Nous continuons à nous mobiliser pour défendre les droits des travailleuses et des travailleurs victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles
L'Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM) lors d'une manifestation devant l'Assemblée nationale du Québec, le 30 septembre 2021, pour s'opposer à la restructuration du système de santé et de sécurité du travail
Le 6 octobre dernier, plus de 200 travailleurs de plusieurs
secteurs se sont rassemblés devant les bureaux de Montréal de la
Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la
sécurité du travail à Montréal (CNESST) pour affirmer leur
détermination à se battre pour leurs droits en santé et sécurité
du travail. Ils manifestaient en particulier contre l'entrée en
vigueur des mesures de la loi 27 antiouvrière du gouvernement
Legault, la Loi modernisant le régime de santé et de
sécurité du travail, qui forcent les travailleuses et
travailleurs victimes de lésions professionnelles à retourner
prématurément au travail, au risque d'aggraver leur lésion, et
s'attaquent à leur indemnisation, ce qui les pousse vers l'aide
sociale. Le slogan principal du rassemblement était « Non au
travail forcé ! » Nous présentons ci-dessous une
entrevue réalisée par Forum ouvrier sur ces mesures avec
Félix Lapan, organisateur communautaire de l'Union des
travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM).
Forum ouvrier : Quelles sont les mesures prévues dans la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail qui sont entrées en vigueur le 6 octobre dernier ?
Félix Lapan : Ce sont des mesures qui touchent le retour au travail et la réadaptation. Certaines d'entre elles touchent les travailleuses et les travailleurs accidentés en période médicale, donc avant la consolidation médicale. Il s'agit du pouvoir de déterminer des mesures de réadaptation avant la consolidation[1]. La CNESST peut donc décider de mesures de réadaptation pendant que les gens sont en suivi médical ou en traitement, ce qui peut inclure des retours au travail. Cela revient à un pouvoir d'imposer des travaux légers. Il en existe présentement, il y a une procédure pour faire des travaux légers, on appelle cela une assignation temporaire. L'employeur peut proposer une assignation temporaire, mais cela doit être approuvé par le médecin traitant. À côté de cela, la CNESST peut désormais imposer des retours au travail en disant qu'elle a des raisons de croire que la travailleuse ou le travailleur est capable de travailler disons 3 demi-journées par semaine, que cela va lui être bénéfique. Et elle peut l'imposer. On verra comment ils vont l'appliquer mais c'est un aspect qui nous inquiète.
Toujours pour la période qui précède la consolidation, il y a un nouveau formulaire d'assignation temporaire qui vient d'entrer en vigueur et que les employeurs doivent utiliser. Ce nouveau formulaire fait en sorte que le médecin doit désormais justifier son refus d'une assignation temporaire. Jusqu'à maintenant, tout ce que le médecin traitant avait à faire c'était de dire non, qu'il n'était pas d'accord avec l'assignation temporaire proposée. Cela complique le refus d'accorder une assignation temporaire. Cela ouvre aussi la porte à des retours au travail imposés par la CNESST même quand le médecin a exprimé son refus parce qu'il peut refuser sur la base que le travailleur ne peut accomplir tel ou tel travail qui est proposé par l'assignation temporaire. La CNESST pourrait dire que le travailleur doit retourner au travail, en suivant la restriction que le médecin a indiquée, et elle pourrait le faire sans passer par le médecin.
L'autre chose qui change est que la loi prévoyait qu'une personne en assignation temporaire devait être payée à 100 % de son salaire peu importe le nombre d'heures qu'elle faisait. Ce n'est plus le cas. Dans les dispositions qui sont entrées en vigueur, c'est maintenant dans la loi que l'employeur peut choisir de payer le salaire à 100 % de ce qu'il était avant la lésion ou de ne payer que les heures faites et la CNESST compense jusqu'à hauteur de l'indemnité de remplacement du revenu. Les gens vont devoir travailler et faire leur traitement en même temps, en étant payés à 90 % de leur salaire .
