Le programme du gouvernement Legault pour le Québec
Le choix du premier ministre des ministres de son cabinet ne fait que confirmer un ordre du jour pour payer les riches
Le premier ministre François Legault a annoncé le 20 octobre la formation de son cabinet. Pierre Fitzgibbon qui fut le ministre de l'Économie et de l'Innovation dans le gouvernement précédent devient aussi ministre de l'Énergie dans le nouveau gouvernement.
L'argument présenté par ceux qui sont proches de Fitzgibbon est qu'en tant que ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie responsable d'Hydro-Québec, il pourrait intervenir plus facilement pour gérer la demande d'énergie des entreprises qui désirent s'établir au Québec et serait le mieux placé pour ce qui est de « définir quelle entreprise rapportera le plus de richesse avec les kilowattheures disponibles », comme l'a déclaré une source proche de Fitzgibbon.
Déjà, de grandes usines installées au Québec qui ont besoin de beaucoup d'énergie pour opérer, comme les alumineries, paient un tarif d'électricité d'environ 5 cents le kilowattheure pour l'énergie qu'elles utilisent, alors que le coût associé aux plus récents barrages hydroélectriques construits par Hydro-Québec est d'environ 11 cents le kilowattheure. Cette différence entre le coût de l'énergie et le tarif offert par Hydro-Québec à ces monopoles est une forme de stratagème déguisé pour payer les riches où, en fin de compte, ce sont les Québécois qui paient la facture sous forme de hausses des tarifs d'électricité résidentiels et commerciaux.
La PDG d'Hydro-Québec, Sophie Brochu, a dit le 12 octobre dernier durant une entrevue à la radio qu'elle ne veut pas que le Québec devienne « le magasin à une piastre de l'électricité dans le monde » pour ces grands intérêts privés dont les yeux sont rivés sur le Québec parce qu'Hydro-Québec peut aussi générer ce qu'on qualifie « d'énergie verte renouvelable ». Voici ce qu'elle avait à dire : « Ce qu'il ne faut faire présentement, c'est d'attirer un nombre indu de kilowatts-heure industriel qui veulent payer pas cher et après ça se dire : on est un peu pris, il faut qu'on bâtisse des barrages pour approvisionner ces gens-là. » Sophie Brochu avait déjà menacé de démissionner au printemps dernier après des échanges houleux entre elle et Pierre Fitzbibbon, ministre de l'Économie à l'époque.
Face aux manoeuvres du gouvernement de se saisir des terres et des ressources des Autochtones, l'Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador (APNQL) a publié le 18 octobre un communiqué dans lequel on peut lire qu'« après plus de 4 ans à entretenir des relations difficiles, voire conflictuelles, avec les divers ministres à vocation économique, l'APNQL ne peut donc qu'être inquiète face à la possibilité de la nomination d'un superministre de l'Économie ». Le communiqué ajoute que « les Premières Nations sont des Nations de plein droit, qui ont établi, au cours des millénaires de leur existence et de leur présence sur le territoire, leurs propres gouvernements, leurs lois et pratiques au bénéfice de leurs populations, du développement durable de leurs territoires et ressources, et dont les droits sont confirmés par la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones ».
Dans un discours prononcé après l'assermentation de son cabinet, François Legault a tenté de minimiser toutes les critiques autour de ce nouveau mégaministère de l'Économie et de l'Énergie. C'est pourquoi Legault a annoncé qu'il mettait en place un « Comité de transition énergétique » qu'il présidera et qui sera composé des ministres de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, des Finances, de l'Environnement, des Relations avec les Premières Nations et les Inuits, de représentants des peuples autochtones et Inuit, et de la PDG d'Hydro-Québec.
Subventions de l'État pour « l'énergie verte durable »
Une partie de cette « transition énergétique » dont fait allusion le premier ministre François Legault a tout à voir avec ce que le gouvernement Legault appelle une « pôle mondial pour toute la filière batterie », prévu dans la zone industrielle et portuaire de Bécancour, dans le centre du Québec.
De nombreux monopoles des secteurs minier et manufacturier liés à la production de piles rechargeables au lithium-ion ont fait connaître en 2022 leur intention de s'installer dans la région de Bécancour, le long du fleuve St-Laurent, pour y effectuer le traitement du lithium, du nickel et du graphite, des minéraux que les États-Unis prétendent qu'ils sont critiques à leur sécurité nationale. Tout en voulant se prétendre pour une économie verte, ils exigent d'obtenir des tarifs d'hydroélectricité qu'eux jugent favorables à leurs intérêts étroits privés.
