Secteur préhospitalier au Québec

L'urgence de mettre fin aux horaires de faction pour les paramédics


Les paramédics de l'Abitibi-Témiscamingue et du Nord québécois protestent contre des horaires de travail intenables, 16 mars 2022.

Félix-Antoine Lafleur est le président du conseil central CSN de l'Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec. Voici une entrevue qu'il a accordée à Forum ouvrier.

Forum ouvrier : Récemment, les médias ont parlé d'une véritable explosion d'heures de ruptures de services ambulanciers en Abitibi-Témiscamingue depuis quelques années. Peux-tu nous en dire plus ?

Félix-Antoine-Lafleur : Notre expérience sur le terrain confirme que les ruptures de services se multiplient.

Pour expliquer la situation, il faut savoir que, dans notre région, nous sommes toujours dans le contexte des horaires de faction versus les horaires à l'heure. Dans un horaire de faction, les paramédics sont de garde pendant une période de 7 jours consécutifs, 24 heures par jour. Ils vaquent à leurs occupations quotidiennes mais doivent demeurer dans un rayon de 5 minutes du véhicule ambulancier. Alors que dans les horaires à l'heure, dans les grands centres, les ambulanciers sont dans leur véhicule, prêts à répondre aux appels. Ils ont un quart de travail normal, à l'heure, avec une heure de début et une heure de fin.

Aussi, en ce qui concerne les ruptures de services, dans le nord du Québec, on vit une situation de pénurie de main-d'oeuvre dans plein de domaines. Pour les jeunes paramédics, pour la relève, les horaires de faction ne sont pas attrayants. Cela les force à se commettre à de longues périodes de disponibilité. Ils veulent avoir une meilleure flexibilité, fonder une famille. Lorsque tu dois être 7 jours sur appel, sans jamais savoir si tu vas être à la maison pour le souper, ce n'est pas idéal pour la conciliation travail-famille. Les paramédics ne sont pas attirés par ces horaires là. Il y a donc des paramédics qui, même s'ils sont formés dans la région, quittent la région pour aller travailler à l'extérieur avec des horaires a l'heure, pour avoir une vie de famille.

Tout ceci nous amène à des situations de rupture des services parce qu'il manque de paramédics à cause des conditions qui ne sont pas attrayantes. Cela crée une surcharge sur les paramédics actuels.

On a appris récemment qu'à chaque mois, dans l'entreprise ambulancière Dessercom en Abitibi-Témiscamingue, il manque environ 10 paramédics pour pouvoir donner les services de base. Cette charge de travail est assumée par les autres paramédics. Cependant ils ont des limites, il y a des limites de temps supplémentaire que tu es capable de faire, des limites à ta capacité de te déplacer physiquement dans une région. On n'est pas capable de combler la demande des services. Les postes à combler sont comblés par des paramédics qui sont déjà sur un horaire à temps plein. On n'est pas capable de les combler totalement.

Et cela dure depuis longtemps. C'est une absurdité quand on sait que les horaires de faction ont été mis en place en 1989 au Québec comme une mesure temporaire en attendant d'implanter des horaires à l'heure partout. Cela fait 33 ans de cela ! À l'heure actuelle, la proportion de paramédics en horaires de faction est d'environ 66 % du nombre total de paramédics dans la région. Les autres, soit environ le tiers du nombre total, sont sur des horaires à l'heure.

Il y a beaucoup d'emplois dans la région dans l'extraction des ressources naturelles où les salaires sont supérieurs à ce que touchent les paramédics. Alors c'est normal que des paramédics se demandent si ça vaut la peine de vivre tout cela dans leur travail, qui est un métier d'urgence, avec les problèmes qu'on connaît de santé psychologique parmi le personnel. Cela pousse à la réflexion, c'est un métier très difficile. Bien sûr c'est possible de faire face à ces problèmes, avec de l'accompagnement bien sûr, mais plusieurs peuvent penser qu'ils ne veulent pas exposer leur famille à cela, nuire à la qualité de la vie de famille.

Du coté syndical on demande depuis longtemps une conversion vers des horaires à l'heure. C'est vrai que les horaires à l'heure demandent plus de personnel, environ le double de ce qui est utilisé pour les horaires de faction. Par contre, les horaires à l'heure attirent les paramédics. Il faut investir, faire des plans bien documentés, avec des échéanciers précis, pour que les paramédics restent avec nous, pour que ceux qui commencent sachent qu'ils vont pouvoir travailler avec des horaires à l'heure.

FO  : À ton avis, quelle est la raison d'une telle opposition à implanter des horaires à l'heure partout ?

FL : Ce sont des enjeux économiques. Les frais de personnel augmentent d'environ du double mais c'est la seule variable qui change. Le reste ne change pas. Le véhicule, le matériel utilisé, etc., restent les mêmes.

Et nous ne demandons pas que cette conversion se fasse de façon cavalière, du jour au lendemain. La question c'est d'avoir un plan qui est clair. La pénurie de main-d'oeuvre ne va pas se résorber du jour au lendemain. On aura besoin de plus de main-d'oeuvre pour pouvoir faire les conversions. Il faut d'abord mettre en place les conditions gagnantes pour que la conversion devienne une réalité. Au lieu de trouver des excuses et dire que cela ne fonctionnera jamais, mettons en place des mesures pour avoir la main-d'oeuvre suffisante.

Au fond de tout cela il y a un débat idéologique. Il faut décider de ce qui va primer, la rentabilité économique pure et dure ou un service équitable à l'ensemble de la population. Il faut arrêter de voir le système préhospitalier uniquement comme une dépense. Il faut le voir comme un investissement pour le bien de la société.

(Photo: FSSS-CSN)


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Volume 52 Numéro 79 - 21 décembre 2022

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