La nécessité de faire place au renouveau

Les êtres humains ne sont pas des choses à traiter avec des pouvoirs de police

– Rolf Gerstenberger –


Ce qui suit est basé sur la présentation faite par Rolf Gerstenberger à une réunion tenue par le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) à Gatineau les 27 et 28 juillet 2022. Rolf est président du Parti.

Les travailleurs du monde entier sont confrontés à la détérioration de leurs conditions de vie et de travail. Ils sont également conscients de l'attaque généralisée contre les droits et contre l'environnement humain et naturel. Alors que des intérêts privés étroits ont récolté des milliards de dollars des richesses produites par les travailleurs, ces derniers sont confrontés à l'appauvrissement, à l'insécurité et aux attaques incessantes contre ce qui leur appartient de droit.

Le recours à la force contre les luttes de résistance du peuple est une tendance croissante. Elle est notamment utilisée à maintes occasions contre les luttes menées par les peuples autochtones, les migrants, les travailleurs de la santé, les travailleurs de l'éducation et d'autres dans tous les secteurs de l'économie. Néanmoins, ce qui ressort, ce sont d'une part les réclamations que tous sont en droit de faire à la société, exprimées sous forme de demandes et de solutions et, d'autre part, le fait qu'ils ne sont pas écoutés parce qu'ils n'ont pas le pouvoir de s'assurer que les problèmes sont résolus dans leur intérêt.

L'absence de pouvoir politique est immédiate et de plus en plus perçue par les travailleurs comme un problème urgent. Pour toutes les grandes questions, des personnes, quelque part sur la planète, ont proposé des solutions. Ce qu'il faut faire pour la plupart des problèmes est connu ou connaissable. C'est le cas des questions liées à la guerre et à la paix, ou de la manière de protéger la Terre Mère, ou encore comment remédier à l'appauvrissement croissant, à la diminution des salaires due à l'inflation, aux inégalités et à la discrimination, aux attaques de l'État et à la négation des droits humains. Aujourd'hui, au XXIe siècle, le principal défi de l'humanité n'est pas de trouver des solutions à ces problèmes. Or, les élites dirigeantes dépensent des sommes considérables pour des conférences, des réunions, des rapports et des consultations de toutes sortes pour détourner toute cette volonté vers des stratagèmes pour payer les riches et faire taire ceux qui proposent les solutions requises. Bref, le peuple est écarté de la recherche de solutions et c'est le problème posé et à résoudre aujourd'hui.

Aujourd'hui, au Canada et dans de nombreux autres pays, les assemblées législatives sont devenues dysfonctionnelles. Si nous pouvions dire auparavant qu'elles abordaient les problèmes du peuple dans une mesure ou une autre, ce n'est plus le cas. Les travailleurs ont leur propre expérience d'être réduits au silence, leurs préoccupations ignorées, voire carrément rejetées, et ils en voient la preuve à tous les jours. Dans tout le pays, le Parti encourage les travailleurs à s'exprimer en leur nom propre sur les problèmes auxquels ils sont confrontés et sur ce qu'ils font pour les résoudre ou sur ce qu'ils pensent qu'on peut faire pour les résoudre.

Les travailleurs savent ce qu'il faut faire, mais il leur manque les mécanismes pour y donner suite, que ce soit sur les lieux de travail ou dans les espaces publics, pour délibérer sur les questions qui les préoccupent, eux, leurs communautés, les secteurs de l'économie et la société elle-même, ainsi que le monde qui nous entoure. Tout le monde est confronté à la difficulté de travailler ensemble pour délibérer sur les questions qui nous préoccupent et apporter des solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Il est également vrai que, où que l'on regarde, pour les élites dirigeantes les êtres humains sont des choses dont il faut traiter en utilisant les pouvoirs de la police. Nous avons dépassé le stade où l'on traite les êtres humains comme des choses. Aujourd'hui, les êtres humains sont sans droits ni considération. La conception moderne qui favorise les peuples du monde est que les êtres humains ont des droits du seul fait qu'ils sont humains. L'élite dirigeante s'efforce d'éliminer cette vision moderne, quel qu'en soit le prix. Alors le point de vue qui domine est que les êtres humains sont des choses, dont on peut disposer selon le bon vouloir de ceux qui ont le pouvoir de le faire.

La récente décision de la Cour suprême des États-Unis qui attaque les droits des femmes en est un excellent exemple. Elle considère que les femmes sont des choses et que si elles s'y opposent, on peut en disposer en les criminalisant ou, dans certains cas, en les tuant. Si nous acceptons que les femmes puissent être éliminées de cette manière, n'importe qui peut l'être aussi.

