Mobilisation citoyenne à Rouyn-Noranda pour forcer le gouvernement à mettre en oeuvre les standards environnementaux

– Entrevue avec Nicole Desgagnés –

Le 23 septembre prochain, à l'occasion de la Journée mondiale de grève pour le climat, la communauté de Rouyn-Noranda organise une marche pour forcer le gouvernement du Québec à mettre en oeuvre les standards environnementaux afin de protéger la population. Une des demandes principales est que le gouvernement du Québec doit obliger le géant minier/métallurgique anglo-suisse Glencore à réduire l'émission d'arsenic de la fonderie Horne à 3 nanogrammes par mètre cube, qui est la norme officielle au Québec, dans les plus brefs délais.

Cette marche fait suite à toute une série d'actions citoyennes menées par les organismes communautaires, dont des assemblées publiques où les résidents ont pris la parole pour faire entendre leur voix et leurs revendications. Forum ouvrier s'est entretenu récemment avec Nicole Desgagnés, porte-parole du Comité ARET (Arrêt des rejets et émissions toxiques Rouyn-Noranda), qui est très actif dans cette action citoyenne. ARET est un comité de parents d'enfants du quartier Notre-Dame, situé très près de la fonderie, de même que de citoyens et citoyennes mobilisés pour protéger la santé de leurs enfants et de la population de Rouyn-Noranda.

Forum Ouvrier : Bonjour Nicole, pouvez-vous nous expliquer le but de la manifestation du 23 septembre dont votre comité est un des principaux organisateurs ?

Nicole Desgagnés : La manifestation du 23 septembre est une manifestation pour la planète, en lien avec les changements climatiques. Elle est aussi en lien avec les injustices environnementales. On considère que la situation que nous vivons ici est une injustice environnementale. On sait que tout ce qui s'en vient avec les changements climatiques touche davantage les plus pauvres et les plus vulnérables, les pays les plus pauvres en particulier. Nous considérons qu'à Rouyn-Noranda, nous faisons face aussi à une injustice environnementale dans le sens que les normes québécoises ne sont pas appliquées chez nous. Un des thèmes importants de la marche c'est l'atteinte du 3 nanogrammes par mètre cube (ng/m3) d'arsenic dans l'air qui est la norme officielle au Québec et la norme de l'Organisation mondiale de la santé. Plusieurs organismes communautaires participent à l'organisation de la marche, dont le Regroupement d'éducation populaire de l'Abitibi-Témiscamingue, La planète s'invite au parlement Abitibi-Témiscamingue, ARET et Mères au front de Rouyn-Noranda. Il y aussi d'autres situations d'injustice environnementale au Québec, notamment parmi les communautés autochtones.

La mobilisation citoyenne dans la région pour protéger la santé de la population est très forte.Personnellement, je n'ai jamais vu les médecins aussi mobilisés qu'ils le sont présentement. Nous vivons une convergence de beaucoup de groupes de la population. Il y a des syndicats qui sont mobilisés, des gens d'affaires également. Tout le monde se connaît ici.

FO : Vous n'êtes pas d'accord avec la proposition du gouvernement et de Glencore de réduire les émissions d'arsenic dans l'air par la fonderie Horne à 15 ng/m3 d'ici 5 ans. Pouvez-vous nous en dire plus ?

ND : Nous trouvons cette proposition insuffisante. En 2004, il y a eu un avis d'experts de la santé de l'INSPQ (Institut national de santé publique du Québec) et de l'environnement qui ont recommandé que la fonderie baisse ses émissions d'arsenic à 10 ng/m3 en 18 mois. Ces spécialistes avaient fait cette recommandation parce qu'on venait juste de passer une période où cela avait même monté à 1000 nanogrammes parfois pendant certaines années. Malgré cela, entre 2007 et 2017, le gouvernement du Québec a permis des émissions allant jusqu'à 200 ng/m3. Et dans l'attestation gouvernementale qui va de 2017 à novembre prochain, le gouvernement a autorisé 100 nanogrammes.

