L'usine pilote de Recyclage Lithion à Montréal
Le jour même où François-Philippe Champagne, ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie, et Jonathan Wilkinson, ministre des Ressources naturelles, ont publié leur communiqué de presse sur la façon de « protéger les secteurs des minéraux critiques contre les sociétés d'État étrangères », le secrétaire d'État des États-Unis, Antony Blinken, a visité une usine pilote à Montréal pour le recyclage des batteries au lithium-ion des véhicules électriques. Il était accompagné de la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly.
L'usine pilote, Recyclage Lithion, est détenue conjointement par les intérêts privés étrangers General Motors (GM), la société sud-coréenne IMM Global Battery Limited et les gouvernements canadien et québécois. En avril, le gouvernement Legault a investi 15 millions de dollars en actions dans Recyclage Lithion et lui a accordé 7,5 millions de dollars en subventions. Dans une déclaration commune publiée en septembre dernier, GM et Lithion ont annoncé leur partenariat conjoint « pour poursuivre un écosystème circulaire de batteries en utilisant la technologie avancée de recyclage de batteries de Lithion », avec « un taux de récupération de plus de 95 % et en utilisant l'énergie verte du Québec[1] ».
L'emplacement envisagé pour la première de ces usines de recyclage n'a pas encore été déterminé, mais si GM obtient ce qu'elle veut du gouvernement Legault en ce qui concerne les tarifs d'hydroélectricité, il y a de fortes chances qu'elle installe une usine de 500 millions de dollars dans la région de Bécancour, dans le centre du Québec, le long du fleuve Saint-Laurent. Un tel emplacement s'accorde bien avec les corridors de commerce qui alimentent le secteur manufacturier américain.
Avant d'effectuer la visite de l'usine de recyclage, Blinken a accordé une entrevue de douze minutes dans les studios francophones de TVA, sur la politique étrangère des États-Unis dans un scénario où il a soulevé sa visite à Recyclage Lithion, affirmant que : « C'est l'avenir. C'est l'avenir pour les questions de l'énergie, et c'est l'avenir pour les questions du climat. C'est l'avenir entre le Canada et les États-Unis parce que nous faisons ça ensemble avec des investissements venant de General Motors dans ce cas, et une chaîne d'approvisionnement qui sera sûr pour nos deux pays. Pour nous, ça représente l'avenir qui non seulement, nous lie ensemble, mais qui nous donne la capacité de vraiment faire le nécessaire sur ces questions de climat, sur ces questions d'énergie... et pour déployer de nouvelles alliances[2]. » Ce à quoi Blinken faisait référence, ce sont les arrangements qui sont en train d'être mis en place pour intégrer l'approvisionnement en minéraux critiques du Canada à l'économie américaine en fournissant également de l'électricité à rabais.
Aux États-Unis, en vertu du Inflation Reduction Act (Loi sur la réduction de l'inflation de 2022) adoptée en août dernier par le Congrès américain et signé cette année en une loi par le président Joe Biden, les véhicules électriques équipés de batteries fabriquées à base de minéraux recyclés « en Amérique du Nord » tels que le lithium sont admissibles à un crédit d'impôt total de 7500 dollars US. Déterminée à ne plus dépendre de la Chine, l'administration américaine vise à placer l'extraction et/ou le traitement des minéraux critiques dans sa propre cour arrière.
L'administration Biden a annoncé le 19 octobre qu'elle accordait 2,8 milliards de dollars de subventions pour stimuler la production américaine de batteries pour véhicules électriques (VE) et des minéraux utilisés pour leur fabrication, dans le cadre d'un effort visant à sevrer le pays de fournitures provenant de la Chine[3].
« Les États-Unis et leurs alliés ne produisent actuellement pas suffisamment de minéraux et de matériaux de batterie essentiels pour alimenter les technologies d'énergie propre. La Chine contrôle actuellement une grande partie de la chaîne d'approvisionnement en minéraux critiques et le manque de capacités d'exploitation minière, de traitement et de recyclage aux États-Unis pourrait entraver le développement et l'adoption des véhicules électriques, laissant les États-Unis dépendants de chaînes d'approvisionnement étrangères peu fiables », indique la Maison Blanche dans un communiqué annonçant les subventions.
« Les fabricants américains se voient surcotés face aux subventions et pratiques commerciales déloyales de la Chine qui s'est emparée d'une part importante du marché, a déclaré le président Joe Biden en annonçant les subventions. Aujourd'hui, nous faisons un pas en avant... pour le reprendre, pas en totalité, mais avec des objectifs audacieux ».
En mars, Joe Biden a invoqué le Defense Production Act (Loi sur la production de la défense) pour soutenir la production et le traitement des minéraux et des matériaux utilisés pour les batteries des VE.