Et que cette décision ait été prise de façon éhontée aussi  reflète également la réalité que, en général, les dirigeants consolident des gouvernements de pouvoirs de police. Ces gouvernements ne sont pas fondés sur le droit et ne se préoccupent pas de la légitimité, ils se préoccupent uniquement du maintien du pouvoir pour les élites dirigeantes.

Dans une situation où les dirigeants sont de plus en plus désespérés, incapables de résoudre un quelconque problème et confrontés à un échec après l'autre, tandis que les peuples sont de plus en plus en colère et de plus en plus conscients de la nécessité d'un changement favorable qui soit dans leur intérêt, cette réalité des êtres humains considérés comme des choses et traités en utilisant les pouvoirs de police devient de plus en plus dévastatrice.

Considérer les êtres humains comme des choses signifie également qu'ils peuvent être déplacés, remplacés et mis au rebut, comme des machines, comme des biens. Les États-Unis et des pays comme la Grande-Bretagne, le Canada et d'autres ont une histoire d'esclavage, des centaines d'années où les êtres humains étaient des biens, possédés, tués, leurs enfants enlevés, les femmes violées et utilisées comme des machines produisant plus de « choses » humaines, et ainsi de suite. Cette volonté des dirigeants de faire des êtres humains des choses n'est pas nouvelle, c'est un retour à l'ancien. Les dirigeants de ces pays sont incapables d'avancer parce qu'ils refusent de répondre aux besoins des temps modernes où les êtres humains, les peuples, doivent être investis du pouvoir de décider de leurs affaires. Revenir en arrière, s'efforcer de garder le contrôle en recourant à ces moyens qui viennent d'une époque révolue et détruire tout ce qui ne peut être contrôlé, voilà ce qui caractérise les élites dirigeantes aujourd'hui. Comme beaucoup l'ont conclu, elles ne sont pas aptes à gouverner et n'ont plus la légitimité pour le faire. La conscience collective qui émerge au sein du peuple est que le peuple lui-même doit devenir le dirigeant, qu'il doit détenir le pouvoir politique et qu'il est la force décisive pour atteindre cet objectif.

S'en remettre aux constitutions, aux gouvernements dysfonctionnels ou aux exécutifs comme les premiers ministres ou les présidents – qui sont les principaux à imposer des pouvoirs de police – ne résoudra pas les problèmes et ne fera que les exacerber. On peut le constater en partie avec leurs manoeuvres actuelles. En Grande-Bretagne, les conditions sont telles qu'un chef de parti peut démissionner de son poste de chef de parti, tout en restant premier ministre, comme l'a fait Boris Johnson. Cela est contraire aux normes établies en matière de gouvernance parlementaire, où c'est le chef du parti au pouvoir qui est premier ministre. Mais, dans le soi-disant « ordre international fondé sur des règles » que les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et d'autres pays imposent, les règles sont inventées et changées au besoin.

Le taux de participation aux élections en Ontario cet été a été très faible. C'est l'expression du rejet de la gouvernance existante, et pourtant Ford peut revendiquer une majorité de sièges et dire qu'il a un mandat incontesté. Ou encore, aux États-Unis, bien que les gens considèrent la Cour suprême et le Congrès comme illégitimes et biaisés, les pouvoirs de police utilisés contre les femmes et les dispensateurs des soins de santé sont maintenus.

Tous ces agissements des gouvernements ont accru les conflits entre les factions au pouvoir, mais aussi la colère des citoyens. Ce n'est pas un hasard si les nombreuses manifestations qui ont lieu partout aux États-Unis contre l'attaque contre les soins de santé des femmes incluent des mères, des filles et des petites-filles, les mères s'étant battues pour les droits qui sont maintenant attaqués. Il y a une prise de conscience que le recours aux anciennes méthodes ne suffira pas. On peut dire la même chose des nombreuses luttes menées ici au Canada, par les cheminots, les travailleurs de la santé et de l'éducation et bien d'autres.

