Le parcours d'Hydro-Québec


Les débuts

Au moment de sa création, en 1944, Hydro-Québec n'exploitait que quatre centrales concentrées dans la grande région de Montréal. Tout le reste du Québec était sous le contrôle de sociétés d'électricité privées, chacune avec ses propres tarifs. Dans le Québec de l'après-guerre, la demande d'électricité augmentait alors au même rythme que l'économie : elle doublait tous les dix ans. Cette croissance très rapide a forcé les compagnies d'électricité à lancer des grands projets à un rythme effréné.

La plupart des rivières près des grands centres urbains avaient déjà été harnachées au Québec. Ce qui s'annonçait était d'immenses chantiers de construction de barrages hydroélectriques en régions éloignées. Cela exigeait des investissements énormes d'argent gelés pendant de nombreuses années avant qu'il y ait un retour monétaire sur ce financement qui avait aussi sa part de risques, que les sociétés privées d'électricité n'étaient pas prêtes à assumer. C'est là qu'intervient Hydro-Québec en tant que société d'État qui va prendre tous ces risques alors que les grands financiers de Wall Street et d'ailleurs lui prêtent l'argent pour financer de tels grands projets tout en se voyant garantir par le gouvernement du Québec un retour sur leurs investissements.


La nationalisation de l'électricité avec compensation
des sociétés privées

En 1962, les onze compagnies d'électricité privées ont été nationalisées par le gouvernement libéral de Jean Lesage. Elles offraient l'avantage d'être réparties sur tout le territoire du Québec mais elles étaient dominées par des intérêts anglo-canadiens, américains et britanniques, qui n'accepteraient pas de se laisser nationaliser sans être compensées. Ces onze compagnies en question étaient aussi de gros bailleurs de fonds des partis politiques au Québec.

Le gouvernement de Jean Lesage a déclenché à l'automne de 1962 une élection référendaire sur ce projet de nationalisation avec comme slogan « Maintenant ou jamais, Maîtres chez nous ». L'argument qu'on faisait valoir aux Québécois était qu'avec cette nationalisation tous pourraient payer le même tarif d'électricité et contrôler le développement de cette ressource naturelle. Le 14 novembre 1962, les libéraux remportaient les élections. Les onze compagnies privées d'électricité ont été rachetées pour une somme de plus de 600 millions de dollars, ce qui représentait une somme énorme si on considère que les revenus du gouvernement du Québec en 1961-1962 ont été de 750 millions de dollars.

Par contre, le gouvernement Lesage n'a jamais voulu nationaliser les installations de la trentaine d'industries produisant l'électricité à leurs propres fins, dont la plus grande était Alcan qui exploitait déjà 2 000 mégawatts au Saguenay et au Lac-Saint-Jean. Encore de nos jours, les 640 travailleurs de la filiale Énergie électrique de Rio Tinto Alcan voient aux opérations et à l'entretien de ses 28 barrages et six centrales qui représentent la deuxième plus grande installation de production d'hydroélectricité au Québec.


1981 à 1989 - le changement de mandat d'Hydro-Québec dans
un but commercial

Un des grands projets commencés par Hydro-Québec en 1959 a été celui d'harnacher la rivière Manicouagan, sur la Côte-Nord du Québec. C'est durant cette période que de nombreux ingénieurs embauchés par Hydro-Québec ont été formés à la construction de ces grands barrages hydroélectriques, dont un des plus grands barrages à voûtes multiples au monde. Cette expertise en ingénierie d'Hydro-Québec s'est développée par la suite avec de nouvelles innovations, dont la construction dans les années 1960 et 1970 des lignes de transport d'électricité à des très hautes tensions de 735 000 volts, une première mondiale.

