Démission de la première ministre
La Grande-Bretagne chancelle tandis que sa classe dirigeante s'enfonce dans le bourbier du désespoir
Manifestation pour accueillir Liz
Truss devant le 10 Downing Street, le 5 septembre 2022, après
qu'elle est devenue première ministre
Dans son roman allégorique chrétien Le voyage du pèlerin, l'écrivain et prédicateur puritain anglais John Bunyan décrit la scène comme suit en 1678 : « Ce chemin fangeux est un endroit qu'on ne peut raccommoder, parce qu'il est l'égout où s'écoule continuellement l'écume et l'ordure que jette la conviction du péché. C'est pour cela qu'il est nommé le bourbier du désespoir, car lorsque le pécheur se réveille à la vue de son état de perdition, il est presque impossible qu'il ne s'élève dans son âme une nuée de frayeurs et de doutes qui lui livrent mille assauts. Ils lui font perdre courage et, s'unissant tous ensemble, ils viennent tomber dans ce lieu-ci. »
Cela s'applique à plusieurs égards à l'état actuel du projet d'édification nationale protestant initié par les Tudors en Angleterre il y a quatre siècles. Le passage décrit bien l'animosité de la classe dirigeante britannique qui va de crise en crise à cause de son refus de bâtir le Nouveau. Le système économique et politique mis en place dans les années 1660, dans le sillage de la guerre civile, n'apporte plus aux élites dirigeantes les avantages qu'elles recherchent dans leur capacité de s'enrichir en s'appuyant sur le système d'exploitation du travail et de vol pour le profit.
L'avènement de Boris Johnson à la barre avant Liz Truss était la preuve incontestée de la corruption, du privilège et de l'incompétence de l'élite. Celle-ci dirige un système de partis-cartels basé sur l'expropriation de la richesse produite par la classe ouvrière de Grande-Bretagne et le vol massif des peuples d'Asie, d'Afrique, d'Océanie et des Caraïbes, passés et présents.
Le 20 octobre, deux mois après l'élection de Liz Truss par un nombre infinitésimal d'électeurs britanniques en remplacement de Boris Johnson à la tête du Parti conservateur de Grande-Bretagne, et donc de facto première ministre, elle s'est montrée si inapte à gouverner la Grande-Bretagne qu'elle a été contrainte de démissionner après seulement 44 jours. Elle a prononcé un bref discours dans lequel elle rapporte avoir dit au roi qu'elle démissionnait de son poste de cheffe du Parti conservateur. Elle a dit avoir parlé avec le président du « Comité 1922 » du parti, responsable des élections du Parti conservateur, et a déclaré :
« Nous sommes tombés d'accord pour dire qu'il devrait y avoir une élection la semaine prochaine.
« Cela nous permettra de mettre en oeuvre nos projets budgétaires et de maintenir la stabilité économique et la sécurité nationale. [...]
« Je resterai première ministre jusqu'à ce qu'un successeur ait été choisi. »
Elle fabule lorsqu'elle parle d'un « nous » qui pourra « mettre en oeuvre nos projets budgétaires et maintenir la stabilité économique et la sécurité nationale ».
Cette démission était aussi prévisible qu'inévitable car la Grande-Bretagne connaît une nouvelle crise du système capitaliste usé dont la forme politique ne peut plus contenir les contradictions qui le déchirent. Le projet d'édification nationale anglais a depuis longtemps perdu son lustre. Il est né en opposition au système médiéval de servage et de servitude et était basé sur le système capitaliste d'exploitation du travail salarié; il a utilisé les forces productives et militaires avancées comme base pour s'emparer des terres d'Asie, d'Afrique et des Amériques et asservir et soumettre brutalement les peuples du monde à la domination coloniale.
Ce qui se passe en Grande-Bretagne aujourd'hui est la confirmation que le système économique capitaliste et l'ancien ordre constitutionnel sont dans une crise si profonde qu'ils ne peuvent être réformés et doivent être remplacés. La classe ouvrière a pour tâche de devenir la nation et d'instaurer un ordre constitutionnel moderne qui place les êtres humains au centre de projets d'édification nationale qui humanisent l'environnement naturel et social.
Toutes les mesures néolibérales prises au cours des quarante dernières années, à commencer par celles de la « Dame de fer » Margaret Thatcher, ont contribué à la destruction nationale. Les riches se vautrent dans des richesses mal acquises tandis que les infrastructures publiques privatisées, du système ferroviaire qui fut la base de l'édification nationale aux institutions sociales comme le système national de santé, sont en lambeaux. La pression de la production de guerre sur l'économie est insoutenable. Même la propriété privée est attaquée par des sanctions et d'autres moyens privilégiés dont disposent les institutions financières dans leur le rôle principal de voleurs de la richesse qu'elles sont censées protéger.
Les panacées de Thatcher de 1979 à 1990 pour « redonner sa gloire à la Grande-Bretagne » ont été reprises par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis, toutes couleurs politiques confondues. Cela comprend le gouvernement belliciste de Tony Blair qui a recouru à la fraude d'une «troisième voie» dans une tentative futile de détourner la voix et le pouvoir des travailleurs pour réaliser le rêve de Thatcher de rendre la Grande-Bretagne indispensable. Le résultat est une crise toujours plus profonde et l'incapacité de la classe dirigeante à exercer le pouvoir politique que les intérêts privés supranationaux ont usurpé.
Le pouvoir britannique est semblable aux sept cercles de l'enfer de Dante : les limbes, la luxure, la gourmandise, l'avarice, la colère, l'hérésie et, maintenant, la violence. Mais contrairement à l'époque de Dante, au XIVe siècle, lorsque le capitalisme était naissant, ou à l'époque de John Bunyan, où la monarchie était restaurée aux termes d'une guerre civile, où le capitalisme gagnait du terrain et où l'ordre constitutionnel actuel a été imposé, il n'y a aujourd'hui aucune magie qui permettra d'installer une forme de gouvernement de parti capable de cacher la réalité d'un gouvernement de pouvoirs de police au service des riches et de leur quête de domination mondiale.
Le peuple ressent comme jamais l'absence de pouvoir politique entre ses mains. Les halls, chambres et bureaux de Westminster et de Downing Street sont remplis d'individus corrompus, habilités et accommodés, dont beaucoup font le va-et-vient par la porte tournante entre le gouvernement et les puissantes entreprises privées, qui parlent d'une économie verte pour avancer leurs projets d'infrastructure et de sécurité nationale.
Les man uvres et les accords de coulisses révèlent les efforts désespérés des élites dirigeantes pour rattraper les pouvoirs productifs qui ont échappé au contrôle des forces productives humaines. Les formidables développements résultant de la révolution technique et scientifique placent les pouvoirs productifs au-delà de leur capacité à les contrôler. La conjoncture historique révèle que les peuples doivent se doter de leur propre conception du monde et d'une politique indépendante afin d'apporter aux problèmes auxquels eux-mêmes et la société sont confrontés des solutions qui leur sont favorables.
Des grèves de masse et des actions ouvrières ont lieu dans toute la Grande-Bretagne qui expriment les revendications du peuple en matière d'économie et de pouvoir politique qui offrent la stabilisation des conditions de travail et de vie et la paix. À moins que ces revendications ne soient satisfaites et que l'emprise des élites dirigeantes corrompues ne soit brisée, la descente aux enfers de la classe dirigeante britannique et la Grande-Bretagne elle-même se poursuivra dans une spirale incontrôlée, et suivront la France, l'Allemagne et d'autres.
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 45 - 21 octobre 2022
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