Sur la conjonction historique

Introduction à la discussion sur la situation internationale

Cette introduction à la discussion sur la situation internationale a été présentée par Pauline Easton lors d'une réunion des membres et sympathisants du PCC(M-L) à Gatineau le 27 juillet 2022. Elle est basée sur le travail théorique du PCC(M-L) sur les définitions modernes nécessaires pour faire place au renouvellement du processus politique et de l'ordre constitutionnel.

Il est de la plus haute importance aujourd'hui de reconnaître que nous vivons une conjoncture historique rare où l'Ancien a disparu et où le Nouveau n'a pas encore vu le jour. Elle est entre autres caractérisée par le fait que les forces productives de ce monde se sont développés au-delà de tout ce que les humains ont pu concevoir en termes de politique. Qu'est-ce que cela signifie et quelles en sont les conséquences ?

Le système international qui périclite aujourd'hui a vu le jour avec la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles, la Deuxième Guerre mondiale, etc. Il a fallu deux guerres mondiales pour établir l'ordre mondial. Le droit international, les accords commerciaux, les traités, les institutions financières, l'ONU – tout cela a été créé. Cette période comporte des réalisations dont la plus importante est la preuve qu'il existe une alternative à l'impérialisme et à la guerre impérialiste. La Grande Révolution socialiste d'Octobre 1917 et la création de l'URSS en 1922 ont donné naissance au Nouveau à cet égard.

Historiquement, dans le contexte de l'existence de sociétés de classes, les guerres sont le mécanisme de changement des systèmes. Et la guerre mondiale est déclenchée lorsqu'il y a un marché mondial. La Révolution d'Octobre et la création de la Russie soviétique, puis de l'URSS en 1922, ont donné une alternative sous la forme de gouvernements antiguerre. En raison du développement du capital qui tentait d'anéantir le socialisme et le communisme en tant que système, le monde a vu la montée du nazisme et de l'État fasciste ainsi que du militarisme japonais. L'URSS les a combattus. Appuyée par la résistance des travailleurs et des peuples du monde, elle a montré qu'il y a une issue à la guerre impérialiste.

À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les crimes contre la paix ont été définis par le Tribunal international de Nuremberg (et d'autres tribunaux similaires). Ces instruments ont été reconnus au niveau international et ils ont une importance dans l'historiographie libérale parce qu'on prétend que les États-Unis en sont responsables, alors que ce sont les Soviétiques qui ont été capables de fournir la synthèse de l'expérience qui a donné lieu aux définitions de l'époque, surtout en ce qui concerne la définition de l'agression. Aujourd'hui, toutes ces notions sont utilisées contre les peuples du monde, comme par exemple la façon dont les États-Unis accusent les autres de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, etc.

La gauche libérale a tendance à se référer à Nuremberg et à divers instruments comme la Déclaration universelle des droits de l'homme – toutes ces choses qui ont fait partie de la défaite du fascisme – pour présenter les États-Unis comme la principale force ayant établi ces concepts, en disant que ce sont des concepts anglo-américains, pas français, pas soviétiques. En fait, ce sont les juristes soviétiques qui ont contribué à définir l'agression et les crimes contre la paix, entre autres, pas les Américains.

L'importance de tout cela est que ces choses ont été utilisées pour détourner l'attention de la nécessité d'unir les peuples dans l'action pour établir les conditions qui garantiraient leur désir de paix, de liberté et de démocratie, par exemple en procédant à la dénazification et à la démilitarisation et en traduisant en justice ceux qui ont commis des crimes. Pour y parvenir, une notion et une pratique de la complicité ont été développées. Celle-ci va au-delà de la conception anglo-américaine d'un complot. Le complot est nécessairement une affaire secrète, tandis que la complicité s'établit simplement en déterminant d'où vient l'agression et ce que font les différentes forces par rapport à cela. Cela n'a rien à voir avec un complot secret. Elle n'est pas secrète et il n'y a même pas un besoin de contact direct.

