Opposition à la domination impérialiste américaine de la finance internationale

Une résistance accrue aux efforts pour maintenir l'hégémonie des États-Unis

L'oligarchie financière des États-Unis utilise son contrôle des institutions internationales dans le domaine du commerce et du mouvement de l'argent et du crédit pour imposer des sanctions et des blocus à l'échelle mondiale. Les pays qui cherchent à se libérer de l'hégémonie américaine font face à des obstacles restreignant leur capacité de faire des opérations commerciales ou de s'engager dans d'autres formes de finances et d'affaires internationales.

Par exemple, l'ordonnance extraterritoriale que les États-Unis ont émise interdisant aux banques et à d'autres entreprises de faire affaire avec la Russie a un impact sur tout le monde, puisque, éventuellement, si une entreprise ou un État quelque part au monde veut faire affaire avec des entreprises mondiales, il va entrer en contact avec une institution contrôlée par les États-Unis.

Dans un article intitulé « Les banques d'État turques abandonnent le système de paiement russe », Bloomberg News rapporte : « La menace de sanctions par les États-Unis a forcé les créanciers en Turquie d'arrêter de faire affaire avec les cartes [de crédit] russes Mir, a dit un haut fonctionnaire à Bloomberg. La décision a été prise après que la Maison-Blanche a avisé les institutions financières qu'elles couraient le risque de sanctions secondaires si elles intervenaient auprès de la Russie sous sanction pour l'aider à contourner les mesures punitives associées à l'Ukraine. »

« Au début du mois, le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du trésor américain a annoncé qu'il était prêt à imposer des sanctions à toute institution à l'extérieur de la Russie ayant recours au système de paiement russe.

« Les créanciers turcs ont adopté le système de paiement Mir tôt en août, permettant aux touristes en provenance de Russie de payer leurs achats au pays...Le mesures obligatoires que doivent prendre Halkbank, Ziraat Bank et VakifBank pour arrêter d'utiliser Mir est le plus récent virage de la Turquie face aux sanctions antirusses... Mir a été développé par la Banque centrale de Russie comme alternative domestique à Visa et Mastercard après que la première ronde de sanctions eut été imposée à Moscou en 2014. Depuis l'introduction du nouveau système de paiement, les banques russes ont émis plus de 129 millions de cartes Mir. La semaine dernière, les médias russes ont rapporté que des banques au Kazakhstan et au Vietnam n'acceptaient plus les cartes de paiement Mir pour éviter de subir les conséquences des sanctions secondaires des États-Unis. »

Le Conseil de l'Atlantique, une façade de l'impérialisme américain, écrit sur les mesures financières mondiales visant à soutenir l'hégémonie américaine : « Au cours des six derniers mois, le Groupe des Sept (G7) a optimisé la force combinée du dollar, de l'euro, du pound et du yen pour faire payer un lourd tribut à l'économie russe. Cette stratégie repose essentiellement sur comment le monde utilise le dollar en tant que devise de réserve internationale et sur le mécanisme de règlement le plus largement préféré dans les frais de change mondiaux. Près de la moitié du commerce mondial est en dollars, ce qui comprend aussi près de 60 % des réserves de change mondiales. »

Le conseil exprime cependant des inquiétudes devant la perte d'efficacité des sanctions, puisque les pays touchés développent des moyens alternatifs de contourner les attaques financières. Il écrit : « La dédollarisation ou le fait de réduire la dépendance d'un pays sur le dollar prend de l'ampleur : de la Russie à la Chine – sans compter les pays non-alignés entre les deux – il existe une crainte à l'effet que la dépendance à outrance sur le dollar accorde aux États-Unis trop d'emprise. »

Le Conseil revoit certaines méthodes développées par l'impérialisme américain pour maintenir son hégémonie et recommande des moyens pour qu'il puisse en conserver l'efficacité. Tout commence par le système privé SWIFT : la Société pour les télécommunications financières interbancaires mondiales, que l'oligarchie financière américaine contrôle d'abord par l'entremise de la Réserve fédérale américaine, elle-même un cartel de banques privés américaines.

SWIFT fournit ce qu'elle qualifie de système de communication sûr, sécuritaire et efficace entre banques pour le mouvement d'argent. Plus de onze mille institutions financières dans plus de deux cent pays et territoires comptent sur SWIFT pour leurs transactions financières.

