La restructuration antisociale du système de santé du gouvernement Legault
La fraude de la privatisation comme complément au réseau public
La crise actuelle en santé est le résultat de plusieurs décennies d'offensive néolibérale antisociale. Une des caractéristiques de cette offensive est de nier la responsabilité de la société envers ses membres et le rôle du gouvernement en tant que défenseur du bien public. Cela nécessite une redéfinition de ce qu'est le domaine dit public. Juste le fait que la notion de public ait été associée à un « secteur » – l'autre étant le privé – est problématique. Une redéfinition du domaine dit public par les principaux intéressés – les travailleurs de la santé, mais aussi l'ensemble des travailleurs et de la population – est à l'ordre u jour.
Le recours au privé, comme la construction de mini-hôpitaux récemment annoncée par le gouvernement du Québec, est présenté comme étant des mesures complémentaires aux institutions de santé publique, visant même à « désengorger les urgences » et « réduire les listes d'attente ». En 2018, le président des Chambres de commerce du Québec, dans un article intitulé « Le secteur privé, partenaire d'un système public et universel de santé », parle du problème des listes d'attente qui perdurent, « malgré les milliards de dollars d'investissement consentis par le trésor au cours des dernières années ». Cette affirmation en soi fait partie de l'affirmation non fondée que le système public n'est pas performant. Le président de la Chambre de commerce ne prend même pas en compte qu'à peine trois ans plus tôt, le gouvernement avait coupé des millions de dollars en santé avec sa réforme de centralisation, de laquelle le système ne s'est jamais remis. Il parle d'une « collaboration étroite et clairement avantageuse » qui se serait développée entre le secteur public et les entreprises privées et affirme que ce serait mal interpréter l'esprit de la Loi canadienne sur la santé que de voir dans ce genre de services connexes une entorse au principe de l'accès universel.
Le premier ministre du Québec François Legault a tenu des propos semblables plus récemment en annonçant ses nouveaux projets de mini-hôpitaux. Après avoir dit que la place du privé dans l'offre des soins de santé est un « sujet un peu délicat au Québec », il a ajouté qu'il ne fallait pas parler du privé « comme si on parlait du diable ». C'est pourtant ce genre de diabolisation auquel se prêtent les gouvernements lorsque les travailleurs revendiquent des salaires et des conditions de travail qui leur sont acceptables à la hauteur du travail qu'ils effectuent. C'est précisément ce que Doug Ford a fait lorsqu'il a déclaré que les augmentations raisonnables réclamées par les travailleurs en éducation détournent l'argent qui est supposé aller pour les écoles, la santé, le transport en commun et les infrastructures, pour les « services vitaux sur lesquels comptent les travailleurs acharnés de cette province ».
Dans une lettre ouverte en date du 22 septembre, la docteure Élise Girouard-Chantal, médecin résidente, au nom du conseil d'administration des Médecins québécois pour le régime public, dit : « Ne nous laissons pas flouer : le but premier des entreprises privées est de faire du profit, même en santé. » Elle explique que le mode de financement qui a cours dans les Groupes de médecine familiale (GMF) est public mais que la gestion est privée. Elle affirme que ce mode de financement coûte beaucoup plus cher à l'État, puisque les médecins qui y pratiquent reçoivent, pour chaque acte, une rémunération supérieure de 35 % qui vise à couvrir les frais de fonctionnement de la gestion privée. Une portion significative de GMF est constituée de sociétés par actions faisant des profits substantiels sur le dos des Québécois payant taxes et impôts, dit-elle.
Elle poursuit en disant que les initiatives de privatisation telles que celle mise de l'avant par la CAQ privent le système public de sa capacité de soigner les patients. L'exemple illustrant parfaitement ce concept, dit-elle, est celui des agences privées de placement, abondamment utilisées pendant la pandémie. Les travailleurs recrutés par ces agences étaient des travailleurs du public ayant quitté le réseau pour être réengagés via l'agence, parfois dans le même hôpital. Pour le même travailleur, le gouvernement paye alors plus cher, car les agences se gardent une généreuse marge de profit.
