Entrevues de Forum
ouvrier
De graves manquements de Glencore et des gouvernements à leur responsabilité envers la santé des travailleurs et de la population
Action à Rouyn-Noranda, 23 septembre 2022,
dans le cadre des actions mondiales en
appui à la justice climatique
Voici une entrevue réalisée récemment par Forum ouvrier avec Gerry Lauzon, un ancien travailleur à la fonderie Horne maintenant retraité. Le gouvernement du Québec prépare en ce moment un renouvellement de l'autorisation ministérielle pour les niveaux d'émissions de Glencore, notamment pour l'arsenic. L'autorisation doit être rendue publique à la fin du mois de novembre et sera en vigueur pour les cinq prochaines années. Les travailleurs et la population réclament que le gouvernement assume ses responsabilités en ce qui concerne la santé de la population et ils réclament aussi d'avoir la pleine information sur un enjeu aussi vital et un mot décisif sur les décisions qui sont prises.
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Forum ouvrier : Quand on examine la situation à Rouyn-Noranda, on voit que les problèmes d'émissions de produits toxiques à un niveau dangereux pour les travailleurs et la population remontent à longtemps et qu'ils n'ont jamais été résolus. Quel est ton avis à ce sujet ?
Gerry Lauzon : Effectivement c'est le cas. Si on revient en contexte, on note par exemple qu'en novembre 2004, lorsque l'avis sur l'arsenic dans l'air ambiant à Rouyn-Noranda est sorti publiquement, le ministère de l'Environnement, le ministère de la Santé et des Services sociaux et la Santé publique ont clairement expliqué les enjeux de l'arsenic à Rouyn-Noranda. Le groupe de travail interministériel a alors proposé aux autorités que la fonderie Horne diminue ses émissions pour que les concentrations moyennes d'arsenic dans le quartier Notre-Dame soient ramenées sous les valeurs de 10 nanogrammes par mètre cube. Cet objectif devait être atteint en 18 mois. Ils ont aussi demandé que suite à l'atteinte du 10 nanogrammes par mètre cube, les concentrations soient ramenées à 3 nanogrammes, ce qui est la norme au Québec. Les gouvernements ont laissé faire les choses. Il y a eu des changements de ministres au dossier. Le 18 mois qui avait été demandé s'est transformé en 18 ans. C'est clair qu'il y a eu un sérieux manquement de la part des gouvernements.
Pendant ce temps-là, la Noranda (maintenant Glencore) en a profité. Son mot magique était « investissement et réduction d'émissions », pas « l'atteinte des normes ».
Au fil des années, il y a eu plusieurs tests de faits sur des citoyens, notamment les tests urinaires pour l'arsenic et les tests sanguins pour le plomb, la technologie pour mesurer les contaminants dans le corps humain a évolué et on a vu que le problème était beaucoup plus grave que ce qui était dit. Avec la sortie publique des rapports sur la situation, les citoyens sont devenus plus inquiets. En plus, au fil des années une nouvelle génération est apparue, elle en laisse moins passer, elle est moins tolérante à la pollution. Aussi, l'économie de l'époque était différente de celle d'aujourd'hui. La fonderie Horne n'est plus la première entreprise de la MRC de Rouyn-Noranda en ce qui concerne les emplois. Elle se situerait environ au cinquième rang à l'heure actuelle.
Il y a beaucoup de choses que Glencore ne veut pas dire en public. Par exemple, il y a un citoyen en ce moment qui est en cour pour que soient rendues publiques la quantité et la concentration de contaminants qui se retrouvent dans ses émissions. La compagnie refuse, en disant que ce sont des données confidentielles à cause du secret industriel et commercial.
FO : Il y a beaucoup de préoccupations parmi la population en ce qui concerne les intrants qui sont reçus et traités à la fonderie.
GL : Oui. Les intrants comprennent le concentré de minerai, les intrants électroniques et il y a aussi les déchets industriels qui arrivent de plusieurs pays. La compagnie fond plusieurs fois son matériel pour en tirer le maximum de cuivre ou de l'or ou d'autres métaux précieux. Elle prend le meilleur et rejette le reste par son traitement des effluents sous forme de boue qui contient énormément de contaminants et qu'elle dispose dans des parcs à résidus que le gouvernement l'autorise à avoir. Ces parcs sont devenus tellement gros qu'ils pourraient devenir un sérieux problème.
