L'allégeance du gouvernement Legault aux intérêts privés de McKinsey et compagnie

– Pierre Soublière –

Le cabinet-conseil McKinsey & Company est de retour dans les nouvelles, cette fois en lien avec Hydro-Québec. On lui a laissé le champ libre dans la gestion des institutions publiques du Québec. Cette fois, on prétend que la firme « gère les barrages hydroélectriques ».

Selon un article du Devoir, Hydro-Québec a confirmé que McKinsey travaille sur des « mandats stratégiques, des questions d'approvisionnement et d'innovations ». Ce jargon, typique des firmes de consultants, n'explique rien au sujet de ce que fait exactement McKinsey. Pourquoi le gouvernement Legault accorde-t-il une telle place de choix à McKinsey avec qui il entretient, en toute vraisemblance, une relation intime entourée de la plus grande discrétion.

S'il est vrai que McKinsey est lui-même entouré du secret, de confidentialité et de non-divulgation, il y a tout de même suffisamment d'information qui circule à son sujet permettant de démystifier le narratif d'une firme dont l'unique mission est de prodiguer des conseils à grands coups de millions de dollars. Il est bien connu que l'expertise d'Hydro-Québec est de renommée mondiale. Quelle expertise peut-elle donc solliciter de McKinsey dont on dit qu'elle est l'institution privée la plus puissante et la plus influente de la planète ?

Un documentaire de CNBC informe que dans les années 1950 McKinsey a aidé la Maison-Blanche dans l'organisation de son personnel, ce qui aurait amené à la création du rôle du chef d'état-major. Aujourd'hui, cet accès intime au gouvernement américain et le fait que la firme participe aux affaires gouvernementales est clairement exprimé sur le site web de McKinsey. Par exemple, un employé de McKinsey, un ancien officier de l'armée américaine, explique comment lui et un « groupe de partenaires » travaillent au sein du gouvernement fédéral des États-Unis. Il parle de son engagement à faire du gouvernement fédéral américain « le meilleur gouvernement au monde ». Il est actif dans diverses agences allant du département de la Défense à celui des Anciens combattants, en passant par l'Agence pour la protection de l'environnement, mettant à leur disposition les meilleurs experts et ressources que la firme peut offrir. Ceux-ci portent le nom d'« équipe d'intervention tactique (SWAT) des analystes ». SWAT veut dire « armes et tactiques spéciales ».

Parmi les anciens de McKinsey, on trouve Sundar Pichai, PDG de Google, James Gorman, PDG de Morgan Stanley, Jorgen Vig Knudstorp, président et ancien PDG de The Lego Group, Sheryl Sandberg, ancienne cheffe de l'exploitation chez Facebook, ainsi que Susan Rice, directrice du Domestic Policy Council de l'administration Biden et ancienne conseillère pour la sécurité nationale à l'époque de la présidence d'Obama. La firme fait affaire avec 90 des 100 plus importantes compagnies selon Fortune. Dans le documentaire de CNBC, Duff MacDonald, auteur de « The Firm : The Story of McKinsey and Its Secret Influence on American Business » (La firme : l'histoire de McKinsey et son influence secrète sur le monde des affaires américain), souligne : « McKinsey est partout. Ils ont bâti une machine qui fait en sorte que l'interaction du réseau des anciens avec le cabinet se fait de façon autonome, un véritable cercle vertueux d'honoraires et d'engagements. C'est assez incroyable de voir cela. »

McKinsey gère un fonds d'investissement de plusieurs milliards de dollars qui, selon le New York Times, jouerait un rôle dans le résultat de certaines restructurations financières auxquelles la firme participe, dont sa participation aux efforts pour « remettre sur pied » les finances publiques de Porto Rico.

Le 22 juin 2020, dans un article du Balkan Insight intitulé « La sous-traitance de la demande d'asile : le rôle secret de McKinsey dans la crise des réfugiés en Europe », il est souligné qu'en 2016 et 2017, McKinsey était au centre « des efforts en Europe pour accélérer le processus de demandes d'asile sur les îles grecques surpeuplées et pour formuler une entente controversée avec la Turquie, soulevant des inquiétudes face à la sous-traitance de la politique publique en matière de réfugiés ».