Un des premiers exemples de cela est donné par les pays qui ont soutenu l'impérialisme américain dans son affirmation que la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a agressé la République de Corée (RC), se révélant ainsi un agresseur et justifiant l'intervention en 1950 de 22 nations membres de l'ONU dans la guerre dans la péninsule coréenne sous le drapeau de l'ONU. Tout d'abord, les impérialistes américains ont ouvertement divisé la Corée au niveau du 38e parallèle et ont créé la République de Corée pour saper les élections appelées dans tout le pays par le peuple coréen qui venait de conquérir sa libération contre l'occupation japonaise. Sur cette base, ils ont instauré un régime fantoche virulemment anticommuniste en Corée du Sud et ont fomenté une guerre civile. Ils se sont engagés dans d'innombrables provocations contre la RPDC au 38e parallèle et lorsque la RPDC s'est défendue, ils l'ont accusée d'avoir « envahi le sud » et d'avoir commis une agression. Les États-Unis ont ouvertement brouillé la définition de l'agression et rendu d'autres pays complices au nom de la lutte contre la propagation de l'« agression communiste ».

L'apport global de Nuremberg est la définition de l'agression qui inclut la préparation et la propagande pour la guerre. Avant même que Nuremberg n'établisse cette définition, des bombes atomiques avaient été utilisées. Au cours des premières années du développement des armes nucléaires, dans les années 1940, une relation entre les armes nucléaires et l'État américain s'est développée, par le biais du Bureau du président. Une fois que le lien entre les armes nucléaires et le Bureau du président des États-Unis a été établi de façon permanente, il est impossible que les États-Unis ne soient pas une force contre les définitions établies à Nuremberg. Soutenu par l'ensemble des forces universitaires et industrielles, le lien entre les armes nucléaires et le président est devenu une force d'agression.

Cet arrangement est au coeur de l'établissement d'un gouvernement de guerre permanent aux États-Unis, de ce qu'on appelle le complexe civil-militaire-industriel. Tous les arguments donnés éclipsent le fait que les armes nucléaires sont activement utilisées pour définir l'agression. Elles sont l'arme ultime. Ce n'est pas simplement parce qu'il s'agit d'une arme de destruction massive. En fait, le bombardement incendiaire de Tokyo a fait plus de morts que le bombardement d'Hiroshima et Nagasaki avec l'arme nucléaire. La raison en est que la bombe nucléaire a d'abord été considérée comme une plus grosse bombe. Plus tard, tout ce qui pouvait menacer la sécurité des États-Unis a été désigné comme une arme de destruction massive. C'est la définition utilisée aujourd'hui pour criminaliser quiconque, même si son crime est d'utiliser sa parole d'une manière que les dirigeants déclarent une menace à la sécurité nationale, comme dans le cas de Julian Assange. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Australie, le Canada et d'autres lèche-bottes américains sont complices de son extradition vers les États-Unis, bien qu'il ne soit pas citoyen américain et n'ait commis aucun crime. Au contraire, il a exercé son droit civil de parole et de diffuser des informations.

Quant aux armes nucléaires, elles ont été utilisées à plusieurs reprises pour menacer les peuples soviétiques, le système soviétique, la Corée, le Vietnam, Cuba et les peuples d'Europe dans leur ensemble. Ce qui n'est pas aussi facilement compris, c'est que la chose concerne davantage la fonction du président des États-Unis. Le serment du président des États-Unis n'est pas, comme on le croit généralement, de défendre la Constitution des États-Unis, c'est d'exécuter fidèlement sa fonction. La seconde partie du serment dit simplement que le président doit protéger la Constitution des États-Unis « du mieux de ses capacités ». Cela peut signifier tout ce que chaque président définit en fonction des intérêts privés qui contrôlent la fonction. Le serment comporte toujours deux aspects : l'un concerne l'ensemble de l'appareil gouvernemental des pouvoirs de police et l'autre est de lui conférer une légitimité constitutionnelle.

