L'intelligence artificielle et la vérification des faits ne peuvent se substituer à la pensée humaine consciente

– Entrevue, Anna Di Carlo, dirigeante nationale du PCC(M-L) –

LML : Anna, de nombreux lecteurs nous ont dit que des collègues et des amis, et eux-mêmes, ont été la proie d'images incendiaires qui, ont-ils d'abord cru, montraient des victimes civiles et de la détresse en Ukraine. Puis ces images se sont avérées fausses.

Anna Di Carlo : Ce qu'on appelle les « fake news » est décidément un problème dans la couverture de ce qui se passe en Ukraine. Les « médias traditionnels » - le terme utilisé pour décrire les journaux, les agences de presse, la radio et la télévision antérieurs aux médias sociaux, y compris la BBC, CBC/Radio-Canada et Reuters News - diffusent des informations comportant de fausses images et vidéos liées au conflit militaire entre l'Ukraine et la Russie. Il s'agit d'images et de vidéos diffusées sur les médias sociaux tels que Twitter, Facebook et TikTok. Leur principale caractéristique est qu'elles sont conçues pour attiser les passions anti-russes et fomenter l'hystérie guerrière et la panique. L'agence de presse Reuters, dans sa section « Vérification des faits », offre une longue liste d'images publiées sur les médias sociaux qu'on prétend à tort représenter les événements actuels en Ukraine.

Ces médias, et une myriade d'organisations en parallèle, disposent d'un personnel chargé de déchiffrer ce qui est décrit comme de « fausses nouvelles », de la « désinformation », de la « propagande » et autres. On dit que ces bureaux travaillent 24 heures par jour et 7 jours par semaine face à l'avalanche actuelle de fausses informations. Leurs expositions montrent clairement que les faux messages sont si répandus que les gens doivent non seulement lire les « nouvelles » pour essayer de s'informer sur ce qui se passe, mais aussi lire les nouvelles sur ce qui n'est pas vraiment des nouvelles, pour s'assurer qu'ils ne sont pas incités par des affirmations ou des images qui ne sont tout simplement pas vraies ou qui sont délibérément trompeuses.

Les « experts » en fausses nouvelles donnent des conseils sur ce qu'il faut faire, comme vérifier si une publication sur les médias sociaux a été vérifiée par des sources dites « fiables », c'est-à-dire les médias traditionnels. Mais le fait est que, même lorsque des publications sur les médias sociaux ont été démystifiées, il n'est pas rare de voir des médias qu'on dit fiables utiliser ces informations. C'est ce qui s'est passé avec des reportages aux titres sensationnalistes sur un immeuble résidentiel en Ukraine qui aurait été attaqué par un missile russe. Il a été établi que le bâtiment en question a en fait été touché par un missile ukrainien, mais des photos de celui-ci, avec des affirmations selon lesquelles les Russes visent des civils, continuent d'être publiées.

Tout cela relève du mode opératoire des « agences de renseignement » secrètes, qui consiste à s'assurer de maintenir les gens dans le tourbillon de la manipulation et contre-manipulation, afin qu'ils ne passent pas une minute à résoudre les problèmes par eux-mêmes, à établir un point de vue à partir duquel ils peuvent comprendre les faits et tirer des conclusions justifiées. Il s'agit de s'assurer que les peuples ne deviennent pas un facteur qui fait la différence. Tout cela cache ce dont les agences de presse et les médias ne parlent pas, à savoir les causes - ce qui a conduit à la situation actuelle – et le rôle des peuples dans la création d'une issue qui leur est favorable. Sans cela, les solutions auxquelles les peuples peuvent adhérer en toute conscience sont illusoires.

La plupart des gens sont contre les guerres. Ils sont contre le démembrement de pays, les pertes de vies et les souffrances qu'on fait subir aux peuples des pays touchés. Lorsqu'ils voient des images qui laissent croire que ces choses sont causées par certains groupes, ils sont naturellement très contrariés. Il est naturel qu'en toute conscience, ils s'élèvent contre ce que montrent ces images et contre ceux qui sont censés être à l'origine de la souffrance. Il est également contrariant de voir une propagande intéressée qui ne traite pas la souffrance d'une partie de la population ukrainienne de la même manière que celle d'une autre partie. Lorsque la deuxième section souffre, c'est le silence. Elle est ignorée ou traitée comme si elle n'avait aucune importance, ou comme un dommage collatéral pour une cause supérieure.

