Au sujet des propositions pour combattre les
pouvoirs
de la police avec plus de pouvoirs de police
Le « pouvoir de désaveu » est la plus récente diversion pour détourner l'attention de la nécessité de remplacer l'ordre constitutionnel
Alors que la population de l'Ontario, rejointe par les
travailleurs de tout le pays, descendait dans la rue pour
dénoncer la Loi visant à garder les élèves en classe,
adoptée en 2022 par le gouvernement Ford, qui invoque la
disposition de dérogation, certains commentateurs bien connus et
des personnes haut placées ont évoqué les pouvoirs de la
Couronne et affirmé qu'ils pourraient être utilisés pour annuler
la loi.
Les discussions sur l'intervention du gouvernement fédéral ont commencé lorsque le ministre de la Justice, David Lametti, a déclaré aux journalistes, le 2 novembre, que la disposition de dérogation « devait être le dernier mot d'une assemblée législative pour exercer sa souveraineté parlementaire. Si elle est utilisée dès le début, elle mine la démocratie canadienne, elle signifie que la Charte n'existe pas. »
Autrement dit, la disposition de dérogation ne devrait être utilisée par une assemblée législative que pour nier les droits que la Charte est censée consacrer une fois que les tribunaux ont déclaré que la loi contestée viole la Charte. C'est ce que le gouvernement Ford a fait lorsque la Cour de l'Ontario a invalidé son règlement sur les dépenses des « tiers » parce qu'il violait le droit à la liberté d'expression.
Lorsqu'on lui a demandé ce que les libéraux pourraient faire, David Lametti a répondu : « Il y a un certain nombre de choses [...] mais je ne vais pas discuter de mes options. »
Justin Trudeau a ensuite déclaré aux journalistes le 4 novembre que son gouvernement est un gouvernement qui « est là pour défendre les droits et les libertés des gens. Nous regardons toutes nos options. » Avec cette condescendance, il a fait comme si des milliers et des milliers de travailleurs de l'éducation et leurs sympathisants n'étaient pas rassemblés dans les rues de l'Ontario pour défier la loi antisociale et anti-travailleurs du gouvernement Ford. Justin Trudeau a déclaré : « Ce serait beaucoup mieux si, au lieu que le gouvernement fédéral doive intervenir et dire : 'Vous ne devriez vraiment pas faire ça, gouvernements provinciaux', ce soient les Canadiens qui disent : 'Attendez une minute. Vous suspendez mon droit à la négociation collective ? Vous suspendez les libertés et les droits fondamentaux qui nous sont accordés par la Charte ?'. »
Ceci de la part d'un pouvoir fédéral qui n'est que trop heureux d'adopter des lois anti-travailleurs quand il le juge nécessaire. Mais ce qui est important, c'est le pouvoir de police que David Lametti et Justin Trudeau évoquent tous deux : le pouvoir de la Couronne appelé « pouvoir de désaveu ». Le désaveu est la décision d'un représentant de la Couronne d'opposer son veto à un texte législatif d'un parlement ou d'une assemblée législative provinciale, et le texte cesse d'avoir force de loi.
Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a demandé aux libéraux d'utiliser le pouvoir de désaveu, tout en demandant de soumettre un « renvoi » à la Cour suprême pour qu'elle se prononce sur la validité de l'utilisation de la disposition de dérogation par Ford.
L'analyste et commentateur politique Andrew Coyne a écrit dans le National Post du 2 novembre sur l'utilisation croissante de la disposition de dérogation par les gouvernements provinciaux en dehors de ce qu'il dit être son objectif :
« Si le marché conclu de 1982 est maintenant annulé, si nous sommes de retour à l'époque d'avant la Charte, si les droits des minorités et des individus sont de nouveau à la merci des gouvernements provinciaux, il incombe alors au gouvernement fédéral de reprendre son ancien rôle de garant, du moins jusqu'à ce que le tigre de la disposition de dérogation puisse être remis dans sa cage.
« Le fait que le pouvoir de désaveu n'ait pas été utilisé depuis un certain temps ne signifie pas, comme certains le prétendent, qu'il est devenu nul. Pour qu'une telle convention existe, le gouvernement fédéral lui-même aurait dû y renoncer officiellement. Aucun gouvernement fédéral ne l'a fait.
« Il ne fait aucun doute que sa revitalisation provoquerait un tollé, et elle devrait certainement être considérée comme un dernier recours. Mais l'alternative est de rester les bras croisés pendant que la Charte se dissout sous nos yeux. Le premier ministre, entre tous, ne voudra certainement pas présider au démantèlement de l'héritage dont son père est le plus fier.
