«Je n'ai pas abandonné mon stage, j'étais en grève.»

– Lettre ouverte de Frédéric Brunelle, étudiant-stagiaire en sciences de l'éducation de l'UQAM –

Bonjour,

Vous avez peut-être eu vent que des étudiants-es de la faculté d'éducation de l'UQAM étaient en grève du 19 octobre au 20 novembre dernier. Je suis un membre de cette collectivité étudiante, l'association des étudiantes et étudiants des sciences de l'éducation de l'UQAM (ADEESE), et nous avions voté un mandat de grève contre plusieurs problèmes dont la non-salarisation de nos stages, les relations difficiles avec l'UQAM, le non-respect de la démocratie sur les comités de programme, les cas de harcèlement en milieu de stage et le manque de souplesse pour les parents enseignants.

À la suite d'un semblant d'entente avec la faculté d'éducation, les membres de l'ADEESE ont voté la fin de la grève le 20 novembre pour reprendre nos cours et nos stages dans un esprit de motivation et un sentiment d'avoir vécu dans une démocratie. Cependant, mes collègues et moi nous sommes réveillés le samedi 19 novembre avec un courriel de l'administration de l'UQAM stipulant, entre autres, que les stagiaires qui ne pourront pas respecter les modalités de stages (40 jours de prise en charge) verront leur stage être considéré comme abandonné. La participation à la grève pour avoir de meilleures conditions de stage s'est donc soldée par une démonstration des traitements contre lesquelles nous luttons.

Il faut comprendre qu'un.e étudiant.e en enseignement doit compléter quatre stages qui peuvent seulement être poursuivis à des moments précis durant le baccalauréat de quatre ans. Le stage de cet automne pour lequel nous avons étudié, pour lequel nous avons payé 834,48 $ et pour lequel nous luttions de manière à ne pas faire de bénévolat pour l'État québécois est donc reporté à l'automne 2023. Un an de plus à attendre avant d'avoir un brevet alors que les écoles crient à l'aide par manque de personnel. Vous comprendrez qu'il n'y avait pas de grande différence entre cette nouvelle et une douche d'eau glacée du mois de novembre, seulement de l'incohérence.

Pourtant, j'étais loin d'abandonner ce stage. J'ai peaufiné mes planifications, emprunté des livres à la bibliothèque sur les Révolutions française et américaine, sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, j'ai conçu des présentations multimédias en plus d'avoir complété les nombreux travaux demandés par l'UQAM pour pouvoir y participer. Cette étape de ma formation était bel et bien dans mon esprit et je participais justement à cette grève POUR ce stage. Pour m'assurer que mes collègues ne subiraient pas de traitement injuste durant cette session et les suivantes. J'ai aussi participé à cette grève en pensant aux stagiaires que j'accueillerais dans ma classe durant ma carrière en espérant qu'ils auraient de meilleures conditions que moi. J'étais loin d'abandonner ce stage car, en fait, tout ce que je faisais était précisément à propos de ce stage.

Le choix de considérer la participation à la grève comme l'abandon du stage est absurde et punitif. Absurde parce que c'est très mal comprendre ce que c'est une grève en la considérant comme une simple pause dans la session et non comme un moyen de pression dans une négociation entre des étudiants et leur université. Absurde parce que les milieux scolaires sont prêts et pressés de nous accueillir dans les écoles considérant la crise qui y sévit et que plusieurs étudiants-es sans brevet se sont déjà vu offrir des postes officiels. L'administration de l'UQAM agit de manière égoïste et rancunière en voulant passer un message clair disant qu'il est plus urgent de montrer aux étudiants-es que la grève est une faute que de coopérer à trouver des solutions facilitant l'envoi de forces nouvelles dans les milieux scolaires. Un comportement que toutes institutions d'enseignement devraient favoriser. La coopération, la solidarité, les décisions éclairées et dépourvues de sentiments mal placés. Un comportement que le candidat au rectorat de l'Université du Québec à Montréal, Jean-Christian Pleau, devrait aussi adopter.

Cette mesure est donc un choix punitif car, il y avait bien d'autres solutions possibles. L'étalement des jours de stages, des travaux écrits supplémentaires ou tout simplement la validation du stage malgré les conditions non respectées. D'ailleurs, dans le contexte de la Covid-19, l'Université a validé des stages qui ont subi de bien plus fortes perturbations que cinq semaines de grève. De plus, le communiqué de l'UQAM indique qu'ils ont des données montrant que la majorité des stages seront complétés correctement et que cette mesure d'annulation du stage concerne seulement ceux qui auraient respecté le mandat de grève. Cette décision est explicitement dédiée à sanctionner les étudiants.es qui participent à la vie démocratique étudiante. Elle est aussi réfléchie pour faire peur et miner la confiance entre les membres des associations et celle-ci.

Finalement, l'UQAM est aussi en crise, car on constate une baisse des admissions notamment en sciences humaines. L'administration aimerait bien mettre la faute sur les nombreuses luttes étudiantes qui caractérisent notre université. Elle fait encore preuve d'incohérence et montre sa déconnexion vis-à-vis sa communauté étudiante. Les luttes caractérisent l'UQAM et c'est son caractère engagé qui attire les regards. Cependant, c'est l'intransigeance et le non-respect de la démocratie qu'arbore l'administration depuis des années qui envoient le message que l'engagement citoyen et étudiant est invalidé dans notre université. Le monde de demain veut plus qu'une université qui refuse le changement et qui annule l'effort de ses membres à exercer leur responsabilité citoyenne envers la société. Nous avons besoin d'une université qui fait plus que ridiculiser et paternaliser ses étudiants.es qui ne font rien d'autre qu'utiliser leurs apprentissages et leurs vécus pour faire respecter leurs droits. À l'aube de l'élection d'un nouveau ou d'une nouvelle recteur-trice, il est temps que notre université démontre qu'elle est fière de sa culture revendicatrice et de la volonté de sa communauté étudiante de révolutionner une société et des institutions qui s'acharnent à rabattre les conditions de vie des étudiante.es et des travailleurs.es.

Le Conseil d'administration de l'UQAM, le vice-recteur Jean-Christian Pleau et la Commission des études doivent reconsidérer cette mesure revancharde et complètement déconnectée des besoins criants du milieu scolaire et de la communauté étudiante.

Frédéric Brunelle

Stagiaire

19 novembre 2022

Lettre envoyée au journal Le Devoir, au bureau des études de l'UQAM, au vice-recteur de l'UQAM, à la directrice du programme, au directeur des communications et à mon député Gabriel Nadeau-Dubois.


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Volume 52 Numéro 62 - 22 novembre 2022

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