En septembre 2016, McKinsey a soumis une proposition à l'Agence de l'Union européenne pour l'asile (AUEA) intitulée « Appuyer la commission européenne par le recours à une gestion intégrée de réfugiés ». Ce qui sous-tendait l'intervention de McKinsey était la « productivité maximale », c'est-à-dire, traiter le plus grand nombre de demandes d'asile dans le moins de temps possible, que les demandeurs soient déplacés vers le continent grec si leur demande est acceptée, ou déportés en tant que « migrants retournables » vers la Turquie. Durant ces années, les gens fuyaient des pays que les impérialistes américains avaient déstabilisés, attaqués, occupés ou détruits — et dans certains cas, les quatre à la fois, en particulier la Syrie, l'Irak et l'Afghanistan.

Le pacte qui a suivi a été très controversé. Les organisations de droits humains ont dit que cela représentait un danger pour le droit même des demandeurs d'asile. Aussi controversés étaient le degré d'influence jusque-là bien cachée de McKinsey sur la mise en oeuvre des accords en matière de réfugiés et les efforts déployés par les organismes de l'Union européenne pour dissimuler ce rôle.

En octobre 2017, l'ombudsman de l'Union européenne, l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) a entrepris une enquête sur l'AUEA, qui avait directement eu à faire avec McKinsey, en particulier pour faire la lumière sur les « irrégularités et les méfaits » touchant aux règles en matière de marchés publics et au harcèlement du personnel. Selon le Balkan Insight, le rapport de 1 500 pages d'OLAF fait la lumière sur le rôle d'une des principales firmes privées de consultants dans le domaine de ce qui était traditionnellement considéré comme celui de la politique publique — le droit à l'asile.

Certains soulignent aussi que McKinsey a joué un rôle majeur dans la reconstruction de l'Afghanistan, ou plutôt à chercher des ouvertures pour les compagnies américaines alors que des milliards de dollars étaient versés à des fins dites de reconstruction. Plus récemment, un rapport a été commandé par le Groupe de travail du Pentagone pour les opérations d'affaires et de stabilité (TFBSO), demandant entre autres à McKinsey « d'identifier des projets potentiels dans des provinces prioritaires » et de « définir les priorités stratégiques du TFBSO en Afghanistan. »

À la lumière de ce qui précède, il est légitime que les Québécois soient préoccupés par le rôle et l'influence de McKinsey dans la prise en charge du fonctionnement de l'État québécois. Cela coûte cher au peuple et montre plus que jamais la nécessité pour les Québécois de se doter d'une constitution moderne qui enchâsse une raison d'État qui leur est favorable. Le gouvernement Legault a déjà annoncé qu'il compte augmenter le nombre de projets hydroélectriques pour répondre aux besoins de compagnies étrangères, surtout américaines, en électricité bon marché, au nom de l'« énergie propre ». On connaît bien également ses plans pour faire du Québec un pôle pour l'extraction et le raffinage de minéraux critiques, pour le lithium et la production de batteries pour véhicules électriques, comme partie intégrante de la Stratégie de sécurité nationale et des « intérêts vitaux » des États-Unis. Cela est en lien direct avec la production de guerre des États-Unis et sa course à l'hégémonie mondiale.

En ce début de la nouvelle session de l'Assemblée nationale où le gouvernement Legault est majoritaire, il ressort qu'il est important de connaître exactement le rôle que joue McKinsey, et la place de cette firme dans les prises de décision loin des yeux des travailleurs québécois et du peuple québécois et à l'encontre de leurs préoccupations économiques, politiques et environnementales. Le gouvernement Legault doit rendre des comptes pour ses ententes secrètes et pour la place privilégiée qu'il accorde aux intérêts privés dans la sphère publique et dans les affaires politiques du Québec.


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Volume 52 Numéro 66 - 1er décembre 2022

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