Aux États-Unis, les démocrates ont eu pendant des années l'occasion d'inscrire le droit à l'avortement dans la loi, comme lorsque Obama a fait passer sa loi Obamacare sur les soins de santé. Ils ne l'ont pas fait. Les efforts déployés aujourd'hui pour que certains politiciens fassent bonne figure face à leurs adversaires lors des élections de mi-mandat de novembre 2022 sont vus comme de simples manoeuvres. Cela montre qu'aux yeux du peuple, les élections ne servent plus à régler les conflits ni à maintenir les illusions de la démocratie. En effet, beaucoup craignent que les élections, surtout aux États-Unis, n'aggravent davantage les conditions de guerre civile et les efforts pour diviser le peuple, dresser les Américains les uns contre les autres pour les empêcher de faire avancer leurs luttes pour la paix, la justice et la démocratie. Cela se répercute ensuite au Canada, où les mêmes factions sont à l'oeuvre. De même, en Grande-Bretagne, en France et dans d'autres pays, les élections ne servent plus à préserver des ordres constitutionnels qui ne sont plus en phase avec les besoins de l'époque.

Lorsqu'il s'agit de délibérer et d'apporter des solutions aux problèmes qui se posent, il est important de considérer les conditions et les conflits de notre propre point de vue, un point de vue qui nous est favorable. Il est nécessaire de prendre le monde tel qu'il est et de regarder ce que révèle l'ensemble des relations humaines dans leur état actuel. C'est-à-dire que nous examinons l'ensemble des relations entre humains et entre les humains et la nature, toutes les institutions, toutes les relations nombreuses, variées et enchevêtrées, tout ce qui concerne les humains et la nature.

Actuellement, comme les gens en font déjà l'expérience, ces relations révèlent l'absence de pouvoir politique pour la classe ouvrière et le peuple et la nécessité de résoudre ce problème en faveur du peuple qui doit s'organiser pour s'approprier le pouvoir politique. Des guides généraux existent déjà à ce sujet. Par exemple, Marx a reconnu que les êtres humains naissent en société et entrent dans des relations indispensables indépendamment de leur volonté individuelle. Qu'ils soient maîtres d'esclaves ou esclaves, ils naissent en société. Les règles, les institutions et les arrangements se développent ensuite sur cette base. Il a également souligné que les relations sociales ne sont qu'un aspect des relations qui existent. L'ensemble des relations dans lesquelles les êtres humains entrent est constitué de toutes les relations, fonctions, institutions et arrangements, y compris ceux qui dépassent les relations de classe. C'est l'ensemble dans sa totalité.

Les relations qui existent proviennent des énormes forces productives qui existent et sont indépendantes de la volonté de quiconque. En d'autres termes, les conditions et les circonstances existent indépendamment de chacun d'entre nous. Elles sont nécessaires, ce qui signifie qu'il y a nécessité et aussi qu'elles incorporent toutes les possibilités de ce que nous, en tant qu'individus et collectifs, allons faire de cette situation – avec notre volonté, nos intérêts qui constituent la base du pouvoir politique.

Lorsque les capitalistes prétendent contrôler ces relations, cela signifie qu'ils prétendent également pouvoir contrôler ce qui est indépendant de leur volonté et nous empêcher d'exercer notre volonté. Notre réalité est donc que nous existons tous dans des conditions d'esclavage, bloqués dans l'exercice de notre volonté, ce qui est une contradiction fondamentale dans la société.

En parlant du pouvoir, il faut souligner que le pouvoir doit être entier et intégral, ce qui signifie qu'il ne peut y avoir de séparation des pouvoirs. Être intégral signifie que chaque aspect est essentiel, nécessaire pour compléter le tout. Contrairement aux gouvernants qui prétendent qu'il existe une séparation des pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire – il s'agit en fait d'une division du travail; c'est le pouvoir unique qui autorise les différentes fonctions. La notion de séparation est destinée à faire croire que l'un ou l'autre « pouvoir » peut aider, si seulement il y avait de meilleures personnes aux commandes. Comme les conditions le montrent clairement, ce n'est pas le cas.

Aux États-Unis, on ne peut compter ni sur le Congrès, ni sur le bureau du président, ni sur les tribunaux pour bloquer la concentration croissante du pouvoir dans l'exécutif et l'utilisation des pouvoirs de police contre le peuple. Il en va de même au Canada. Les tribunaux sont un pouvoir de police à eux seuls, tout comme le premier ministre, son bureau et son cabinet, tandis que les parlements sont de plus en plus dysfonctionnels en matière de prise de décision. Loin de la séparation des pouvoirs, le pouvoir politique des classes dirigeantes reste entier et indivisible et le problème auquel les dirigeants sont confrontés est celui des guerres de factions qui se mènent pour le contrôler.

