« Le monde serait mieux sans blocus à Cuba »

– Bruno Rodriguez Parrilla, ministre des Relations extérieures de Cuba –

Conférence de presse offerte par M. Bruno Rodríguez Parrilla, ministre des Relations extérieures de la République de Cuba, afin de présenter à la presse nationale et étrangère le Rapport actualisé concernant la Résolution 75/289 de l'Assemblée générale des Nations Unies intitulée : « Nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier appliqué à Cuba par les États-Unis d'Amérique » (période août 2021-février 2022)

Je vous remercie d'être venus.

Je ne sais pas si vous avez vu les vues de la trombe et de l'éclair au-dessus de la forteresse du Morro. On en a des images ? (Elles apparaissent sur l'écran.) J'espère qu'elle n'aura pas fait de dégâts...

Encore une fois, je vous remercie d'être venus.

L'Assemblée générale des Nations unies analysera pour la trentième fois d'affilée, les 2 et 3 novembre prochains, le point de son ordre du jour intitulé : « Nécessité de lever le blocus économique, commercial et financier appliqué à Cuba par les États-Unis d'Amérique »

Cela se fera dans un contexte spécial, marqué par les effets désastreux du cyclone Ian, par les retombées d'une crise mondiale multidimensionnelle — crise économique internationale, menace imminente de récession mondiale, crise alimentaire, crise énergétique, crise sanitaire, etc. Mais aussi dans un contexte marqué par un durcissement sans précédent du blocus appliqué à Cuba, qui a démarré depuis le second semestre de 2019, quand l'administration étasunienne antérieure a décidé de suivre une politique d'asphyxie économique, de guerre économique, qui visait délibérément l'effondrement non seulement de notre économie mais aussi de notre pays, et qu'elle a appliquée sans se soucier le moins du monde de ses graves conséquences humanitaires ni de ses retombées, car, même si cette politique n'atteindra jamais son objectif final, elle a incontestablement de très lourdes conséquences.

Le Rapport, disponible en ligne pour vous-mêmes, pour notre peuple et pour le corps diplomatique accrédité à La Havane, fait le point de toutes ces retombées.

Le blocus en soi n'a pas changé ; ce qui a changé, c'est qu'il a été chirurgicalement mieux conçu, qu'il vise chacun des principales revenues de notre pays, qu''il cherche avec hargne à frapper la vie quotidienne de notre population. Son objectif, en fait, n'est pas nouveau, il est celui que prônait dès avril 1960 le sous-secrétaire d'État Lester Mallory, à savoir déprimer les salaires réels et nominaux, provoquer de la faim, semer le désespoir de la population afin que celle-ci renverser le gouvernement révolutionnaire. En 1996, la Loi Helms-Burton a mieux codifié cette politique. Et l'administration républicaine de Trump, à son tour, s'est lancée dans une politique de pression maximale, appliquant plus de deux cents sanctions de son cru, à la recherche de ce même objectif cruel.

Je vais vous fournir une nouvelle donnée : d'août 2021 à février 2022, les pertes causées par le blocus se sont chiffrées à 3 806 000 000 de dollars. C'est là un record historique pour une période d'à peine sept mois ! Sans ces mesures, selon des calculs visant au plus bas, notre Produit intérieur brut aurait pu, malgré les circonstances défavorables, enregistrer une croissance de 4,5 % durant cette même période.

Durant les quatorze premiers mois de l'administration Biden, les préjudices et les dommages causés par le blocus se sont chiffrés à 6 364 000 000 de dollars, là aussi un record. Soit plus de 454 millions de dollars par mois, ou plus de 15 millions de dollars par jour !

En soixante ans, à prix courant, les préjudices se sont montés au total à 154 217 000 000 de dollars. Un montant exorbitant pour une économie aussi petite que la nôtre, pour un pays sans grandes ressources naturelles, une île sous-développée... Oui, mais, comparées à la valeur de l'or, ces pertes, compte tenu de la dépréciation de cet étalon, se chiffrent à un total énorme de 1 391 111 000 000 de dollars ! Autrement dit, un billion de dollars, qui équivaut à un million de millions, plus 391 milliards de dollars ! Imaginez ce que Cuba aurait pu faire si elle avait disposé de ces ressources. Imaginez ce qu'elle serait aujourd'hui si elle avait disposé d'une telle masse de ressources !

Le blocus économique est le facteur central qui définit la nature même de la politique étasunienne envers Cuba. Et, je le répète, l'administration Trump l'a durci à des degrés inouïs.

Or, la politique du démocrate Biden, marquée par l'inertie absolue envers Cuba, a repris exactement celle du républicain Trump : elle n'y a apporté aucun changement.

Cette conception de frappe chirurgicale continue de traquer chaque revenu, chaque source de financement et d'approvisionnement de notre pays, maintenant dans la pratique exactement les mêmes réglementations en vigueur.

Ses effets sont donc plus graves et, d'un point de vue humanitaire, plus pervers et plus nocifs.