La docteure Girouard-Chantal ajoute que la privatisation est souvent présentée comme la solution miracle permettant de donner de meilleurs soins et de réduire les listes d'attente. Les données démontrent, en fait, qu'un réseau privé parallèle ne permet pas d'alléger le fardeau du public, risquant au contraire d'y allonger les délais d'attente. Dans le domaine des soins de longue durée, des études ont démontré que les établissements privés étaient associés à une qualité moindre des soins, et même à un surplus de mortalité. Le mythe de la supériorité de la gestion privée au Québec s'est effondré pendant la pandémie avec les résidences privées pour aînés.
Les propositions mises de l'avant par la docteure rejoignent celles de la FIQ et d'autres syndicats : améliorer les conditions de travail des infirmières en abolissant le temps supplémentaire obligatoire, adopter une loi sur les ratios patient-personnel sécuritaires et bloquer la sous-traitance avec les agences privées de main-d' oeuvre, bloquer les GMF à but lucratif, les centres médicaux spécialisés à investisseurs privés et les partenariats publics-privés.
Pour ce qui est des CHSLD et des résidences pour personnes âgées privés, de nombreux rapports, dont celui de la coroner du Québec Géhane Kamel sur les décès de personnes âgées ou vulnérables survenus dans des milieux d'hébergement au cours de la première vague de la pandémie de COVID-19, ont dénoncé le fait que la santé de nos aînés soit confiée à des institutions privées dont le but est de faire de l'argent sur leur dos. Les preuves étaient accablantes, et démontraient que ces résidences ne sont pas équipées en ressources humaines et matérielles pour traiter de maladies et de problèmes fréquents chez les aînés, ni même pour prendre des mesures épidémiologiques de base, et encore moins pour faire face à une pandémie.
Certaines familles dont les proches ont été victimes de ces tragédies font toujours des démarches devant les tribunaux pour obtenir justice. La plus récente est une poursuite civile où deux familles réclament des dommages au gouvernement du Québec pour la maltraitance présumée de leurs parents durant la première vague de COVID-19. Un membre d'une des familles a dit qu'il est important d'obtenir justice, nos aînés ayant été sacrifiés, et qu'il espérait qu'un jugement en faveur des familles forcera le gouvernement à améliorer les soins aux aînés et qu'il fasse en sorte qu'une telle tragédie ne se reproduise pas. Ces familles craignent que le rapport de la coroner Géhane Kamel sur les décès survenus en CHSLD soit relégué aux oubliettes et s'expliquent mal pourquoi, pendant la campagne électorale, les partis n'ont pas osé parler de la situation catastrophique dans les CHSLD, affirmant qu'on ne peut pas faire semblant que ça n'existe pas.
Dans son rapport, la coroner avait déclaré que cette tragédie
représentait une « rupture du contrat moral et sociétal ».
Ses mots expriment bien, en fait, la situation actuelle puisque
depuis quelques décennies déjà nous assistons bel et bien à une
rupture du contrat moral et sociétal de la société civile. Toute
notion même de société et de la responsabilité des gouvernements
en tant que garants du mieux-être de la population est caduque.
Devant le démantèlement du système de santé où chacun est laissé
pour compte, devant ces graves atteintes à notre bien-être
physique et mental, qui d'autre que le public lui-même —
constitué des travailleurs de la santé et de l'ensemble des
travailleurs et de la population — peut venir à la défense de
soins qui répondent aux besoins de la population et qui lui
reviennent de droit ? Qui d'autre est en mesure de mettre
sa force collective en marche et de rallier tout le monde autour
d'un programme de santé publique dont le contenu se dessine
clairement, avec, en priorité, l'amélioration des conditions de
travail des personnes qui dispensent les soins et la protection
de leur santé et de leur sécurité ?
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 71 - 7 décembre 2022
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