« L'option nucléaire ? La clause dérogatoire était censée être l'option nucléaire. Seulement les bombes explosent avec une telle régularité que nous les remarquons à peine. Il est temps d'avoir un peu de dissuasion constitutionnelle. »
Le « désaveu »
La question fondamentale devant nous est de savoir si nous, Canadiens et Québécois, Autochtones, Métis et Inuits, allons nous baser sur la lutte du peuple de ce pays pour l'affirmation des droits de toutes et de tous et un régime et des institutions qui mettent cela au centre de nos préoccupations, ou si nous allons compter sur des institutions coloniales anachroniques, mises en place pour maintenir le pouvoir colonial et le régime colonial dont le but principal est de maintenir le peuple assujetti à un souverain dont le pouvoir décisionnel n'est pas entre nos mains.
L'examen du « pouvoir de désaveu » plaide en fait en faveur de la nécessité de convoquer une assemblée constituante et de rédiger une constitution moderne. Une telle constitution, écrite par le peuple lui-même, aura pour premier acte d'investir le peuple de la souveraineté, et non une personne fictive d'État avec des pouvoirs de police pour déclarer ce dont le peuple a besoin et ce dont il n'a pas besoin et décider des choses dans le dos de tout le monde, parfois même ceux des cercles restreints du pouvoir.
Le Centre d'études constitutionnelles explique :
« La 'réserve' et le 'désaveu' sont souvent confondus, car ils découlent tous deux des pratiques de l'empire colonial britannique, mais ce sont en réalité des termes distincts. Historiquement, la 'réserve' était la pratique selon laquelle un gouverneur colonial, plutôt que de donner ou de refuser son assentiment à un projet de loi, pouvait le renvoyer au gouvernement impérial pour la décision finale. Le 'désaveu', en revanche, était la pratique selon laquelle un projet de loi colonial pouvait toujours être déclaré nul et non avenu par le gouvernement impérial, même si le gouverneur colonial avait donné avait donné la sanction royale.
« Les articles 55, 56 et 57 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoyaient que les actes du Parlement du Canada étaient soumis à ces instruments de contrôle impérial. Quelques-unes de ces lois ont été réservées ou rejetés au cours des premières décennies qui ont suivi la Confédération, mais ces pouvoirs sont tombés en désuétude à mesure que le Canada évoluait vers l'indépendance, même s'ils n'ont jamais été formellement éliminés.
« L'article 90 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui adaptait les mêmes pratiques au maintien du contrôle fédéral sur les provinces, s'est avéré beaucoup plus important. Les premiers lieutenants-gouverneurs réservaient fréquemment les projets de loi pour une décision finale du gouvernement fédéral. Bien que cette pratique ait été controversée et qu'elle soit rapidement devenue inutile avec l'amélioration des communications entre Ottawa et les capitales provinciales, un projet de loi de la Saskatchewan a été réservé contre toute attente jusqu'en 1961.
« Le désaveu, du point de vue fédéral, était un instrument de contrôle beaucoup plus fiable sur les provinces. Il a été largement utilisé par les gouvernements Macdonald, Mackenzie et Laurier, en particulier contre le Manitoba et la Colombie-Britannique, et sont ainsi devenus une source de mécontentement de l'Ouest envers le système fédéral. Après 1911, son utilisation a été rare, mais l'élection du gouvernement du Crédit social en Alberta en 1935 a entraîné une brève renaissance. La dernière loi à avoir été rejetée est une loi albertaine de 1943 qui interdisait la vente de terres aux 'étrangers ennemis' et aux huttérites.
« La Charte de Victoria de 1971 aurait éliminé la 'réserve et le désaveu' de la Constitution canadienne, mais les modifications importantes apportées à la Constitution en 1982 ont laissé ces deux pouvoirs intacts. L'un ou l'autre pourrait encore être utilisé pour empêcher la sécession illégale ou unilatérale d'une province, mais autrement leur utilisation future est extrêmement improbable. »
Le fond du problème
Ce qui est au coeur de la question de l'appel de certains pour que la Couronne utilise le pouvoir de « désaveu » pour annuler la Loi visant à garder les élèves en classe de 2022, c'est la nécessité de lutter pour les réclamations que chacun est en droit de faire à la société dans le contexte de la lutte pour une société qui affirme les droits de toutes et de tous. Essentiellement, ce qui se déroule sous nos yeux est une lutte au sein de la classe dirigeante pour contrôler ce qui a échappé à son contrôle à cause des événements en cours. Les arrangements perfectionnés au fil des ans sous la forme d'institutions démocratiques libérales ont été détruits à cause de la volonté de l'ordre économique néolibéral mondial et de la recherche de l'hégémonie des grandes puissances, avec les États-Unis qui émergent comme la soi-disant nation indispensable. Tout cela n'a pas permis de résoudre les contradictions entre les intérêts privés étroits qui ont formé des oligopoles et des coalitions et cartels et internationaux pour s'emparer des pouvoirs d'État des pays qu'ils contrôlent.