Le blocus a dépassé, en qualité agressive, tout ce qui avait existé jusqu'ici.

S'il est vrai que les autorités étasuniennes avaient annoncé en mai 2016 des mesures qui, nous l'avons dit, allaient dans la bonne direction, il n'en reste pas moins qu'elles étaient toutefois extrêmement limitées et qu'elles ne modifiaient en rien le blocus ni dans sa portée ni dans sa profondeur.

L'économie cubaine a été marquée inexorablement ces deux dernières années par la coïncidence de ces deux effets avec ceux de la pandémie du Covid-19 qui a contraint notre pays à des dépenses exorbitantes et les conséquences des crises internationales, dont, plus récemment, la hausse des cours des aliments et des combustibles.

Le blocus existe bel et bien, c'est là une réalité qui crève les yeux ; personne dans son sain jugement ne pourrait affirmer qu'il n'existe pas ou que c'est un simple prétexte.

Il est parfaitement tangible, il touche et il frappe chaque famille cubaine, les Cubains qui vivent aux États-Unis, les citoyens étasuniens, et les personnes et les entreprises du monde entier.

Il vise à empêcher notre pays de satisfaire aux besoins essentiels de la population.

Il provoque des dommages directs extrêmes, compte tenu de l'engrenage intégral de ses mesures, mais il vise aussi un objectif pratique cruel : priver notre pays des ressources financières indispensables pour acheter des approvisionnements, des équipements, des parties et des pièces, de la technologie, des logiciels, d'où des dommages dans ce domaine. C'est le cas, par exemple, des aliments, dont la carence produit de longues queues, des ruptures de stock, de l'anxiété dans la population ; le gouvernement et les services correspondants ont même du mal à assurer le panier de la ménagère, à assurer la vie quotidienne des personnes.

Il est vrai que Cuba peut acheter des aliments sur d'autres marchés, et il est vrai aussi qu'il achète même des aliments aux États-Unis. Mais le blocus prive Cuba des ressources financières indispensables à ces achats aux États-Unis ou à des achats sur d'autres marchés. Je reviendrai là-dessus.

Le système électrique national traverse une situation extrêmement grave, parce qu'il se heurte à de sérieuses limitations, au manque de carburant dans certains cas, à toutes sortes d'obstacles pour pouvoir acheter des pièces de ressources et d'autres éléments. Ce manque de financement se doit au blocus, d'autant qu'il nous interdit d'utiliser des technologies étasuniennes, d'acheter sur le marché étasunien. Le blocus a donc un effet double, dont il faut forcément tenir compte.

Car il n'est pas bilatéral : il est extraterritorial ! Il est direct, mais il est aussi indirect, dans la mesure où il prive notre pays de ressources financières dans des domaines où il n'existe pas de prohibitions spécifiques d'achat sur des marchés tiers.

Ainsi, Cuba ne peut acheter nulle part et d'aucune manière des technologies, des équipements, des parties, des pièces, des technologies numériques ou des logiciels qui contiennent 10 % de composantes étasuniennes, ce qui a des retombées directes, aussi graves que la carence de devises pour pouvoir garantir des approvisionnements.

Les mesures de traque directe, financière, physique, d'extorsion, l'effet d'intimidation, les retombées d'un risque-pays élevé, poursuivent chacune de nos transactions commerciales ou financières, chacun de nos investissements, parce qu'elles placent les compagnies qui nous livrent devant un grave dilemme.

Prenons le cas des relations bancaires et financières : des dizaines et des dizaines de banques refusent leurs services à Cuba par peur des sanctions étasuniennes. D'autres, pour éviter ces sanctions, sont contraintes de parvenir à des accords à cause des actions illégales, extraterritoriales de l'administration étasunienne. Le blocus empêche le système financier cubain de se positionner normalement dans le système financier international.

La traque ciblée directement contre les producteurs, les transporteurs, les armateurs, les compagnies d'assurances et de réassurances entrave gravement nos achats de carburants et en élève les coûts du tiers, voire de la moitié.

On comprend donc que nous avons dû faire face à cette situation en adoptant des mesures d'urgence, que notre population comprend, malgré les difficultés quotidiennes que nous souffrons tous, et qu'il appuie, car le gouvernement a dû adopter des mesures pour sauvegarder le système électrique et répondre à d'autres besoins, des mesures rigoureuses, mais efficaces. C'est le cas de coupures de courant.

Je vais vous donner un autre chiffre : de janvier 2021 à février 2022, les banques étrangères ont adopté 642 mesures directes contre nous, refusant de nous prêter service, à cause des menaces du système financier étasunien. Six cent quarante-deux mesures en un laps de temps si bref ! Ce sont là de la part des USA des mesures unilatérales, coercitives, illégales par rapport au droit international, et aussi par rapport aux lois nationales des différents pays. Ce sont des mesures qui violent les normes du système financier international acceptées universellement.

Des dizaines de missions diplomatiques cubaines ne disposent plus aujourd'hui de services bancaires.