Un de ces parcs est situé en hauteur tout près d'un lac, le lac Dufault, qui est la source d'eau potable du centre urbain de la ville de Rouyn-Noranda. S'il fallait qu'une digue cède et que les contaminants se répandent dans l'eau ce serait un désastre pour la ville et les citoyens. Il y a aussi cette situation hors du commun où c'est la fonderie qui achemine l'eau à la ville par les travailleurs de la fonderie. Je ne comprends pas qu'en 2022 c'est une compagnie qui fournit l'eau à une ville et non une ville qui fournit l'eau à la compagnie.
FO : On parle beaucoup de l'impact des émissions sur la population environnante mais peu en ce qui concerne les travailleurs de la fonderie eux-mêmes.
GL : En effet. Récemment, Glencore a émis un communiqué dans lequel elle explique ce que sera sa nouvelle usine pour atteindre le 15 nanogrammes d'ici 5 ans. Lors d'une assemblée publique avec Glencore, un citoyen a demandé pourquoi elle ne réduit pas l'utilisation d'intrants contaminés. Elle ferait quand même de l'argent mais elle polluerait moins. Le représentant de la compagnie lui a dit que ça n'a aucune incidence si elle en passe beaucoup ou moins parce que dans la nouvelle usine tout va être encapsulé, donc il y aura moins d'émissions fugitives.
Et qu'en est-il des travailleurs à l'intérieur ? Ce sont eux qui sont dans l'épicentre de la fonderie. On sait déjà qu'avec la limite actuelle de 100 microgrammes par mètre cube ils sont à risque. Alors que des travailleurs se font échantillonner par la compagnie pour l'arsenic et le plomb, il y a un manque de transparence puisque la fonderie Horne envoie ces tests pour être analysés à son propre laboratoire. Pourquoi Glencore paie-t-elle des techniciens alors que c'est gratuit dans le réseau public de santé au travail et analysé à l'IRSST (Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail).
Les travailleurs ont un grand mot à dire sur toute cette situation. Je parle de la classe ouvrière et tous les travailleurs qui entrent à la fonderie, c'est eux la richesse de cette entreprise. Leur santé et leur sécurité ne doit pas être négligée au profit de l'argent.
À ma connaissance, il y a de nombreux travailleurs de la fonderie qui, au fil des années, sont décédés de façon prématurée, dans la quarantaine ou la cinquante, de cancers de toutes sortes, au cerveau, aux poumons, de cancer du sang, etc. J'ai des amis parmi eux. Ils n'ont même pas atteint leur pension. Ça c'est sans parler des travailleurs qui ont été contaminés au béryllium. Les médecins ont fait de gros progrès dans le dossier pour sensibiliser les citoyens et se faire entendre. Ils en voient des travailleurs qui sont malades et des citoyens qui sont malades.
Les travailleurs et les citoyens veulent de la transparence. Ils ont de grandes craintes.
C'est certain que tous veulent que la fonderie reste ouverte, mais ils réclament de la transparence et des actions concrètes.
FO : Les médias ne cessent de dire que la population est divisée sur cette question. Qu'as-tu à dire à ce sujet ?
GL : Pour unir les gens, il faut mettre de l'avant que ce ne sont pas les travailleurs qui polluent et ce ne sont pas les citoyens qui polluent. Les travailleurs produisent selon ce que l'entreprise décide et selon les normes et les critères qui sont établis par les gouvernements. À l'heure actuelle, Glencore et le gouvernement font régner toutes sortes de spéculations, que l'entreprise pourrait fermer si on lui demande d'agir trop vite pour réduire les émissions ou trop en abaisser le seuil, et la population est mise devant le dilemme de faire une sorte de choix entre la santé et les emplois.
Pourquoi pollue-t-on plus ici qu'ailleurs au Québec ? Pourquoi Rouyn-Noranda devrait-être elle une ville polluée par une compagnie qui fait d'énormes profits, n'est pas du tout transparente et ne veut pas parler de santé aux citoyens ?
Je crois qu'on pourrait calmer le jeu si le gouvernement
adoptait les propositions qui sortent de plusieurs mémoires qui
ont été soumis à la consultation publique. Ces propositions sont
d'atteindre le 15 nanogrammes d'arsenic d'ici un an au plus
(plus élevé que le 10 nanogrammes proposé en 2004), et le 3
nanogrammes le plus vite possible, d'ici 5 ans au plus, en
réduisant les émissions de façon régulière chaque année. En
plus, toute l'information nécessaire pour suivre les progrès
accomplis devrait être mise à la disposition de la population.
Il ne peut pas y avoir de secret quand il est question de la
santé et de la sécurité des travailleurs et de la population.
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 58 - 14 novembre 2022
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