Faire appel maintenant au pouvoir exécutif fédéral de supplanter un pouvoir exécutif au niveau provincial est la formule pour une guerre civile dans les rangs des dirigeants. Nous voyons précisément cela se produire aux États-Unis où le pouvoir fédéral et les pouvoirs des États s'affrontent sur toutes les questions auxquelles fait face la politique et en même se disputent tous les deux pour contrôler le pouvoir exécutif fédéral.
Le pouvoir de désaveu utilise essentiellement un pouvoir supérieur de la Couronne pour annuler un autre pouvoir de la Couronne. C'est l'expression flagrante d'un pouvoir supérieur. Il ne sera pas bien accueilli par les peuples du Canada, du Québec ou des provinces, encore moins par les peuples autochtones, les Métis et les Inuits.
De tels pouvoirs vont-ils maintenant supplanter les droits ancestraux lorsque cela convient à des intérêts privés étroits et aux titulaires de charges fédérales, comme c'est le cas avec l'utilisation de la disposition de dérogation lorsque cela convient aux titulaires de charges en Ontario et au Québec ? C'est ce qui se passe déjà avec les gouvernements fédéral et provinciaux qui concluent des accords avec les conseils de bande sous leur contrôle ou avec des sociétés autochtones privées pour obtenir le consentement de voler des ressources sur les territoires autochtones. Des accords sont imposés à ceux qui n'ont jamais cédé leurs terres. L'utilisation des pouvoirs de la Couronne sera de plus en plus utilisée pour remplacer les droits issus de traités. Les pouvoirs de la Couronne seront-ils également utilisés pour forcer les Inuits à accepter de céder leur territoire à l'OTAN ?
Les peuples du Canada et du Québec, les peuples autochtones, les Métis et les Inuits subissent d'énormes pressions pour qu'ils se montrent pragmatiques, comme si c'était une vertu. Être pragmatique est rendu synonyme d'être pratique, réaliste, de résoudre des problèmes alors qu'en fait c'est être opportuniste et intéressé au nom d'idéaux élevés. Tout cela sert à désinformer la lutte pour ce qui appartient de droit aux peuples et aux travailleurs. Le peuple ne peut s'unir derrière une cause que si elle est juste et correspond à ses conditions et s'il peut fournir des arguments rationnels et persuasifs qui l'aident à parfaire sa marche en avant et à ouvrir une voie qui garantira son bien-être.
Le gouvernement fédéral veut utiliser le « pouvoir de désaveu » pour faire en sorte que le peuple compte sur l'État même qui mène l'offensive antisociale et l'attaque pour le sauver. La lutte contre la Loi visant à garder les élèves en classe de 2022 de l'Ontario est une lutte politique contre une loi de l'Assemblée législative qui a sorti les négociations sur les salaires et les conditions de travail des limites du droit du travail. Il appartient aux travailleurs eux-mêmes de s'unir dans l'action et de forcer le gouvernement à reconnaître leur droit de parole, de s'organiser et de négocier leurs salaires et leurs conditions de travail.
Il est également évident que l'idée de convoquer le « pouvoir de désaveu » revient à maintenir les arrangements constitutionnels existants qui sont en fait le problème. Ces arrangements ne peuvent plus maintenir le peuple assujetti à un pouvoir qui existe au-dessus de lui et qui le prive de la capacité d'exercer tout ce qui lui appartient de droit. Les arrangements de partage de pouvoir contenus dans les Constitutions canadiennes de 1867 et 1982 ne peuvent plus régler les luttes entre les pouvoirs fédéral et provinciaux et les peuples du Canada, du Québec, les peuples autochtones, les Métis et les Inuits, ou les luttes de factions au sein de la classe dirigeante qui s'est emparée des pouvoirs de l'État aux niveaux fédéral et provincial.
Les dispositions par lesquelles les gouvernements aux niveaux fédéral et provincial peuvent violer les droits d'une manière garantie par la Constitution n'ont jamais été acceptables pour le peuple qui a toujours lutté pour que les limitations de ses droits soient supprimées.
Aujourd'hui, sous prétexte de défendre la sécurité nationale et l'intérêt national contre les ennemis, comme le décrivent les cercles dirigeants et leurs médias, des gouvernements de pouvoirs de police prennent le pouvoir et les délibérations sur les questions de guerre et de paix sont interdites. Ces arrangements sont « l'ordre constitutionnel » appelé « la démocratie du roi » auquel les élus et les fonctionnaires nommés prêtent serment d'allégeance pour le maintenir et le défendre.
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 56 - 8 novembre 2022
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