Avant la création du Bureau fédéral d'investigation (FBI) comme force de police fédérale en 1908, les pouvoirs de police étaient à l'origine principalement basés sur les États – ils relevaient des tribunaux et des corps policiers locaux. Les décisions des tribunaux locaux au niveau de l'État avaient le contrôle de l'établissement et de la conduite des pouvoirs de police. Aujourd'hui, aux États-Unis, il existe 17 agences de renseignement, dont le FBI, qui font toutes partie des pouvoirs de police de l'exécutif fédéral. Elles constituent une autorité distincte de celle des États, liée au contrôle des armes nucléaires, de l'armée permanente et de la bureaucratie militaire au niveau fédéral. Elles sont utilisées pour définir et limiter toutes les luttes qui ont lieu à l'intérieur des États-Unis ou à l'étranger. Tout cela et les armes nucléaires elles-mêmes sont utilisés en dehors du mécanisme de l'ONU.

La complicité est plus qu'un complot. C'est un phénomène commun aujourd'hui avec l'apparition de gouvernements de pouvoirs de police et la désarticulation de la politique. Par exemple, les différentes ailes du cartel qui a créé les débats présidentiels aux États-Unis à l'époque de la présidence Clinton, n'ont cessé de faire monter les enchères dans le but de gagner et de connecter les responsables de l'appareil d'État au marché monétaire. Aujourd'hui, la spéculation de ce qu'on appelle les Super PAC dans les élections a atteint des niveaux sans précédent. Les Super PAC peuvent recueillir des sommes illimitées auprès de sociétés, de syndicats, d'associations et de particuliers et dépenser des montants illimités pour soutenir ou s'opposer à des candidats. Au 15 août, 2 325 groupes organisés en tant que Super PAC ont déclaré des recettes totales de 1 488 195 425 $ et des dépenses indépendantes totales de 430 215 694 $ pour l'exercice financier 2021-2022.

Tout cela concerne le point que le monde a atteint aujourd'hui, où les élections ne servent plus à régler les différends entre les factions au pouvoir pour le contrôle du pouvoir politique. Ce qui était autrefois des partis politiques au sein d'un État censé servir le bien public et défendre une autorité politique est devenu des cartels de type mafieux, instruments d'intérêts privés étroits qui exercent désormais directement les pouvoirs politiques pour favoriser leurs propres intérêts. Cela alimente les scénarios de guerre civile au niveau national, tandis qu'au niveau international, une fois que la politique s'effondre, nous avons dépassé la notion d'agression telle que définie à Nuremberg. Nous n'avons plus affaire à la guerre en tant que continuation de la politique par d'autres moyens, car il n'y a pas de politique, seulement des diktats pour imposer la soumission et, à défaut, la destruction des forces productives. Cela s'est développé sur une longue période, comme en témoigne le diktat des États-Unis ne permettant pas les négociations pour parvenir à la paix, comme en Palestine, en Syrie, en RPDC, en Ukraine et dans d'autres conflits. Depuis la création d'Israël, la division de la Corée et la guerre de Corée, la partition de l'Inde et bien d'autres exemples, la complicité a donné lieu à des situations permanentes de ni guerre/ni paix et, aujourd'hui, à des guerres de destruction de nations entières et de leurs forces productives. Au coeur de la complicité se trouve l'affirmation que toute l'affaire a une légitimité constitutionnelle aux États-Unis.

Dans le cas de la Libye, les États-Unis ont détruit une société entière; elle n'existe plus. Mais au moment de cette guerre de l'OTAN menée par les États-Unis, Obama a déclaré qu'il ne s'agissait pas d'une guerre ni même d'hostilités. En d'autres termes, le cas de la Libye montre comment le problème des pouvoirs de police se joue au niveau international également. Mais plus encore, dans le cas de la Libye, lorsqu'Obama a déclaré que l'invasion ne s'élevait pas au niveau de la guerre, il a énoncé une nouvelle doctrine – la doctrine Obama. La doctrine Obama dit essentiellement que l'engagement dans une guerre ne nécessite pas de mécanisme constitutionnel. Obama est allé jusqu'à dire que la destruction de la Libye ne constituait même pas une situation d'hostilités telle que définie par les lois de la guerre. Cela a repoussé encore les limites de la constitution américaine. Cette doctrine inclut le droit déclaré de procéder à des assassinats par le biais de la guerre des drones, d'utiliser des contracteurs privés pour s'engager dans la guerre sous le couvert de fausses missions humanitaires, etc.