À cet égard, dans tous les discours sur la « première » attaque contre les Européens, les Yougoslaves ne seraient apparemment pas compris dans les Européens, eux dont le pays a été bombardé jusqu'à la soumission il y aura vingt-trois ans en mars prochain. Les frappes aériennes ont duré du 24 mars 1999 au 10 juin 1999, causant la mort et la destruction sur une grande échelle et créant des milliers et des milliers de réfugiés. Cela n'est pas considéré comme une guerre dans un pays européen. La Russie est le plus grand pays européen, mais elle n'est pas incluse non plus.

Mais que faire quand on se rend compte qu'on a été dupé ?

Les médias officiels et les médias sociaux sont tout à fait capables de repérer ce qu'on appelle les « fausses nouvelles ». Lorsqu'il s'agit d'images, ils utilisent l'intelligence artificielle pour la vérification. Les images sont comparées à des images accumulées dans des banques de données. Un logiciel est également utilisé pour comparer les données intégrées dans une photo qui indiquent sa véritable géolocalisation avec le prétendu emplacement revendiqué à ce moment-là.

À l'époque où les gens devaient se contenter de la presse écrite, ce phénomène était appelé « journalisme jaune » ou « journalisme à sensation ». Les publications de Hearst aux États-Unis et d'autres journaux étaient connus pour leur diffusion d'informations qui servaient les intérêts de leurs propriétaires. Les fausses nouvelles étaient souvent le fait d'agents secrets qui tentaient de faire accuser une personne ou un mouvement, ou de lancer une opération sous faux drapeau. Pendant la guerre froide, c'était la technique nazie du gros mensonge : « Répétez un mensonge suffisamment souvent et les gens finiront par le croire. » La machine de propagande nazie reposait sur de tels mensonges, puis les guerriers de la guerre froide l'ont reprise - à la fois la technique et bon nombre des mêmes mensonges - pour justifier leur propre quête de domination après la Deuxième Guerre mondiale.

Aujourd'hui, l'utilisation de mensonges et de fausses images fait partie de la vie. C'est un problème majeur depuis que les agences de renseignement américaines ont distribué une photo de bébés dans des couveuses au Koweït pour dire que Saddam Hussein tuait des bébés, suivi par le mensonge délibéré sur les armes de destruction massive et ainsi de suite. Que ce soit par le biais des médias traditionnels ou des plateformes de médias sociaux, il est clair que les gens se trouvent à la merci des pourvoyeurs de faux faits diffusés sur ce qui se passe « sur le terrain » en Ukraine. Ils sont également à la merci des propriétaires de certaines plateformes de médias sociaux, telles que celles contrôlées par les intérêts à l'origine de la propagande de guerre des États-Unis. Ils sont élevés au rang de censeurs qui déclarent ce qui est une opinion légitime et ce qui ne l'est pas. Certains pays adoptent des lois de lutte à la haine ou des critères pour déterminer ce qui met en danger la sécurité nationale sans jamais rien soumettre à la délibération politique, sans jamais permettre aux peuples d'en délibérer calmement. Ils sont poussés et adoptés de manière hystérique par des législateurs qui prétendent représenter le peuple.

« Gagner le coeur et l'esprit » des gens a toujours fait partie des conflits militaires et des guerres. L'OTAN appelle cela « guerre cognitive ». Lorsqu'elle est menée par l'OTAN, on dit que c'est pour préserver « la paix et la démocratie » ; lorsqu'elle est menée par la Russie, la Chine, Cuba, les Palestiniens ou toute nation qui refuse de se plier à l'alliance militaire dirigée par les États-Unis, on dit que c'est pour « duper le public ».

À cet égard, les Canadiens sont très préoccupés de voir que des mesures de censure normalement prises en temps de guerre sont prises en ce moment sans même devoir invoquer la Loi sur les mesures de guerre. Par exemple, le gouvernement canadien a « proposé » que les principaux fournisseurs de services de télévision, tels que Bell et Rogers, retirent RT (Russia Today) de leurs offres. Les fournisseurs de services l'ont fait de leur propre initiative et on rapporte que le CRTC va enquêter sur le statut de RT News. Cela montre comment les concepts de liberté d'expression et d'association, ainsi que les libertés civiles elles-mêmes, sont jetés par la fenêtre au nom de grands idéaux. Ceux qui provoquent et encerclent la Russie au nom de la protection des institutions démocratiques libérales sont les premiers à détruire les institutions, les standards et les normes qui font obstacle à leurs plans dans le cadre de la quête de domination des États-Unis.