FO : Quelles sont les mesures qui concernent les changements après consolidation ?
FL : Depuis le 6 octobre dernier, une personne qui a entre 55 et 59 ans et qui développe une maladie professionnelle va quand même être réadaptée par la CNESST si elle ne peut plus faire son travail. Auparavant ces gens-là avaient une protection du revenu jusqu'à l'âge de la retraite. Ils étaient déclarés inemployables d'office et étaient payés jusqu'à la retraite. Cette protection disparaît maintenant et ces personnes devront chercher un nouvel emploi ailleurs sur le marché du travail malgré leur âge avancé.
Surtout, il y a un changement à la définition d'emploi convenable qui va rendre plus difficile la contestation d'un emploi convenable. Désormais, il faudra prouver qu'on est incapable de faire des tâches dites principales sans égard aux tâches dites accessoires ou secondaires d'un emploi convenable. Autrement dit, si quelqu'un veut contester un emploi convenable, la contestation ne sera pas valable s'il est uniquement incapable d'accomplir les tâches dites secondaires ou accessoires.
Aussi, auparavant quand on était déclaré apte a faire un emploi convenable qu'on devait chercher sur le marché du travail, on avait d'office droit à une année d'indemnité que la CNESST appelait un an de recherche d'emploi. Il y a des gens qui trouvaient un emploi, disons, après 3 mois, et dans ce cas-là l'indemnité s'arrêtait. Mais il y a des gens qui disaient vouloir retourner à l'école, prendre un cours, faire un DEP (Diplôme d'études professionnelles), et ils avaient droit à une année sans obligation de chercher un emploi. Maintenant ils vont avoir une obligation de recherche d'emploi et ne pas collaborer avec les services d'aide à la recherche d'emploi devient un motif de suspension de leur indemnité. Notre plus grosse crainte, c'est que la CNESST envoie des gens à ces services qui vont demander des comptes y compris le nombre d'applications qui ont été faites et se mettre a couper leurs indemnités sur cette base.
Ce qui est entré en vigueur ce sont donc des mesures pour parfois forcer des recours au travail prématurés et forcer des gens qui perdent leur emploi à la suite de leur lésion à retourner plus vite sur le marché du travail et faire face à des mesures coercitives s'ils ne le font pas.
L'objectif évident de ces mesures est de sauver de l'argent aux employeurs. Cela fait longtemps que cet objectif existe dans le régime, et la cible visée a toujours été les lésions graves, les dossiers chroniques, les gens les plus mal en point et les personnes les plus handicapées à la suite d'accidents. C'est facile de taper sur la tête de ces gens-là, en particulier les travailleurs non syndiqués. La nouvelle loi leur permet d'aller beaucoup plus loin dans cette voie, avec des mesures comme celles dont je viens de parler.
FO : Qu'est-ce que l'UTTAM envisage en ce qui concerne la défense des travailleuses et travailleurs accidentés et malades dans la période qui vient ?
FL : Nous allons continuer de nous mobiliser pour défendre les droits des victimes de lésions professionnelles et protester contre les injustices et réclamer des changements. En même temps, la loi prévoit que le ministre du Travail doit déposer un rapport à l'Assemblée nationale sur l'impact de la loi, au plus tard le 6 octobre 2026. Nous allons donc documenter les effets de la loi, examiner comment la CNESST va appliquer les nouvelles dispositions et saisir l'occasion du rapport du ministre pour relancer le débat public sur la loi et demander les changements qui s'imposent.
Note
1. La consolidation est la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible. La réadaptation professionnelle est un ensemble de mesures qui visent la réintégration au travail d'une travailleuse ou d'un travailleur accidentés ou malades. Elle comprend des choses comme un programme de recyclage, de la formation professionnelle et l'adaptation d'un poste de travail à la condition du travailleur.
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 58 - 14 novembre 2022
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