Par exemple, en juin dernier l'oligopole minier brésilien Vale a annoncé son intention d'installer à Bécancour une usine avec une capacité annuelle de traitement de 25 000 tonnes de sulfure de nickel pour les transformer en sulfate de nickel, le composé chimique utilisé dans la production de matériaux actifs précathodiques pour les batteries lithium-ion à base de nickel. Le nickel proviendrait des opérations minières de Vale à Voisey Bay, au Labrador, ou de celles de Sudbury, Ontario. Le parc industriel de Bécancour doit aussi accueillir deux autres projets d'envergure : celui de la firme allemande BASF et celui de l'alliance entre l'aciérie sud-coréenne POSCO et le constructeur automobile américain General Motors pour la fabrication de matériaux pour les cathodes — élément principal de la batterie au lithium-ion. Le nickel entre aussi dans la fabrication de la cathode de ces mêmes batteries, ce qui explique l'intérêt de Vale pour Bécancour.
Le graphite utilisé pour la fabrication des composants d'anode des batteries au lithium-ion est actuellement extrait à 120 km au nord de Montréal dans la mine à ciel ouvert de Nouveau Monde Graphite (NMG). Ce projet minier a été approuvé par le gouvernement du Québec, sans que toutes les études environnementales demandées par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) aient été réalisées. NMG est détenue en partie par le groupe britannique Pallinghurst et Investissement Québec et maintenant par les entreprises japonaises Mitsui et Panasonic, qui ont annoncé le 20 octobre dernier qu'ils investissaient 25 millions de dollars US avec une contrepartie de Pallinghurst et Investissement Québec de 12,5 millions de dollars US chacun. Le graphite de haute pureté qui y est extrait pourrait également être utilisé pour la production d'armes; il sera traité dans une future usine de raffinage qui sera construite à Bécancour, dans le cadre d'une « toute nouvelle production intégrée d'anodes au Canada » [1]. En avril déjà, les gouvernements fédéral et ontarien ont annoncé l'octroi de centaines de millions de dollars non spécifiés à la société européenne Stellantis et à LG Energy Solution de Corée du Sud « pour construire une usine de batteries pour véhicules électriques de 5 milliards de dollars à Windsor ».
À Sorel, à moins de 100 km en amont de Bécancour, l'usine appartenant à la compagnie minière anglo-australienne Rio Tinto transforme le minerai de titane de Havre St-Pierre pour en extraire du dioxyde de titane et de l'oxyde de scandium, deux autres minéraux stratégiques qui ont aussi des applications militaires. Le 11 octobre dernier lors d'une visite de l'usine à Sorel, le premier ministre Justin Trudeau et François-Philippe Champagne, ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie ont annoncé des subventions par le gouvernement fédéral de 222 millions de dollars à Rio Tinto pour procéder « à l'électrification des fournaises et au remplacement du charbon » pour la « décarbonation » de l'usine. Rio Tinto a déjà annoncé qu'elle va aussi procéder à cette même usine au raffinage du lithium qui proviendrait de plusieurs sources à l'échelle internationale si « les conditions y sont favorables ».
Il va de soi que pour ces riches intérêts privés la question d'obtenir du gouvernement du Québec un tarif pour l'hydroélectricité qu'eux jugent favorable va être un facteur déterminant dans leurs décisions d'aller de l'avant avec ces projets à Bécancour et à Sorel. Guy Leblanc, PDG d'Investissement Québec, le pourvoyeur de subventions du ministère de l'Économie et de l'Innovation du Québec dont Fitzgibbon en est le ministre, a abondé dans le même sens :
« Nous sommes en discussion avec plusieurs groupes. Ça se confirme : l'ensemble de la chaîne va s'établir au Québec. Pour la première fois dans l'histoire du Québec, on va faire de la transformation de nos minéraux sur place. »
Même si cette transformation se fait sur place, rien n'indique que le gouvernement Legault sera en mesure de contrôler où ces minéraux transformés aboutiront. En d'autres mots, cette chaîne d'approvisionnement en minéraux critiques qui débute avec leur extraction, puis leur transformation n'est pas sous le contrôle du gouvernement Legault mais bien de grands intérêts privés anglo-américains, européens et japonais qui rivalisent avec la Chine et la Russie.
Note
1. Bien que présenté comme uniquement utile aux batteries de véhicules électriques, le graphite est aussi une composante d'instruments et d'armes militaires, telles les bombes au graphite comme celles utilisées par l'OTAN dans les bombardements de la Yougoslavie en 1995. La bombe au graphite est une des armes développées par l'armée américaine destinées à paralyser les équipements électriques sans les détruire définitivement. En explosant à proximité du sol, cette bombe libère des milliers de fibres de carbones microscopiques qui s'infiltrent dans tous les systèmes électriques – centrales électriques, transformateurs et postes haute tension ou systèmes de télécommunications – afin d'y créer de gigantesques courts-circuits. Voir « Des plans verts d'électrification et d'extraction minière qui se heurtent aux désirs de la population – Pierre Soublière », LML du numéro 33, 30 septembre 2022)
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 1 - Octobre 2022
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