À titre d'information
Lettre de Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois, au secrétaire général de l'Assemblée nationale au sujet de sa décision de ne pas prêter serment à Charles III
Monsieur Siegfried Peters
Secrétaire général
Assemblée nationale du Québec
Monsieur le Secrétaire général,
Je souhaite par la présente vous signifier mon intention de prêter serment uniquement envers le peuple québécois et non envers le roi d'Angleterre. La pratique des dernières décennies veut que les élus prêtent serment deux fois, soit une fois envers le roi d'Angleterre et une fois envers le peuple québécois. Or, il appert de notre examen du corpus juridique de l'Assemblée nationale que seul le serment envers le peuple québécois est requis par le règlement de l'Assemblée.
Le rituel d'allégeance au roi découle en effet non pas du droit québécois, mais de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 (ci-après l'« AANB »). Or ce rituel a déjà évolué de manière organique, sans qu'une modification législative n'ait été nécessaire : notons, par exemple, le serment en français qui est désormais accepté malgré le fait que l'AANB ne prévoit que le serment en anglais, ou l'exemple de la déclaration solennelle qui est devenu une pratique acceptée en remplacement du serment, pour ceux qui n'ont pas de convictions religieuses.
Dans un jugement récent de 2014 qui s'est penché sur la signification du serment au roi, la Cour d'appel de l'Ontario a énoncé que le serment était un symbole qu'il ne fallait pas prendre à la lettre et qui consistait non pas à prêter allégeance à la personne de la reine mais plutôt au gouvernement, ses institutions et la démocratie. Suivant ce principe, le serment déjà prévu au règlement de l'Assemblée nationale remplit amplement ce critère de loyauté envers le gouvernement et la démocratie, ce qui rend le serment envers le roi redondant et superflu.
À mes yeux, la concomitance de deux serments contradictoires, l'un envers le peuple québécois et l'autre envers la couronne britannique, placent tant les élus que l'Assemblée nationale elle-même dans un conflit d'intérêt et de loyauté qui n'est pas tolérable en démocratie. On ne peut servir deux maîtres : l'intérêt du peuple québécois n'est pas celui de la couronne d'un pays étranger et l'histoire du Québec est remplie d'illustrations explicites à cet égard, comme la pendaison des Patriotes et la déportation des Acadiens.
Dans la mesure où la responsabilité de l'Assemblée nationale n'est pas de veiller à l'interprétation de la constitution canadienne mais bien à la santé démocratique du Québec, je demande à cette institution de reconnaître que mon serment envers le peuple québécois est suffisant pour siéger au salon bleu. Je demande également à l'Assemblée nationale de s'abstenir de m'imposer des sanctions pour avoir posé ce geste.
Si d'autres institutions sont insatisfaites de mon refus de prêter serment au roi, elles pourront bien sûr saisir les tribunaux pour débattre de cette évolution des moeurs. Mais je ne crois pas que ce soit à l'Assemblée nationale à se substituer aux tribunaux dans l'interprétation de la constitution, ni de faire passer une loyauté envers des rituels imposés par la couronne britannique avant la loyauté envers les électeurs et la démocratie québécoise.
Je vous demande de bien vouloir répondre à ma requête avant le 21 octobre qui est la date prévue de mon assermentation.
En vous remerciant de l'attention que vous porterez à ma requête, je vous prie d'agréer, Monsieur le Secrétaire général, l'expression de mes sentiments les plus sincères.
Paul St-Pierre Plamondon
Député de Camille-Laurin
Chef du Parti québécois
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 42 - 14 octobre 2022
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