Si SWIFT s'avère un système de communication sûr, le fond de compensation et de règlement comme tel est géré par une autre institution contrôlée par la réserve fédérale, le « Clearing House Interbank Payments System (CHIPS). CHIPS gère près de 1,8 billions de dollars en transactions par jour.

Le Conseil écrit : « Le système CHIPS a 43 participants directs, qui sont tous des banques américaines ou des banques étrangères ayant des succursales américaines, et onze mille participants indirects, qui sont des banques sans succursales américaines et qui participent au système par l'entremise de leurs comptes avec des participants directs. Par l'entremise de leurs participants, CHIPS couvre plus de 96 % des transactions transfrontalières exprimées en dollars. CHIPS oeuvre parallèlement avec le « Fedwire Funds Service » appartenant à la réserve fédérale pour la compensation et le règlement de transactions. Ensemble, SWIFT, CHIPS et Fedwire englobent à eux seuls la presque totalité des transactions internationales exprimées en dollars. Ces institutions créent un effet de réseautage avec lequel il est presque impossible de rivaliser. »

Toute vantardise mise à part, le Conseil avoue à contrecoeur que des rivaux sont en effet à même de défier l'hégémonie financière américaine, y compris ses piliers SWIFT, CHIPS, Fedwire et les géants américains des cartes de crédit. La Russie et la Chine en particulier développent rapidement des alternatives.

Le Conseil écrit : « La Russie a commencé à développer son Système de transfert des messages financiers (STMF) après avoir subi une ronde de sanctions suite à l'annexion de la Crimée en 2014. Il fonctionne comme une alternative à SWIFT pour la transmission d'informations entre quatre cents banques russes domestiques et près de cinquante entités internationales principalement de l'Asie centrale. Nous avons appris récemment l'existence de banques centrales en Inde, en Iran et en Chine qui sont reliées au STMF. »

La Chine a développé son propre Système transfrontalier de paiements interbancaires (STPI) en 2015 comme alternative au système CHIPS. La Banque populaire de Chine en supervise les transactions. Le système a d'abord utilisé l'infrastructure SWIFT en Chine mais a rapidement bâti un réseau indépendant qui comprend près d'un dixième de tous les participants de SWIFT. Selon les rapports dans la presse financière, le volume de transactions du STPI qui utilisent principalement la devise chinoise, le yuan, s'accroît au rythme de 50 % par année.

Le Conseil avoue que l'imposition accrue de sanctions engendre plus de résistance et l'expansion d'alternatives au dollar américain et à ses mécanismes financiers. Il dit qu'il y a eu croissance des systèmes russe et chinois suite à « l'imposition de sanctions financières plus rigoureuses aux pays qui avaient conçu ces (nouveaux) systèmes. À mesure que les hauts responsables américains renforceront leurs mesures de sanctions, certains pays seront plus motivés à vouloir participer à ces réseaux et à développer ces réseaux de paiements. »

Le Conseil souligne que ce ne sont pas que les « adversaires des États-Unis comme la Russie ou les compétiteurs comme la Chine » qui résistent à l'hégémonie américaine. « Des pays comme l'Inde, l'Indonésie, le Brésil et l'Afrique du Sud explorent tous les possibilités de changer comment ils font leurs paiements transfrontaliers et comment réduire leur dépendance au système SWIFT », selon le Conseil.

Les cartes de crédit et de débit

D'autres pays explorent la possibilité d'avoir leurs propres cartes de crédit et de débit sur le plan international mais font face aux attaques de l'oligarchie financière américaine pour les fermer ou du moins les rendre moins efficaces. Les États-Unis dominent l'industrie des cartes de crédit et de débit. Visa, Mastercard et American Express, qui sont contrôlées par les États-Unis, sont les trois entreprises les plus importantes permettant des paiements transfrontaliers et domestiques. Visa et Mastercard sont utilisées par près de 53 millions commerçants mondiaux chacune dans plus de deux cents pays, mais les alternatives surgissent rapidement. Le réseau alternatif de paiement chinois nommé UnionPay a été mis en place en 2002. UnionPay compte maintenant 55 millions de commerçants dans 180 pays abonnés à leurs cartes de crédit ou de débit, y compris 37 millions de commerçants à l'extérieur de la Chine.

