Les députés de l'Assemblée nationale vont-ils prêter serment d'allégeance au roi ?

Un problème en vue : une fois que les élections seront terminées et que les élus se rendront à Québec, ils devront faire le serment d'allégeance au « roi Charles III » avant de siéger à l'Assemblée nationale et d'exercer leurs fonctions. Pour beaucoup, c'est un problème et c'est une obligation qu'ils ont du mal à accepter. Ils ont l'impression de compromettre leur conscience. En l'absence d'un projet d'édification nationale qui investit le peuple du pouvoir souverain, plusieurs ne sauront pas quoi faire devant cette situation embêtante.

En 1982, le gouvernement de René Lévesque a fait adopter la Loi de l'Assemblée nationale qui introduit l'obligation de chaque député de jurer fidélité au peuple du Québec. Mais les députés doivent aussi jurer allégeance au monarque parce que la constitution de 1867 les y oblige toujours.

Ce n'est donc pas vraiment une solution et cela montre le genre d'irrationalité qui s'installe lorsque les problèmes ne sont pas assortis de solutions modernes viables. Une fois que les députés ont prêté allégeance au roi, c'est-à-dire aux arrangements constitutionnels du Canada qui ne reconnaissent pas le droit du Québec à l'autodétermination, l'Assemblée nationale est automatiquement restreinte dans sa capacité de faire un geste significatif et peut même se le voir interdire.

À plusieurs reprises dans l'histoire du Québec, des élus ont voulu refuser de faire le serment d'allégeance à la reine, mais ont fini par le faire quand même. Un cas bien connu est celui des six députés du Parti québécois qui ont refusé de faire le serment lorsqu'ils ont été élus pour la première fois en 1970. Ils ont décidé de siéger à la tribune des spectateurs pendant plusieurs semaines avant de finalement céder.

En 2018, les dix élus de Québec solidaire ont fait une requête au secrétaire général de l'Assemblée nationale qu'ils puissent faire le serment à la reine en privé pour ne pas en faire un spectacle, ce qui leur a été accordé. Ils ont fait le serment au peuple québécois en public et celui à la reine en privé. Les députés du Parti québécois avaient quant à eux modifié le serment pour dire : « D'ici à ce que le Québec soit indépendant... je déclare solennellement que je serai fidèle et porterai vraie allégeance à Sa Majesté la reine Élizabeth II. »

Québec solidaire a ensuite présenté un projet de loi visant à abolir le serment, mais le gouvernement de la CAQ s'y est opposé et le projet de loi n'a pas été adopté. Le leader parlementaire de la CAQ Simon Jolin-Barrette avait justifié l'opposition de son parti en disant que « ce n'est pas par une motion que ce problème peut être réglé ». « Cela requiert une modification constitutionnelle qui est tout de même complexe » alors que « l'aspect réaliste est qu'il faut s'asseoir avec les partenaires », avait-il dit, ajoutant que la question du serment d'allégeance « est loin des préoccupations des Québécois ».

À l'époque, plusieurs constitutionnalistes ont affirmé qu'il n'était pas nécessaire d'avoir une loi, que les députés devraient simplement refuser de le faire le serment au monarque. Ils ont fait valoir que l'Assemblée nationale est souveraine de facto et que, politiquement, personne dans les cercles dirigeants n'aurait l'audace de le contester quand on sait que la très vaste majorité des Québécois n'ont que mépris pour cette obligation de prêter serment à un monarque, et étranger par-dessus le marché.

Un autre argument pourrait être qu'ils ont été élus avec un vote majoritaire dans leur circonscription et que l'Assemblée nationale n'a pas le droit de s'ingérer pour contredire la volonté du peuple. C'est-à-dire ou bien l'élu représente l'électorat, ou bien il représente le monarque. Ça ne peut pas être deux à la fois. Ce serait irrationnel, ridicule. En plus, selon le dernier sondage de Pollara, seulement 18 % des Québécois pensent que le Canada devrait garder ces liens avec la monarchie. Soixante-quatre pour cent sont contre.

Selon le Parti marxiste-léniniste du Québec, l'Assemblée nationale devrait forger un consensus à l'effet de ne pas entériner la succession en refusant de prêter le serment d'allégeance au roi. C'est une question de principe car ce serment est en contradiction avec l'idée que le pouvoir de décision appartient au peuple par le biais de l'Assemblée nationale et que les représentants sont élus par la population. Mais même si un consensus ne peut être atteint, le courage de refuser permettrait de voir qui veut entreprendre le combat politique de défendre le droit d'occuper son siège sur la base du plus grand nombre de vote reçu dans sa circonscription à l'élection.

Si on nie aux élus leur droit de prendre leur place à l'Assemblée nationale, comment résoudra-t-on le vide ? Est-ce le représentant du roi au Québec qui dictera la solution, peut-être dire qui devrait siéger à sa place ? Où peut-être qu'il existe déjà un précédent pour une situation pareille ? En tout cas, cela a l'air d'une bonne crise constitutionnelle que le Québec se fera un honneur de provoquer.

Une chose est certaine, si tout le monde refusait de prêter ce serment d'allégeance à un monarque étranger, cela deviendrait de facto la nouvelle tradition. Déjà, le Québec a refusé d'apposer sa signature à la Loi constitutionnelle de 1982 parce qu'elle ne respecte pas les droits de la nation du Québec, y compris le droit à l'autodétermination jusqu'à la sécession si elle le désire. Refuser le serment pousserait la chose plus loin et serait un pas de plus dans la résolution de la crise constitutionnelle en faveur du peuple, au Québec et dans tout le Canada.


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Volume 52 Numéro 35 - 2 octobre 2022

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