Tout cela confirme que ce ne sont pas seulement les gens comme Trump qui appellent ouvertement à la destruction de la Constitution des États-Unis : l'aile de la classe dirigeante américaine qui prétend défendre les institutions démocratiques libérales et sauvegarder l'ordre constitutionnel est tout aussi désireuse de sa destruction. Il en va de même pour le gouvernement actuel du Canada, qui s'efforce de concentrer les pouvoirs de police dans l'exécutif et de rendre les assemblées législatives inutiles, tout cela au nom de la préservation de l'ordre constitutionnel. Les dirigeants de divers pays qui sont complices du prétendu « ordre international basé sur des règles » se battent pour concentrer de plus en plus de pouvoirs de police dans l'exécutif, lequel a été accaparé par des intérêts privés étroits. Ils sont engagés dans la bataille pour le contrôle de toutes les forces productives qui se sont développées au-delà de tout ce que les humains ont conçu en termes de politique. Ce qu'ils ne peuvent soumettre par la force, ils le détruisent.

Les dirigeants sont confrontés à des contradictions qui ne peuvent être résolues au niveau international du point de vue des intérêts des énormes oligopoles qui ont été créés. Le monde entier est pris en otage par le dilemme américain de maintenir l'ordre qui a été instauré après la Deuxième Guerre mondiale et qui permet aux États-Unis de se proclamer superpuissance. Les pays qui respectent la Charte des Nations unies et l'État de droit international établi sur sa base après la Deuxième Guerre mondiale tentent d'ériger un bloc contre les actions des États-Unis, et se heurtent au problème de la complicité établie par les États-Unis.

Depuis la présidence de Ronald Reagan, le nouveau modus operandi est de rechercher la complicité de ce qu'on appelle les alliés. C'est sous Reagan et, en Grande-Bretagne, sous Margaret Thatcher, que les bases de l'offensive néolibérale antisociale ont été posées au nom du néo-conservatisme. Il s'agissait d'un programme visant à restructurer les arrangements étatiques au niveau national afin de faire payer la crise de l'État-providence aux travailleurs et d'intensifier l'utilisation de méthodes secrètes au niveau international. Depuis l'effondrement de l'ancienne Union soviétique sous la pression de la restructuration réactionnaire appelée perestroïka et glasnost, nous voyons les dirigeants anglo-américains et leurs complices détruire les forces productives des pays les plus anciens, comme l'Irak, la Libye et la Syrie.

Beaucoup de choses arrivent à leur terme. Il y a notamment la fin de la guerre froide et la fin de l'ordre mondial des grandes puissances impérialistes. Ce sont deux moments qui sont liés et qui ont leur propre motion. Les pays impérialistes qui ont connu deux guerres mondiales, qui ont servi à éliminer l'Angleterre et la France en tant que grandes puissances, sont toujours là, tout comme le conflit-et-collusion entre les États-Unis et, aujourd'hui, non pas l'Union soviétique, mais la Russie, sur ce qui a toujours été appelé la question allemande[1].