Le Conseil écrit : « Depuis que Visa et Mastercard ont suspendu leurs services en Russie, UnionPay est apparu comme l'une des seules options pour les transactions transfrontalières des Russes. Une autre de ces options est Mir, le réseau domestique de cartes de la Russie. Mir, qui a été développé en 2014 au moment de la ronde de sanctions contre la Russie, est devenu populaire parce qu'il est utilisé pour les paiements des régimes de retraite et du secteur public au pays et par les Russes vivant à l'étranger. Plus de cent millions de cartes Mir ont été émises, et plusieurs pays, dont la Turquie et l'Iran, ont exprimé de l'intérêt à participer au réseau Mir. En outre, les banques russes font affaires avec UnionPay depuis de nombreuses années et, compte-tenu de la grandeur du réseau de UnionPay, Mir pourrait former un partenariat avec ce dernier pour étendre sa portée pour la commercialisation des cartes ou même pour l'émission conjointe de cartes. »

Les développements techniques dans le secteur financier engendrent aussi des alternatives aux cartes de crédit américaines telles que les portefeuilles et les plateformes qui permettent d'abord les paiements au détail à l'échelle nationale dans la devise locale d'un pays. Les compagnies de technologie financière chinoises sont plus évoluées dans ce domaine, ayant les deux portefeuilles numériques mondiaux les plus populaires, AliPay et WeChat Pay. Chacun a plus d'un milliard d'utilisateurs alors qu'AliPay est utilisé dans près de 110 pays et WeChat dans 50 pays. ApplePay et GooglePay, contrôlés par les États-Unis, ont près de quatre cents millions d'utilisateurs chacun.

Les développements en devises numériques permettent aussi à des pays de contourner le système financier exprimé en dollars américains en ayant recours à la Banque centrale de devises numériques (BCDN). Douze expériences transfrontalières BCDN sont en cours, telles que le BCDN multiple (mBridge) qui relie la Thaïlande, Hong Kong, la Chine et les Émirats arabes unis par un point d'échange de devises multiples.

Le système est vanté comme étant moins dispendieux, plus efficace, plus sécure, et une ligne de transaction plus rapide que les systèmes existants, en plus d'avoir l'avantage que ce ne sont pas les États-Unis qui contrôlent. Cent-cinq pays utilisent activement une forme ou l'autre de BCDN. Certains ont l'intention de lancer des « BCDN au prix de gros » qui rendront possibles les transferts institutionnels entre banques qui, regroupées, ne seront pas obligées d'utiliser SWIFT.

Le Conseil souligne avec inquiétude : « Avec le temps, ces innovations pourraient éroder la manière dont la dominance mondiale du dollar est utilisée pour rendre les sanctions efficaces. C'est certainement ce que souhaite Pékin : selon le Fonds monétaire international (FMI), la Banque populaire de Chine a 300 membres du personnel qui se consacrent exclusivement au BCDN – un nombre plus élevé que le personnel en entier des banques centrales de la plupart des autres pays.

« La dédollarisation n'est pas une idée nouvelle – mais l'innovation en technologie financière et la militarisation du dollar par le biais des sanctions ont ravivé un vieux débat...Des menaces au dollar pointent à l'horizon : la part du yuan dans les paiements mondiaux a été à la hausse cette année, et en raison de la crise énergétique, les pays pourraient se laisser convaincre d'offrir le rouble ou le yuan comme alternative et augmenter la part de ces devises dans leur bilans financiers. Avec le temps, si les États-Unis ne prennent pas la direction, avec leurs alliés, de leurs propres innovations technologiques, un grand nombre de pays chercheront des alternatives. »

Exaspéré, le Conseil revient à la formule impérialiste d'imposer des normes contrôlées par les États-Unis pour « juguler la fragmentation accrue du paysage des paiements mondiaux ». « Fragmentation » est un code pour toute alternative à l'hégémonie du dollar et des systèmes financiers américains. Imposer ce qu'ils appellent des normes mondiales est la méthode éprouvée pour juguler la fragmentation ou la perte de contrôle américaine.

Le Conseil émet une menace à peine voilée contre ces pays qui cherchent à échapper à l'hégémonie américaine. « Les États-Unis doivent jouer un rôle crucial dans l'établissement de normes mondiales et doivent être plus actifs au sein du Groupe des Vingt (G20) et du FMI à cet égard. Cela permettrait d'atteindre deux objectifs : assurer que l'innovation du paysage des paiements n'engendre pas une plus grande fragmentation et déterminer quels pays sont intéressés à collaborer – et lesquels veulent vraiment suivre une voie différente. ».


Cet article est paru dans
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Volume 52 Numéro 2 - Novembre 2022

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