Aujourd'hui, l'essence de la désinformation consiste à dissimuler le fait que les cercles dirigeants ne permettent pas aux gens de débattre calmement de ce qui se passe et d'établir leur propre cadre de référence qui leur permette d'analyser la cause des événements et de trouver des solutions aux problèmes en faveur des peuples. Ils maintiennent les gens dans le tourbillon de la manipulation et contre-manipulation, ce qui a pour conséquence qu'ils ne peuvent pas déployer activement leur propre action humaine comme force qui déterminera l'issue des événements. Ils sont laissés à la merci de pouvoirs qui ont usurpé la prise de décision pour servir des intérêts privés supranationaux étroits.

L'essence du bellicisme, des mensonges et de la désinformation est qu'ils ne permettent pas de comprendre ce qui se passe et où se trouvent les solutions. Les peuples aspirent à la paix, à la démocratie et à la liberté. Le dicton « les faits sont têtus » est parfaitement applicable, mais les peuples doivent d'abord déterminer quels faits sont pertinents et lesquels ne le sont pas. En d'autres termes, identifier les faits qui comptent et permettre aux peuples d'aller au fond des choses est en soi une activité importante qui exige la fidélité aux relations entre les humains et entre les humains et la nature. En l'absence de celle-ci, le danger constant de tomber dans la dérive est un problème très réel.

Dans le cas présent, la fidélité à ces relations révélera que la guerre en Ukraine est provoquée par les États-Unis et que le Canada y joue un sale rôle. Elle révèle que l'Ukraine est utilisée comme base avancée pour isoler la Russie et la mettre hors d'état de nuire en tant que prétendante au contrôle de ce que les États-Unis et l'OTAN considèrent comme leurs sphères d'intérêt, que ce soit en Europe ou dans le monde. Elle révèle que le président de la Russie et son gouvernement ont finalement dit « Assez ! » et déclaré qu'ils n'avaient pas d'autre issue que de lancer une opération militaire pour « démilitariser » et « dénazifier » l'Ukraine.

Bref, la Russie veut s'assurer que l'Ukraine ne puisse pas être une base avancée pour menacer ses intérêts. Vladimir Poutine a dit qu'il s'agissait d'une mesure désespérée et qu'il privilégiait un règlement négocié qui, à l'évidence, contrairement aux accords de Minsk, doit être appliqué. Pendant ce temps, les États-Unis et l'OTAN font monter la tension en préparant leur vengeance et en déployant encore plus de troupes et de munitions.

Derrière tout cela, le rideau de la désinformation tente de cacher que ce que font les États-Unis et l'OTAN et ce que fait la Russie est le résultat du soi-disant Nouvel ordre mondial imposé par les États-Unis et la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) en 1990, à laquelle le Canada a également participé. Les États-Unis pensaient qu'avec la fin de la division bipolaire du monde, ils pouvaient se déclarer le seul hégémon et forcer le monde entier à se soumettre à leurs intérêts. Au lieu de cela, les conditions d'un grand déséquilibre subsistent et les États-Unis tentent continuellement de dresser la Russie contre la Chine pour se maintenir en position avantageuse. Une telle division tripolaire est cependant la plus dangereuse car aucun équilibre ne peut être établi et les conflits s'intensifient comme on le voit avec l'Ukraine. Pour garantir leurs propres intérêts, loin de démanteler l'OTAN, ils l'ont étendue - les États-Unis ont assuré son expansion et continuent de le faire jusqu'à aujourd'hui. Aujourd'hui l'encerclement de la Russie et les provocations contre elle et contre une partie de la population ukrainienne sont devenus intolérables.

S'opposer aux fausses nouvelles, c'est permettre aux peuples du monde de s'orienter dans un monde où les oligarques de toutes sortes et de tous bords ont pris le contrôle des gouvernements et où les peuples n'ont pas leur mot à dire. Ce sont les peuples qui doivent déterminer ce qui se passe.

Tous les faits connus indiquent aux peuples qu'une solution politique déterminée par eux est nécessaire pour sortir le monde de cette sombre période de régression, de réaction, d'agression et de guerre. Cette solution politique exige que les gens fassent leur la bannière du renouveau démocratique pour s'investir de la souveraineté et arracher le pouvoir aux pourvoyeurs de guerre. Elle exige des gouvernements antiguerre qui garantissent les droits de tous les êtres humains, tant au niveau national qu'à l'échelle mondiale.


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Volume 52 Numéro 3 - 1er mars 2022

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