Un problème auquel les dirigeants américains sont confrontés est qu'aux États-Unis, tout le système constitutionnel est encore en place. C'est la base pour donner à la société américaine sa forme républicaine – des 13 colonies aux États, puis à leur expansion jusqu'à l'ensemble du territoire désigné comme les États-Unis aujourd'hui. La période de création des États-nations, qui commence à l'issue de la guerre civile anglaise dans les années 1660, est également une période de crise internationale qui a entraîné les prémices de la création des États-Unis, au fil de nombreuses guerres. La conception de la souveraineté, entière et indivisible, s'est développée parallèlement en France et en Angleterre, d'abord au nom du droit divin, comme en témoignent l'établissement de l'Église d'Angleterre et la prise de possession des terres de l'Église sous Henri VIII puis Elizabeth I en Angleterre et la déclaration de Louis XIV en France, « L'État c'est moi ! » Le fondement de la décision finale est né du régicide de Charles Ier dans la théorie avancée par Thomas Hobbes dans son célèbre ouvrage Léviathan, qui expose sa théorie de la Convention – la théorie d'une personne fictive de l'État et de l'autorité publique et l'ordre constitutionnel qui en émanent. Il traite de deux questions interdépendantes issues de la guerre civile et constitue la base du droit des nations, également appelé droit de la guerre.

Les États-nations autonomes peuvent entretenir des relations pacifiques avec les autres ou entrer en guerre. La guerre est au centre de toutes les questions relatives aux relations entre les pays reconnus comme des États-nations, établis sur le modèle européen, que la forme de gouvernement soit monarchique ou républicaine. Les guerres qui se sont déroulées en Chine, en Perse, en Amérique et en Europe pendant une période de formation de 60 ans ont été comparables à ce qui s'est produit plus tard sous le nom de Deuxième Guerre mondiale. Cette période a été une autre conjoncture rare qui a également compris une crise environnementale. Les États-nations, la théorie des États-nations et leur lien avec la capacité militaire et, plus important encore, le développement des forces productives, sont devenus un nouvel ensemble. Une partie essentielle de l'enquête sur ces années de formation nécessite également l'examen de l'influence de la révolution prolétarienne, en particulier depuis 1848, date de la publication du Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels, qui résume toute la période précédente, jusqu'à aujourd'hui.

En ce qui concerne la théorie de la représentation, c'est-à-dire la manière dont les individus se rapportent à l'État, le problème n'est pas seulement que l'État est un mécanisme de coercition, c'est aussi qu'il suppose l'appartenance à un corps politique. La définition de l'appartenance donnée par Hobbes est fondamentalement ce que nous avons aujourd'hui. Elle est en train de mourir, mais elle ne sera pas achevée tant que des définitions modernes n'auront pas été élaborées sur la base de la mobilisation et des méthodes démocratiques de masse.

Le principal obstacle au renouvellement nécessaire aujourd'hui est que l'État prive les peuples d'une conception du monde. C'est le cas depuis les années 1600 et c'est une question qu'il faut aborder.

La conjoncture est ici un tournant, un moment où tout se joue. Si l'on ne porte pas attention à l'histoire, on ne reconnaîtra pas qu'il s'agit d'un type particulier et rare de conjoncture. Par exemple, dans les années 1970, nous avons dit que la révolution était la principale tendance. Soit la révolution entraverait la guerre impérialiste, soit la guerre impérialiste donnerait lieu à la révolution. Tout serait réglé. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Avec l'effondrement de l'Union soviétique, l'essor de la révolution s'est transformé en un repli. La révolution a battu en retraite. L'initiative est passée des mains de la classe ouvrière et du peuple aux mains de la bourgeoisie réactionnaire et de son offensive antisociale qui a donné la priorité à la restructuration de l'État pour favoriser des intérêts privés étroits. La contre-révolution s'est installée.

Engels y a fait allusion après la mort de Marx, à un moment où les sociaux-démocrates allemands se faisaient élire au gouvernement. Il a dit concernant les élections que l'obtention du suffrage universel était une mesure de la maturité de la classe ouvrière. Il a dit que les mouvements seraient écrasés dans les deux premières décennies des années 1900, qu'il y aurait une guerre mondiale pour écraser ces mouvements. Son argument n'était pas que la guerre allait avoir lieu à tel ou tel moment, mais que seul le prolétariat pouvait construire une société nouvelle.