N'importe où dans le monde, un Cubain, un simple particulier ne peut ouvrir un compte en banque pour la simple raison qu'il est Cubain ! Ce qui est foncièrement discriminatoire.

La capacité de notre pays à produire des médicaments est gravement touchée par le blocus. Cuba produit 60 % de sa pharmacopée, mais, pour ce faire, elle a besoin non seulement de certaines matières premières, de parties et de pièces, de certaines composantes, mais aussi, de toute évidence, de financement que le blocus oppresseur et illégal empêche d'arriver dans notre pays.

Face à cette adversité, face à l'hostilité de l'administration étasunienne, notre pays ne s'arrête pas ni ne cesse de se rénover.

Cuba change tous les jours et continuera de changer. Cuba se rénove constamment. Ce qui ne change pas, ce qui ne se rénove pas, ce qui est ancré dans le passé, c'est la politique de blocus.

Nous avons surmonté le Covid-19 grâce à nos propres vaccins. Bien que l'administration étasunienne ait, au pic de la pandémie, fait des exceptions, autrement dit a assoupli temporairement pour des raisons humanitaires les mesures coercitives ou unilatérales qu'elle applique à des dizaines de pays, leur permettant d'acheter des vaccins, d'acquérir de l'oxygène médical, des ventilateurs pulmonaires, elle n'a pas inclus Cuba dans ce lot de pays ! C'était là un acte délibérément cruel, ce qui prouve que le blocus étouffe et tue !

Quand notre principale usine d'oxygène a eu un problème et que le pays est entré en crise dans ce domaine, l'administration étasunienne a placé des obstacles pour nous empêcher d'en acheter dans des pays tiers. Si aucun Cubain n'est mort pour cette raison, c'est grâce aux efforts extraordinaires et efficaces de notre peuple, de nos forces armées, de notre système de santé et de notre gouvernement.

De même, le blocus nous a empêchés d'acheter des ventilateurs pulmonaires : qu'a cela ne tienne, nous les avons fabriqués par nos propres moyens, avec nos propres prototypes.

L'économie cubaine traverse des moments très difficiles. Mais nous n'avons pas freiné les transformations en cours, ou ralenti l'autonomie et le développement croissants de l'entreprise publique socialiste. Toujours plus de micro-, petites et moyennes entreprises voient le jour, elles sont maintenant des milliers, aussi bien étatiques que privées, mais surtout privées. Nous continuons de développer la science, la technologie et l'innovation comme piliers de la gestion gouvernementale, et de garantir les transformations qui assurent les progrès de notre modèle socialiste.

Le référendum sur le code des Familles, récemment organisé malgré les difficultés, qui a été votée par la majorité. Les transformations en cours dans tout le pays et dans tous les domaines, à partir du principe qu'il faut changer tout ce qui doit être changé, et en vue de progresser vers un socialisme plus juste, plus humain, plus démocratique pour tout notre peuple.

Nous faisons tous un effort surhumain pour relancer l'activité économique qui a été gravement touchée par les circonstances que j'ai expliquées.

On travaille très activement pour diversifier la structure productive. Ce à quoi travaillent toujours plus les entreprises publiques et privées, tandis que les occasions d'investissement étranger augmentent dans le cadre de nos politiques de développement.

Même si le blocus continue de limiter ces efforts, nous ne renoncerons jamais à notre projet de justice sociale.

Le rejet du blocus a été l'un des points les plus abordés par les chefs d'État ou de gouvernement lors du segment de haut niveau de l'Assemblée générale des Nations unies qui vient de conclure. Quarante ont réclamé à haute voix la cessation de cette politique. Certains ont aussi réclamé que Cuba soit retirée de la liste arbitraire, injuste, capricieuse, immorale et illégale que dresse l'administration étasunienne au sujet des États censément commanditaires du terrorisme. D'autres ont remercié Cuba de la coopération internationale, surtout médicale, qu'elle prête de manière modeste et silencieuse.

Ce débat général a aussi prouvé éloquemment que la politique de blocus isole et discrédite l'administration étasunienne, que la majorité des Étasuniens s'y oppose, ainsi que la majorité des Cubains vivant aux États-Unis et dans d'autres pays, qu'elle est rejetée par la quasi-totalité de la communauté internationale et qu'elle doit être changée parce que le monde a changé. Un jour, une administration étasunienne sera forcée de le faire !

La condamnation de cette politique criminelle est universelle. Cette politique n'a pas vaincu Cuba, elle n'a pas atteint ses objectifs, même si elle provoque beaucoup de dégâts humains, si elle cause des souffrances quotidiennes à chaque famille quand elle se réunit autour de la table, dans le noir à cause des coupures de courant, ou alors quand elle cherche des médicaments pour un malade. Oui, notre peuple souffre !

Cuba a le droit de vivre sans blocus, Cuba a le droit de vivre en paix. Cuba serait mieux sans blocus. Nous serions tous mieux sans blocus. Les États-Unis seraient un meilleur pays sans blocus contre Cuba. Le monde serait mieux sans blocus à Cuba.

Je vous remercie.

(Cubaminrex)


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