Les 2,8 milliards de dollars de subventions permettront à 20 entreprises de fabrication et de transformation dans 12 États d'extraire et de traiter davantage de lithium, de graphite, de nickel et d'autres matériaux pour batteries. Ces États sont l'Alabama, la Géorgie, le Kentucky, la Louisiane, le Missouri, le Nevada, New York, la Caroline du Nord, le Dakota du Nord, l'Ohio, le Tennessee et Washington. Il s'agit de la première série de projets financés par le Bipartisan Infrastructure Law (loi bipartisane sur l'infrastructure) du président, qui vise à développer la production nationale de batteries pour les véhicules électriques et le réseau électrique, selon le communiqué. Cela fait partie de l'objectif déclaré de l'administration Biden de rendre électrique la moitié des nouveaux véhicules vendus d'ici 2030.
Le financement des projets sélectionnés permettra, entre autres, de développer suffisamment de lithium pour alimenter plus de 2 millions de véhicules électriques par an et d'établir une production nationale significative de graphite et de nickel.
On s'attend à ce que les entreprises privées qui recevront ces subventions vont y mettre des fonds équivalents.
Le président Biden a également annoncé, dans le même communiqué, le lancement de l'initiative « American Battery Materials », qui vise à « renforcer les chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques ». La déclaration dit : « Aujourd'hui, la Maison Blanche lance un nouvel effort par l'ensemble du gouvernement pour assurer un approvisionnement fiable et durable des minéraux critiques qui alimentent tout, des véhicules électriques aux maisons en passant par les systèmes de défense. L'initiative 'American Battery Materials' sera dirigée par un comité de direction de la Maison Blanche et coordonnée par le département de l'Énergie avec le soutien du département de l'Intérieur. »
Selon la Maison Blanche, l'initiative implique « de travailler avec des partenaires et des alliés pour diversifier les chaînes d'approvisionnement internationales, en reconnaissant que la sécurité nationale et économique de l'Amérique est soutenue par des alliances solides, et que les coalitions internationales de partenaires fiables renforcent la sécurité de nos chaînes d'approvisionnement ».
Toujours sur la même longueur d'onde que les impérialistes américains, la vice-première ministre Chrystia Freeland a parlé en octobre dernier des minéraux critiques provenant de pays considérés comme « amicaux » aux ambitions américaines d'hégémonie mondiale, lors d'un discours prononcé au Brookings Institution, à Washington, DC. Elle a fait référence à ce que la secrétaire au Trésor américaine Janet Yellen a décrit comme du « friendshoring », en d'autres termes, la construction de chaînes d'approvisionnement dans les économies de pays que les États-Unis considèrent des amis.
« Le Canada doit et va faire preuve de la même générosité en accélérant, par exemple, la réalisation des projets énergétiques et miniers dont nos alliés ont besoin pour chauffer leurs maisons et fabriquer des véhicules électriques. », a déclaré Chrystia Freeland. « J'évoque ces exemples parce que le système d'approvisionnement auprès de pays amis se doit d'être écologique. La malédiction du pétrole est bien réelle, tout comme la dépendance d'un grand nombre de démocraties aux pétrotyrans du monde. L'amilocalisation peut protéger à la fois les démocraties libérales et la planète, si la collaboration pour accélérer la transition verte figure parmi nos premiers objectifs », a dit Freeland [4].
Cela montre comment des termes tels que « friendshoring » et ce que l'on appelle l'« économie verte » sont utilisés non pas pour améliorer le bien-être des peuples dans le pays et à l'étranger, mais pour soutenir la désespérance des États-Unis de rivaliser avec la Chine et d'humilier la Russie, ainsi que pour échapper à la crise profonde dans laquelle leurs institutions démocratiques libérales sont embourbées.
La direction prise par l'économie, qui consiste à créer une économie de guerre liée à la volonté de domination mondiale des États-Unis, n'apportera rien de bon. C'est un objectif indigne qui entraînera des conséquences indésirables alors que les travailleurs du Québec et du Canada seront réduits à des « objets » dont les salaires et les conditions de travail sont considérés comme un coût à réduire constamment, tandis que des entreprises comme GM recevront l'électricité du Québec pour une bouchée de pain et que les contribuables québécois et canadiens devront payer pour construire l'infrastructure pour sécuriser les corridors commerciaux et les nouvelles technologies que la soi-disant économie de guerre verte exige.
Notes
1. « General Motors et Lithion annoncent un investissement ainsi qu'un accord de partenariat stratégique pour établir un écosystème circulaire de batteries de véhicules électriques », Lithion, 22 septembre 2022
2. Le secrétaire d'État des États-Unis, Antony Blinken, en entrevue à l'émission de TVA, Salut Bonjour, le 28 octobre 2022
3. Communiqué de presse de la Maison Blanche et reportages des agences de presse.
4.. « Allocution de la vice-première ministre à la Brookings Institution à Washington D.C. », bureau de la vice-première ministre du Canada, 11 octobre 2022
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 1 - Octobre 2022
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