Mais tout ce savoir-faire a commencé à être récupéré par les grandes firmes de génie-conseils américaines. Ainsi, le gouvernement libéral de Robert Bourassa a annoncé en 1970 le projet de construction des barrages hydroélectriques sur les rivières du bassin de la Baie James, sans le consentement de la Première Nation crie qui n'avait jamais cédé son immense territoire. Il a eu à faire face non seulement à la résistance des peuples autochtones mais aussi à se plier aux exigences des grands financiers de Wall Street qui ont mis comme condition pour prêter les sommes requises par Hydro-Québec que le maître d'oeuvre de ce gigantesque chantier soit la firme de génie-conseil américaine Bechtel.

Entre 1978 et 1983, une série de mesures législatives ont transformé la mission et les structures d'Hydro-Québec. L'équipe de commissaires indépendants qui la dirigeait depuis 1944 est remplacée par un conseil d'administration, dont les onze membres seraient nommés par l'État. Hydro-Québec est alors devenue une compagnie à vocation commerciale assujettie au gouvernement et qui doit générer des profits. Le statut juridique et la structure financière d'Hydro-Québec sont modifiés. L'État est alors devenu « actionnaire unique » d'Hydro-Québec. Ses gains de productivité ne se traduiront plus en baisses de tarifs, mais en dividendes remis à l'État. En 1989, une nouvelle modification de la loi régissant la gouvernance d'Hydro-Québec vient renforcer cette vocation commerciale en attribuant de façon explicite à la société d'État le mandat d'exporter de l'électricité et de mener des activités dans tout domaine connexe ou lié à l'énergie.


Le néolibéralisme et la destruction nationale des années 1990

Depuis le début des années 1990 le mot à la mode était « libéralisation ». L'élite financière des États-Unis et d'ailleurs cherchait le moyen de briser les monopoles d'énergie que détenaient les États. L'idée était de diviser partout la production, le transport et la distribution en trois entités distinctes que des entreprises privées pourraient racheter. Cette libéralisation a requis de créer de nouveaux cadres réglementaires et d'organiser le marché de l'électricité en zones d'échanges.

Cette libéralisation des marchés de l'énergie a permis au début à Hydro- Québec d'écouler ses surplus d'électricité à un prix nettement plus élevé que sur le marché domestique. Le seul hic : la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) des États-Unis n'autoriserait jamais Hydro-Québec à pénétrer le marché américain si le gouvernement du Québec continuait de protéger son monopole domestique.

En 1997, pour se plier aux demandes de la FERC, le gouvernement du Québec a transformé Hydro-Québec en un holding regroupant trois sociétés commerciales : Hydro-Québec Distribution, Hydro-Québec Transport (appelée TransÉnergie) et Hydro-Québec Production, pour satisfaire aux règles du marché américain. La création de la Régie de l'Énergie au Québec l'année d'avant, avec ses pouvoirs quasi judiciaires, avait été une autre condition de la FERC.

Avec le changement du statut d'Hydro-Québec à celui d'une entreprise commerciale, les tarifs d'électricité proposés par Hydro-Québec étaient maintenant débattus en commission parlementaire puis décidés au bureau du premier ministre. Avec la mise en place en 1996 de la Régie de l'énergie du Québec, Hydro-Québec doit maintenant défendre chaque demande de hausse et comparaître devant les régisseurs. Par contre, le gouvernement peut agir sur la Régie par des lois et des décrets.

En décembre 2019, le gouvernement Legault a fait adopter sous bâillon le projet de loi 34, Loi visant à simplifier le processus d'établissement des tarifs de distribution d'électricité.

Cette loi soustrait à partir de 2020 Hydro-Québec à l'obligation de se soumettre à un examen annuel de la Régie de l'énergie pour justifier ses demandes de hausses des tarifs et ses projets de vente et/ou d'exportation d'énergie. C'est donc le gouvernement caquiste qui prend le rôle de dicter les tarifs d'électricité et d'ouvrir le marché de la vente de blocs d'énergie à des groupes industriels supranationaux qui opèrent au Québec ainsi que l'exportation de l'énergie. C'est ce que cela signifie la politisation d'intérêts privés étroits. Le pouvoir décisionnel est directement usurpé par ces intérêts.


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Volume 52 Numéro 67 - 2 décembre 2022

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