Il n'est pas rare de voir des gens prendre des arguments du passé et les utiliser à mauvais escient dans le présent pour spéculer sur ce qui va se produire. Dans toutes les périodes historiques, des conceptions et des mouvements importants sont utilisés comme points de référence. Ce n'est pas grave. Les arguments en soi ne sont peut-être pas faux, mais ils passent à côté de l'essentiel. Ce sont des arguments de type « fin de l'histoire ». Les arguments de la fin de l'histoire prétendent que l'idéologie évolue – l'idéologie évolue du capitalisme ou du socialisme, tout comme une espèce évolue, avec un début, un milieu et une fin. Il n'y a aucune preuve de cela puisque les idées et les idéologies ont toutes une base matérielle qui leur est propre. Les idées ne naissent pas des idées. Dans la présentation du monde par l'auteur de la thèse sur la fin de l'histoire, Francis Fukuyama, ce qui évolue est la forme du gouvernement. Il ne parlait pas des croyances, c'est-à-dire de ce qui est dans la tête des gens, qui est souvent confondu avec l'idéologie. Fukuyama disait que la forme idéologique avait atteint sa forme finale.

Les formes ont à voir avec ce qui se passe entre les individus et le collectif, comment la représentation se fait, comment le gouvernement prend forme. Ce sont des formes, pas des contenus. Lorsque les gens parlent de crimes contre l'humanité et de croyances, la forme idéologique concerne la manière dont les choses sont démêlées et dont le cerveau appréhende ces relations. L'échange des points de vue est important mais ce qui ressort, c'est la forme de la représentation. Cette forme basée sur la théorie de la Convention permet qu'un collectif, un corps politique, puisse avoir des pouvoirs sur les individus. C'est dans ce contexte que Fukuyama pose la forme finale de ce gouvernement.

La fin de l'histoire dit qu'il n'y a pas d'autre moyen que cette forme de gouvernement pour régler ces questions. C'est faux. Les individus et les collectifs, la structure générale de la société, les institutions et les organisations internationales sont tous des choses qui existent. Ce que les dirigeants anglo-américains et leurs complices demandent, c'est la complicité avec cette forme finale et la désinformation de l'État vise précisément à empêcher la reconnaissance de cette réalité. Tous les mouvements pour la justice, la paix et la démocratie doivent se concentrer sur le remaniement de l'ordre constitutionnel plutôt que sur la fidélité aux relations entre les humains et entre les humains et la nature et ce qu'elles révèlent, à savoir la nécessité que les peuples se donnent les moyens d'agir en formulant les revendications qui s'imposent. Le peuple doit parler en son propre nom, et non pas céder son autorité à d'autres qui représentent une personne fictive de l'État qui règne au-dessus de lui.

Comment développer ses propres organisations de défense ? Quelle est la base de leur autorité ? Il est important de répondre à ces questions car les intérêts privés disent qu'ils constituent eux-mêmes l'autorité publique parce qu'elle est constitutionnelle. Cela ne traite pas du contenu de l'autorité publique. La manière dont la société est constituée est la forme.

Les forces productives sont énormes à l'heure actuelle et elles sont créées par des êtres humains qui sont classés comme subordonnés à ces forces productives. Mais c'est leur travail, le travail des êtres humains. La classe ouvrière fait partie intégrante de ces forces productives, mais elle est contrainte à une relation d'asservissement parce que la classe dirigeante en revendique la propriété. Les forces productives créées par les humains, ainsi que le développement rapide de la science et de la technologie, sont la source des relations. Il n'y a pas de société en dehors d'eux. Ces forces ont dépassé les limites de toute forme existante. L'arme de choix pour détruire les forces productives est l'arme nucléaire.

Depuis environ 10 000 ans, les êtres humains ont développé leurs propres moyens de subsistance, l'agriculture, la domestication des animaux, les débuts des villes, la technologie, etc. Cela donne lieu à la création de besoins humains et c'est ce qui motive tout le reste. La révolution qui a eu lieu dans cette conjoncture historique était plus gigantesque que les révolutions plus récentes. C'est de cette conjoncture que nous sortons tous.