Marx a mis en évidence l'histoire de la lutte des classes et de la propriété privée et a également souligné qu'un trait distinctif de la société bourgeoise est que l'ensemble de la société se divise de plus en plus en deux. Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels soulignent : « La société se divise de plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. »

Plusieurs points sont significatifs ici. Il est important de garder à l'esprit que la société ici est prise dans son ensemble au départ, qu'elle forme un tout intégral. Il n'y a pas une force extérieure à l'oeuvre qui engendre cette division dont parlent Marx et Engels. La contradiction se développe au sein de l'ensemble. Il y a une simplicité qui se développe. Marx ne fait pas référence aux relations sociales qui existent, et il ne dit pas que c'est un problème de complexification de la société, qui détourne notre attention de l'ensemble de la société et qu'elle se divise en deux.

En reconnaissant que le problème et les solutions font partie intégrante de l'ensemble lui-même et que c'est cet ensemble qu'il faut aborder, on peut lutter contre toutes sortes de fraudes qui sont promues aujourd'hui. L'une de ces fraudes concerne les élections, comme celle qui consiste à dire que le problème n'est pas dû aux institutions non démocratiques existantes, mais à l'ingérence d'une puissance étrangère pour obtenir un certain résultat électoral. Il en va de même pour la propagande concernant la source du danger pour la sécurité nationale, l'instabilité économique, les changements climatiques, la violence, la discrimination, l'inégalité, etc.

Lorsqu'on parle de pouvoir, il faut reconnaître que le pouvoir suprême est également entier et intégral et que l'on ne peut en parler sans voir qu'il se fonde sur la contradiction antagoniste au sein de la société dans son ensemble.

Qu'est-ce qui se divise ? Ce ne sont pas les travailleurs et les capitalistes en tant que tels qui se séparent, car ils n'ont jamais été ensemble, mais deux classes qui restent enchevêtrées dans le tout. Ce ne sont pas deux mondes différents ou deux camps qui se font directement face, pour la même raison – ils restent enchevêtrés dans le tout. Ce sont les forces productives extérieures créées par les humains qui échappent à leur contrôle. Notre problème aujourd'hui n'est pas l'existence de ces énormes forces, mais plutôt le fait que la classe ouvrière et le peuple ne les contrôlent pas au profit de l'humanité.

L'attention doit être portée à l'ensemble de la société, qui doit être transformé en un nouvel ensemble, un ensemble de société humaine digne de l'espèce humaine. Tel est le problème qui se pose à nous, un nouveau tout, pas un tout ancien recyclé, pas une autre société civile avec de « meilleures personnes » et de « meilleures politiques », mais un tout de société humaine adapté à l'espèce humaine.

Les travailleurs, leur politique indépendante, leur conception du monde, sont décisifs dans la création de ce nouveau tout. Ils ne sont pas seulement les producteurs et les plus nombreux, ils sont aussi les plus proches des vastes forces productives humaines. Leur devoir est de se révolter contre le fait d'être de simples producteurs, pour devenir les détenteurs du pouvoir politique. Ils doivent utiliser leur pouvoir pour se donner les moyens d'agir et donner le pouvoir au peuple, pour gouverner et prendre les décisions qui affectent sa vie.

Dans ces conditions, il est nécessaire de poursuivre les efforts pour défendre les droits – comme avec les manifestations, les grèves, les campagnes syndicales, les pétitions, les protestations, la propagande et l'agitation qui présentent des revendications aux gouvernements à tous les niveaux. Il est également nécessaire d'aller plus loin dans ces luttes et de s'organiser pour investir le peuple du pouvoir de décider. Il est essentiel de résoudre ce problème de manque de pouvoir politique en créant nous-mêmes des mécanismes et des institutions pour les délibérations politiques nécessaires et pour diffuser largement nos propres points de vue, expériences et solutions.

Les rassemblements politiques pour échanger des points de vue sont une forme d'échange, tout comme les réunions virtuelles et autres pour échanger des expériences. L'extension de l'utilisation et de la dissémination de notre presse, la presse du Parti et la presse sans parti, nos programmes radio, nos podcasts, nos vidéos et d'autres moyens de ce type, ainsi que la participation au renforcement des projets que nous développons, sont autant de moyens de s'engager dans la création de définitions modernes et de nouvelles formes qui activent le facteur humain/conscience sociale nécessaire à cette conjoncture historique pour investir le peuple du pouvoir de décider de ses affaires.


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Volume 52 Numéro 1 - Octobre 2022

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