Les recherches, qui n'ont cessé d'augmenter depuis l'époque, montrent que la norme est insuffisante. Elles ont démontré que nous avons beaucoup plus de cancer du poumon dans la région qu'à l'échelle du Québec alors que nous ne fumons pas plus qu'ailleurs. Elles ont démontré également que nous avons des nouveau-nés de plus petit poids, que nous avons des enfants qui naissent avec des retards de croissance intra-utérine. Ils ont des retards dans leur développement dès leur naissance. Ici nous avons beaucoup de métaux et nous devons examiner la synergie de ces métaux-là. Il n'existe pas beaucoup d'études qui montrent la synergie des émissions dans l'air de différents métaux, arsenic, plomb, cadmium, nickel, etc.

Si la norme était de 15 nanogrammes et qu'il y avait juste l'arsenic qui est en cause, peut-être que cela protégerait les enfants de la neurotoxicité. Toutefois ce que les scientifiques disent, c'est que quand nous sommes dans une situation d'effet synergique de métaux, nous faisons face à des impacts beaucoup plus grands. Nous disons que la norme de 15 nanogrammes pour l'arsenic, cela peut être une étape, mais pas une étape qu'on atteint dans 5 ans. Il faut l'atteindre immédiatement. Nous devons atteindre le 15 nanogrammes très vite, et se fixer un échéancier pour atteindre la norme québécoise du 3 nanogrammes le plus rapidement possible.


Des résidents s'expriment lors d'une assemblée publique, le 8 juillet 2022, pour demander au gouvernement d'obliger Glencore à respecter les standards environnementaux.

La proposition du ministre de l'Environnement et de Glencore veut dire qu'on va vivre avec une émission supérieure à 15 nanogrammes pendant 5 ans. Pendant ce temps, le cadmium et les autres métaux sont aussi au-delà de la norme québécoise. On demande que le 15 nanogrammes pour l'arsenic soit atteint dans la première année et c'est possible parce que déjà, certains jours, entre 15 et 30 % selon les années, le 15 nanogrammes est atteint. Ce qui fait augmenter les émissions, ce sont les intrants, les produits qui sont traités par la fonderie qui sont riches en arsenic.

On sait aussi que plus tu es exposé tôt dans la vie, plus tu cours de risques par la suite. On hypothèque la vie des gens et on sait que notre espérance de vie est en moyenne de 2 à 5 ans plus basse que les autres villes et que la moyenne au Québec.

Nous n'apprécions pas la position du gouvernement non plus qu'à partir du moment où on atteindra le 15 nanogrammes, toute une partie de la ville vivra en fait sous une émission de 3 nanogrammes, soit environ 85 % de la ville. Le reste, comme le quartier le plus touché qui est situé près de la fonderie, continue de vivre avec une émission de 15 nanogrammes. C'est un argument de division qui n'est pas acceptable.

Le gouvernement a annoncé une consultation en ligne sur l'arsenic qui va débuter le 6 septembre. Nous avons vécu au Québec la consultation sur le nickel, et les rapports étaient unanimes, même de la santé publique, et pourtant le gouvernement n'a pas écouté les scientifiques. Il a réduit dramatiquement la limite d'émission du nickel. [En avril dernier, à la demande expresse de Glencore, le gouvernement a décidé, par réglementation, de permettre un niveau d'émission de nickel dans l'air au Québec qui est cinq fois plus élevé que la norme limite d'émission en vigueur à ce moment-là - note de la rédaction] Cela nous laisse sceptique sur la valeur de la consultation publique que le gouvernement va faire à Rouyn.

Le gouvernement propose aussi de tenir une assemblée publique sur la question. Cela nous trouble un peu, cela va rendre les choses très émotives, avec des travailleurs angoissés à l'idée qu'ils pourraient perdre leur travail. Je pense que le gouvernement ne peut pas échapper à sa propre responsabilité qui doit reposer sur une base scientifique. Il doit prendre ses responsabilités et faire son travail. C'est pour cela que nous ne nous sommes pas adressés directement à Glencore avec nos préoccupations et nos revendications. L'État québécois doit prendre sa responsabilité.

Nous avons besoin de l'appui de tout le Québec parce que je pense que la lutte que nous menons va avoir une portée symbolique importante pour tout le Québec.

(Photos : ARET, E. Lessard-Therrien)


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Volume 52 Numéro 33 - 30 septembre 2022

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