Lors de l'élection américaine qui a porté Donald Trump a pouvoir, ce dernier a dit que Clinton était contre le réchauffement climatique tandis que lui était contre l'utilisation des armes nucléaires. Ce sont deux parties des forces productives humaines qui sont devenues si puissantes qu'elles échappent au contrôle des forces productives. Selon les géologues, nous vivons dans une période anthropocène, où les humains existent comme une force géologique de la nature. Le climat existe en tant que force humaine. Il est reconnu que les forces productives humaines ont créé cette situation. Les modèles de réchauffement climatique sont issus du développement des armes nucléaires et des prédictions d'hiver nucléaire. Il suffit de dire qu'une longue histoire de développement humain arrive à son terme. Nous pourrions connaître une nouvelle ère glaciaire, ou autre.

Un problème pour les cercles dirigeants est qu'ils pensent pouvoir prédire qui les représentera, mais même avec 17 agences de renseignement, ils ne le peuvent plus. Hilary Clinton l'a découvert à ses dépens en perdant les élections face à Trump. Dans cette élection, Clinton a dit que le but de l'élection de permettre à des millions de personnes de choisir leur camp. De même aujourd'hui, avec la rivalité factionnelle à laquelle nous assistons aux États-Unis, cette forme finale d'État représentatif et son processus politique ne peuvent plus faire de prédictions sur la façon dont les choses vont tourner. Les peuples sont simplement appelés à choisir leur camp. Tout cela souligne que toutes les formes qui assuraient l'équilibre et une certaine stabilité et prévisibilité sur cette base, ne fonctionnent plus. Rien de ce qui est en place ne permet de faire de prédictions et c'est l'une des raisons pour lesquelles les gouvernements de pouvoirs de police entrent en jeu – pour préserver l'État.

Les cercles dirigeants doivent faire des prévisions. Par exemple, comment gérer les développements en Chine, où des centaines de millions de personnes – la taille de la population des États-Unis, du Canada et du Mexique réunis – quittent la campagne pour les villes et sont prolétarisées. L'incapacité des impérialistes américains et de leurs complices, dont le Canada, à analyser les situations en tenant en compte les spécificités de la conjoncture historique et les ramifications de la révolution technique et scientifique fait que les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres pays sont de plus en plus désespérés dans leurs efforts pour contrôler les forces productives qui leur ont échappé. Ce qu'ils ne peuvent pas contrôler, ils cherchent alors à le détruire, créant ainsi la situation extrêmement dangereuse et volatile que nous connaissons aujourd'hui.

La conjoncture historique engendre différentes possibilités. Une telle possibilité est que des sociétés s'effondrent. On reconnaît aussi des sociétés établies au-delà de l'horizon étroit du droit bourgeois ou de la société civile. Il est possible de passer de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins.

Nous avons besoin d'un moyen de calculer les besoins humains et de les satisfaire. Il n'y a pas de processus politique pour cela à l'heure actuelle. Les dirigeants parlent de préférences et non d'intérêts, c'est pourquoi le processus et les institutions politiques ne permettent pas de faire des prévisions et les terroristes font des choses que les dirigeants ne peuvent pas prévoir. Ils sont en dehors de leur civilisation. L'argument de Bush selon lequel vous êtes soit avec nous, soit avec les terroristes concerne ceux qui essaient de faire des calculs sur l'ensemble de l'ordre mondial. Ils ne peuvent pas faire de prédictions parce qu'ils ne sont pas en phase avec le mouvement de la société à ce moment historique rare auquel il faut faire face. Le mécanisme des États-Unis et des puissances de l'OTAN pour faire face à cette situation est la guerre – la guerre civile à l'intérieur du pays et la guerre mondiale.


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Volume 52 Numéro 39 - 7 octobre 2022

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