Le gouvernement outrepasse les limites d'une société démocratique
Des travailleurs de l'éducation manifestent devant le bureau du
député de Windsor-Tecumseh,
21 octobre 2022.
Le 31 octobre, le gouvernement de l'Ontario a déposé un projet de loi intitulé cyniquement Loi de 2022 visant à garder les élèves en classe, qui, s'il était adopté, imposerait une convention collective d'une durée de quatre ans aux 55 000 travailleurs de l'éducation du Syndicat canadien de la fonction publique-Conseil des syndicats des conseils scolaires de l'Ontario (SCFP-CSCSO) sans leur accord. De plus, le gouvernement a déclaré que s'il est adopté, le projet de loi s'appliquera « malgré les dispositions des articles 2,7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et malgré le Code des droits de la personne ». Il prétend agir ainsi « afin de prévenir les recours judiciaires qui peuvent créer une incertitude déstabilisante pour les élèves et les familles ».
L'article 2 de la Charte des droits et libertés porte sur la liberté de conscience et de religion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique, la liberté d'association. L'article 7 souligne que « chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale ».
Selon le site web du ministère fédéral de la Justice, « les garanties que prévoit l'article 7 prennent habituellement naissance en rapport avec l'administration de la justice, laquelle, à son tour, a été définie comme suit : 'le comportement de l'État en tant qu'il fait observer et appliquer la loi' ». L'article 15 de la Charte porte sur les droits à l'égalité et stipule que « la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques ».
La Loi limite la compétence de la Commission des relations de travail de l'Ontario, des arbitres et d'autres tribunaux dans la formulation de règlements, d'effectuer des enquêtes ou de prendre certaines décisions et de tentatives d'entraver toute action en justice contre la Couronne. Elle est composée de deux parties : dans la première, on y décrit les clauses, les pouvoirs et les sanctions invoqués pour mettre fin à la grève prévue pour le vendredi 4 novembre par les travailleurs de l'éducation, et dans la deuxième, on trouve la nouvelle convention qui doit être imposée. Les amendes pour avoir défié la législation commencent à 4 000 dollars par jour pour un individu et peuvent aller jusqu'à 500 000 dollars par jour pour tout autre cas.
Quand le gouvernement dit qu'il a recours à la disposition de dérogation afin d'assurer la stabilité aux étudiants et aux familles, il dit en fait qu'il peut faire ce qu'il veut et qu'il n'a pas de comptes à rendre. La stabilité est précisément ce qu'une telle mesure ne produira pas parce que ce n'est qu'en reconnaissant et en défendant les droits qui appartiennent à chaque personne de droit qu'il peut y avoir stabilité et prévisibilité, et non pas par des gouvernements de pouvoirs de police qui gouvernent par décrets.
Le fait que le gouvernement de l'Ontario soustrait sa loi de la Charte des droits et libertés et du Code des droits de la personne de l'Ontario indique que le gouvernement utilise intentionnellement ses pouvoirs pour outrepasser les limites d'une société démocratique. Dès que des lois sont adoptées pour appliquer les pouvoirs de police, ce qu'on appelle l'ordre constitutionnel n'existe plus. Il se sert de sa majorité à l'assemblée législative pour tenter d'écraser 55 000 travailleurs de l'éducation qui refusent d'accepter ce diktat et exigent des négociations portant sur les salaires et les conditions de travail dont ils ont besoin pour exercer leurs fonctions. Cela montre qu'il ne peut pas gouverner avec le consentement des gouvernés. Le système d'éducation ne peut fonctionner sur cette base, pas plus que n'importe quel secteur de l'économie ou domaine de la vie publique. Le gouvernement a obtenu sa majorité des sièges avec seulement 18 % de l'électorat lors des élections en juin. Le gouvernement, ses ministres et tous les membres de l'Assemblée législative qui acceptent cette situation devraient avoir honte. S'ils avaient ne serait-ce qu'un brin de dignité, ils démissionneraient et refuseraient d'être complice d'un tel comportement antidémocratique qui atteint des niveaux de bassesse sans précédent.
Quelque chose ne va pas du tout avec un gouvernement qui ne respecte pas les enseignants et les travailleurs de l'éducation qui sont l'un des meilleurs actifs de la société. Toute société qui ne respecte pas ses enseignants et ses travailleurs de l'éducation, qui donnent tant d'eux-mêmes pour éduquer la jeune génération, est en grande difficulté. Les traiter de déraisonnables et de fauteurs de troubles, c'est les placer dans une catégorie qui mérite d'être punie. C'est justifier leur criminalisation. Le fait d'imposer des peines sévères pour avoir défié la loi injuste les oblige à accepter des salaires et des conditions de travail déraisonnables. C'est aussi les humilier s'ils doivent choisir entre défendre ce qui est juste et perdre leurs moyens de subsistance et leurs professions. Cela montre que la société tout entière doit se mobiliser, car cette attaque vise tous les travailleurs de tous les secteurs de l'économie, pas seulement ceux de l'éducation.
En créant ce précédent, le gouvernement crée une situation qui ne lui sera pas favorable. Croire qu'il peut simplement gouverner par décret et déclarer qu'il a un mandat du peuple pour mettre en oeuvre une offensive antisociale toujours plus brutale et que le peuple sera d'accord avec les gouvernements de pouvoirs de police n'est pas rationnel. Il sera condamné par les travailleurs. Il peut penser que l'expérience des travailleurs de l'Ontario dans la lutte pour leurs droits va soudainement disparaître, mais cela ne se produira pas.
En se débarrassant de la Charte des droits et libertés et du Code des droits de la personne, le gouvernement montre clairement à tous qu'au Canada les droits ne sont pas vraiment des droits. Ils sont donnés et retirés d'un simple trait de crayon. En invoquant la clause dérogatoire, le gouvernement Ford pense pouvoir éliminer l'obstacle qui empêche les gouvernements de s'en tirer en maltraitant les enseignants et les travailleurs de l'éducation depuis 10 ans, en laissant les différends contractuels et les conventions collectives imposées se régler devant les tribunaux. Ce fut le cas avec l'infâme Loi 115 imposée par les libéraux en 2012, puis le projet de loi 124 imposé par les conservateurs en 2019. Ce recours aux tribunaux a servi à ceux qui sont au pouvoir à violer le droit de parole et d'organisation des travailleurs en faisant en sorte que la lutte se déroule dans les limites des tribunaux et du pouvoir que la Couronne exerce pour établir l'ordre du jour et déterminer qui peut et ne peut pas parler et comment. Mais même avec un tel pouvoir utilisé contre les enseignants, les travailleurs de l'éducation et leurs syndicats, les tribunaux à différents niveaux ont donné raison aux syndicats à plusieurs reprises. C'est intolérable pour un gouvernement déterminé à imposer des salaires et des conditions de travail inférieurs à ce que les enseignants, les travailleurs de l'éducation et le système d'éducation exigent. Le gouvernement Ford prépare maintenant le terrain pour une lutte politique ouverte avec les travailleurs.
Les travailleurs de l'Ontario trouveront les moyens d'obliger le gouvernement à rendre des comptes. La pandémie a révélé le rôle essentiel des travailleurs qui fournissent des services publics vitaux comme l'éducation et les soins de santé. Les gouvernements qui pensent pouvoir les traiter avec un tel dédain doivent être remis à leur place.
La situation appelle chacun à se joindre à cette bataille. Soyons unis pour défendre les droits de toutes et tous ! Condamnons la loi anti-démocratique et antisociale du gouvernement Ford !
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 52 - 2 novembre 2022
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