la mise en place du système d'après-guerre.
Sur cette base, les États-Unis ont créé une intrigue à Reims, en France, afin d'accepter une « reddition inconditionnelle sur tous les fronts » le 6 mai, dans le but d'écarter l'Union soviétique et de gagner du temps pour que les troupes nazies puissent échapper aux troupes soviétiques sur le front de l'Est.
Le 6 mai, le generaloberst (le colonel général) Alfred Jodl, chef de l'état-major des opérations du Haut Commandement des Forces armées allemandes, est arrivé au siège temporaire du quartier-général de Dwight Eisenhower, le commandant suprême des forces alliées, à Reims pour signer le document de capitulation selon l'autorité que lui avait donnée le grand amiral Karl Dönitz, qui était président en exercice et commandant suprême des forces armées allemandes. Écrivant en 2015 pour le Strategic Culture Fondation, l'historien Yuriy Rubtsov, professeur de l'Université militaire du ministère de la Défense russe a expliqué :
« Dwight Eisenhower a insisté pour que l'acte de capitulation soit signé pour arrêter les hostilités sur tous les fronts, y compris le Front de l'Est où la Wehrmacht continuait d'offrir une résistance farouche à l'Armée rouge. Le 4 mai, Eisenhower a informé le commandement soviétique de la prochaine visite de Jodl. Dans une lettre adressée au général d'armée A. Antonov, chef de la direction opérationnelle de la Stavka, Eisenhower a écrit qu'il recommanderait que l'amiral Karl Dönitz établisse des contacts avec le haut commandement russe et discute de la capitulation de toutes les forces qui font face à l'Armée rouge. Il faut donner au diable son dû : le général américain s'est comporté comme un véritable allié. Il a souligné que les termes de la capitulation sont purement militaires, qu'ils n'avaient aucun rapport avec les conditions politiques ou économiques imposées par les gouvernements des États alliés. Il a trouvé important que les hostilités prennent fin sur tous les fronts au même moment.
« Le 6 mai, Jodl a fait rapport des conditions de capitulation à l'amiral Karl Dönitz dont le personnel était posté à l'époque à Flensburg. Le 7 mai, le message radio provenant de Dönitz lui demandait de signer l'acte de capitulation inconditionnelle sur tous les fronts. »
Le général Ivan Sousloparov, le commandant de la mission de liaison militaire soviétique avec le gouvernement français et le siège suprême des forces expéditionnaires alliées, était à Paris à cette époque. Il a reçu la visite de l'adjoint d'Eisenhower qui lui a demandé de venir à Reims sans délai. Dwight Eisenhower l'a informé que Jodl était prêt à signer le protocole de reddition et que la présence du représentant soviétique à la cérémonie était nécessaire. Le Commandant suprême allié a demandé à Susloparov d'envoyer le texte du protocole à Moscou et de représenter son pays lors de la cérémonie de signature qui a été prévue pour 2 heures 30, heure d'Europe centrale le 7 mai 1945. Le protocole stipule que toutes les forces sous le contrôle du gouvernement allemand doivent se conformer à la reddition inconditionnelle et doivent demeurer sur leurs positions. Tous les ordres du Commandant suprême allié et du Commandement soviétique doivent être suivis à la lettre.
Au moment de la cérémonie, Ivan Sousloparov n'avait pas reçu ses instructions. Alors il a pris la décision de signer le document avec une clause qu'un autre document sur la capitulation pourrait être signé si l'un des gouvernements alliés trouvait cela opportun. Les représentants des autres pays alliés y ont donné leur accord.
Sur cette base, la capitulation sans condition des forces armées allemandes a été signée le 7 mai par le generaloberst Alfred Jodl, au nom du commandement suprême des forces armées et en tant que représentant pour le nouveau président du Reich, le grand amiral Karl Dönitz ; Walter Bedell Smith a signé au nom des Alliés occidentaux et Ivan Sousloparov au nom de l'Union soviétique. Le major-général français François Sevez a signé comme témoin officiel. L'amiral allemand Hans-Georg von Friedeburg a également assisté à la signature. Le document est entré en vigueur le 8 mai à 23 heures, heure d'Europe centrale (deux heures plus tard selon l'heure de Moscou).
Le message de Moscou est parvenu Ivan Sousloparov après que la cérémonie fût terminée. Il y est dit de ne pas signer de documents. On dit que le retard est dû au temps qu'il a fallu pour rapporter le message de Susloparov à Joseph Staline et ensuite rédiger la réponse. Rubstov indique que « La cause réelle était peut-être ailleurs. Staline avait toutes les raisons de croire que le protocole à être signé à Reims ne serait pas respecté sur le front de l'Est. Il savait quelque chose dont Sousloparov n'a pas été informé. Karl Dönitz a donné l'ordre de quitter les positions sur le front de l'Est et de passer à l'ouest en faisant usage des armes si nécessaire. En outre, Jodl a utilisé les mauvaises communications comme un prétexte pour donner 45 heures de délai aux forces (à partir du moment de la signature à son entrée en vigueur, soit à 23 heures, le 8 mai, heure d'Europe centrale).
Yuriy Rubtsov explique qu'une biographie récente de Jodl intitulée « A Soldier Without Fear or Reproach » indique que beaucoup de soldats et de réfugiés ont utilisé ce délai pour échapper aux forces soviétiques. Il souligne aussi que Joseph Staline avait d'importantes considérations politiques. Alors que les Alliés ont mis l'accent sur leur rôle dans la défaite de l'Allemagne en organisant la cérémonie sur le territoire qu'ils contrôlaient, c'est un fait reconnu que l'Union soviétique a porté le poids de l'effort de guerre : l'ennemi a perdu 73 % de son personnel et 75 % de son armement sur le front germano-soviétique.
En ce qui concerne les considérations que les Soviétiques ont dû prendre en compte, Yuriy Rubstov souligne que Joseph Staline a refusé les propositions de Churchill et de Truman de déclarer le 8 mai Jour de la victoire. Il a envoyé des lettres personnelles à chacun des dirigeants occidentaux affirmant que la résistance des forces allemandes sur le front de l'Est a été aussi forte qu'auparavant. Il a proposé d'attendre jusqu'à la capitulation des forces allemandes à 23 heures, le 8 mai, heure d'Europe centrale soit 1 h, le 9 mai, heure de Moscou. Les dirigeants occidentaux n'ont pas accepté la proposition de déclarer la victoire un autre jour, mais ils ont convenu de considérer le document de Reims comme une formalisation préliminaire de la capitulation. Staline a écrit que l'acte de reddition signé à Reims ne peut être ni annulé, ni reconnu. La signature de la capitulation doit être un acte historique important. Les documents doivent être signés où l'agression a débuté, soit à Berlin. Cela ne pouvait être fait unilatéralement. Le document doit être signé en présence des représentants des hauts commandants de l'alliance. Voilà ce qui est arrivé plus tard dans la nuit du 9 mai 1945, dans la banlieue de Karlshorst, à Berlin.
Cet article est paru dans
Volume 52
Numéro 4 - 8 mai 2022
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