Les défis pour les intervenants du système scolaire
Quelques chiffres avant tout, quand on parle des travailleurs de l'éducation des centres de services scolaires, ça signifie près 99 000 enseignantes et enseignants oeuvrant auprès du 1 370 000 d'élèves du primaire, du secondaire, de la formation générale des adultes et de la formation professionnelle. Nos collègues sont les éducateurs, les orthophonistes, les psychologues, les psychoéducateurs et les autres employés de soutien. Quant aux infirmières et travailleurs sociaux, ils sont présents dans nos écoles à la suite d'ententes avec les CLSC de nos secteurs.
Pour les enseignants, et pratiquement sans surprise, la gouvernance de Legault a été synonyme de concentration des pouvoirs entre les mains de l'exécutif (rappelons-nous la loi 40 qui, entre autres choses, a aboli les commissions scolaires) et une augmentation de l'arbitraire dans l'application des conditions de travail des enseignants d'une école à l'autre, voire d'un enseignant à l'autre. Ça s'intensifie avec ce qu'on appelle l'annualisation de la tâche. Bref rappel, avant, notre tâche était divisée en heure par semaine – tant d'heures pour l'enseignement, tant de minutes pour une activité parascolaire, tant de minutes pour préparer les cours, etc.
Lors de la dernière négociation, il semble que pour obtenir les augmentations de salaire que nous avons eues, il a fallu, en échange, accepter de transformer notre tâche d'heure par semaine à heure par année scolaire. Nous ne maîtrisons pas toutes les conséquences, mais d'ores et déjà – car nous sommes en pleine période de signatures de tâches – on s'aperçoit que l'annualisation augmente le nombre de périodes où nous devons être disponibles pour les différents comités mis sur pied par la direction. On prévoit donc une augmentation de la tâche.
Comment on retourne cela à notre avantage ? Ça veut dire beaucoup d'échanges entre nous pour ne pas être victimes de l'interprétation que chaque membre de la direction a de l'annualisation de la tâche. Pour les enseignants d'expérience, ça signifie aussi porter une attention à nos plus jeunes collègues qui souvent n'osent pas remettre en question les décisions de la direction de crainte d'être sous leur radar.
Autre élément qui crée de l'insécurité : l'intégration — qu'entre nous on dit « brutale » — d'élèves avec des besoins particuliers. Il y a ce qu'on connaît bien : des élèves dyslexiques qui ont besoin de plus de temps et d'accompagnement pour maîtriser une notion, des élèves en désorganisation qui ont eux aussi besoin de temps et d'espace pour ventiler leur colère et leurs frustrations, des élèves avec des handicaps moteurs qui nécessitent du matériel spécialisé pour accomplir une tâche, ou encore des élèves avec un trouble du langage qui peinent à comprendre une tâche et à l'exécuter s'ils n'ont pas un intervenant à leur côté pour prendre le temps qu'il faut (j'ai un élève qui prend, en moyenne, 1 minute avant de répondre à une question simple, parce qu'il ne trouve pas ses mots). Tous ses élèves sont parmi une trentaine d'autres (au secondaire) et il est impossible de répondre à leurs besoins.
La pression exercée sur leurs enseignants est énorme, car on leur dit qu'il faut différencier l'explication de la tâche selon cesdits besoins... Sous le gouvernement Legault, c'est l'enseignant qui est blâmé s'il n'adopte pas les méthodes d'apprentissage « selon des données probantes », c'est lui qui doit changer, et non pas les conditions qui lui permettraient de faire cet accompagnement.
Les enseignants et leurs collègues sont aussi dans une situation où les arrangements précédents – transmission des informations, structure de l'accompagnement des élèves, rôle des conseillers, etc., sont détruits. Le défi qui nous est posé, est de créer de nouveaux arrangements qui servent nos responsabilités sociales, et donc, les besoins de nos élèves.
Par exemple, à quelques jours de la rentrée, nous avons appris qu'un groupe d'élèves appartenant à une école spécialisée allait être transféré à notre école. Il s'agit de jeunes autistes non verbaux ayant une déficience intellectuelle. L'équipe qui les accueille a une expérience avec les jeunes en déficience intellectuelle uniquement, et le Centre de services scolaires a déplacé ce groupe à mon école sans assumer ses responsabilités quant aux conditions et à la formation nécessaires que doivent avoir les intervenants de ces jeunes..
Bref, à la mi-septembre, à la suite de deux épisodes de désorganisation de deux de ces jeunes, nous en étions à trois membres du personnel blessés, dont deux sont en congé prolongé depuis. Nous avons contrecarré la pression du silence exercée sur les intervenants de ne pas parler de peur d'être blâmés en s'informant collectivement sur les besoins de ces élèves, le type de matériel dont ils doivent disposer – ça va jusqu'à des lumières tamisées – pour être en position de demander à la direction qu'elle le fournisse, de même qu'une formation adéquate du personnel qui les entoure.
Pour nous, les baisses de ratio enseignant/élève et l'ajout de services directs à ces derniers sont le point de départ pour humaniser le système d'éducation. Et parce que cela nécessite des investissements massifs, donc la remise en question de l'orientation de l'économie vers les intérêts privés, ces demandes sont plus que niées, elles ne font même pas partie de la discussion publique, le gouvernement ne le permet pas.
Aussi, surtout depuis la pandémie, les travailleurs des écoles remarquent combien leur milieu de travail traite de plus en plus avec les conséquences qu'a l'offensive antisociale dans tous les secteurs de la société. Nos élèves et leur famille vivent l'insécurité généralisée, la précarité financière, le manque de ressources en santé et en services sociaux. Nous vivons avec eux chaque jour et, dans les faits, les écoles deviennent de plus en plus là où les familles font appel pour avoir des vêtements chauds, des repas pour leurs enfants le midi, de l'accompagnement pour l'anxiété de ces derniers ou de l'aide pour eux-mêmes, en tant que parents, pour remplir des formulaires ou bien pour aider à diminuer les tensions entre eux et leurs enfants.
Ce que ça veut dire, c'est que les enseignants et leurs collègues, en mettant en commun leurs expériences et connaissances, sont capables d'apporter des solutions à la vaste majorité des problèmes en éducation et que cela contribue aussi au bien-être de toute la communauté. L'obstacle est que les enseignants ne sont pas dans l'équation de qui contrôle les décisions en éducation et c'est ce qui doit être changé. Les enseignants et leurs collègues des maisons d'éducation n'ont pas le choix que d'échanger ensemble chaque jour pour apporter des solutions aux multiples problèmes qu'ils et elles confrontent. Ils ont besoin que toute la population les appuie pour que ce soit cette discussion qui soit dans l'espace public quand on parle d'éducation.
Geneviève Royer est dirigeante du Parti marxiste-léniniste du Québec et candidate du PMLQ dans Pointe-aux-Trembles. Elle est enseignante orthopédagogue dans ce quartier depuis près de 30 ans et déléguée syndicale de son école.
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 36 - 3 octobre 2022
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