Sujets de préoccupation en Ontario

Le gouvernement Ford confère de nouveaux pouvoirs exécutifs aux maires à l'approche des élections municipales

– Enver Villamizar –

Manifestation à Toronto contre la loi 5 du gouvernement  Ford, 12 septembre 2018. La loi coupe de moitié  le nombre de conseillers municipaux durant la campagne électorale.

Le 24 octobre, des élections municipales auront lieu dans tout l'Ontario pour les conseils de ville et les conseils scolaires. C'est suite à l'élection provinciale du 2 juin qui a donné au Parti progressiste-conservateur (PC) une majorité avec un taux de participation de seulement 43 % et le vote de seulement 18 % de l'ensemble de ceux qui ont le droit de vote.

Après l'élection du 2 juin, le premier ministre Doug Ford a révélé qu'il s'agissait de donner à son gouvernement un mandat pour, entre autres, construire une route vers le Cercle de feu dans le nord de l'Ontario. Il s'agit de fournir des minéraux essentiels convoités par ceux qui parient sur le marché des véhicules électriques et de nouvelles usines de batteries qui seront payées par le public de diverses manières mais gérées par des monopoles mondiaux. Un aspect important de cette direction de l'économie est la demande de ces monopoles mondiaux d'agir rapidement sur les diverses approbations de zonage municipal et les évaluations environnementales « pour mettre les pelles dans le sol » et pour s'assurer que tout est à leur disposition et que rien ne ralentit les plans qu'ils ont fixés pour la province. De plus, le gouvernement prétend que l'élection a donné son aval à son plan de construction de 1,5 million de logements au cours des 10 prochaines années et que tout cela vise à éliminer les formalités administratives pour les constructeurs.

Le 9 août, trois jours après le début de son deuxième mandat, le gouvernement PC nouvellement élu a déposé et maintenant adopté le projet de loi 3, la Loi de 2022 pour des maires forts et pour la construction de logement. Cette loi n'a pas été discutée avant ou pendant l'élection, mais la signification du slogan des PC que « Doug Ford fait avancer les choses » devient maintenant évidente.

La nouvelle loi limite considérablement, et dans certains cas élimine presque entièrement, le rôle des conseillers municipaux élus localement tout en centralisant les pouvoirs exécutifs des villes entre les mains des maires. Elle s'applique pour l'instant aux villes de Toronto et d'Ottawa, mais sera étendue à d'autres communautés lorsque le gouvernement estime que la municipalité est « engagée dans la croissance, engagée à être capable de mettre les pelles dans le sol, et vous devez être en mesure de mettre ce plan en place », a déclaré le ministre du Logement et des Affaires urbaines Steve Clark lors de la discussion de la législation.

Plus précisément, la loi donne aux maires des pouvoirs exécutifs étendus qu'ils peuvent exercer afin « d'aligner le processus décisionnel municipal sur les priorités provinciales ».

Au nom de ces priorités vagues dictées en vertu des pouvoirs exécutifs accrus qui leur sont conférés, les maires peuvent désormais réarranger l'hôtel de ville, rédiger le budget et le présenter au conseil uniquement pour amendements. Ils peuvent opposer leur veto à toute décision ou tout règlement qui, selon eux, ne s'aligne pas sur les priorités provinciales, lesquelles restent définies. Ce veto ne peut être annulé que par un vote majoritaire des deux tiers. Néanmoins, pour tout ce qui relève des priorités provinciales prescrites, c'est le maire seul qui établit le budget et certaines priorités et les soumet au conseil. C'est un point sur lequel le gouvernement Ford a particulièrement insisté dans son explication des pouvoirs.

Le fait de confier au seul maire le pouvoir d'établir le budget permettra de « faire avancer les choses ». La logique donnée est que, comme dans certaines villes, il faut un chef de conseil fort qui puisse décider de l'ordre du jour du gouvernement, et par extension du peuple, et le rôle des conseillers consiste simplement à apporter des amendements à une orientation déjà fixée par décret. En vertu de la loi des municipalités actuelle, la plupart des municipalités ont un comité budgétaire chargé de coordonner le processus budgétaire. Le comité du budget comprend une partie ou l'ensemble du conseil et des cadres supérieurs et a généralement pour mandat d'« élaborer et faire approuver l'énoncé des priorités et des objectifs de la municipalité, puis le soumettre aux chefs de service ; mettre à la disposition des services municipaux l'assistance technique du personnel des services financiers ; évaluer les budgets individuels présentés par les divers services ; regrouper les budgets des services et le budget des conseils locaux en un seul document budgétaire général en vue de sa présentation au conseil pour examen ». Tous ces pouvoirs seraient désormais entre les mains du maire ou de son représentant.

La nouvelle loi prévoit des pouvoirs élargis pour les maires en ce qui concerne l'embauche et le licenciement du personnel et les instructions données aux employés de la ville concernant la mise en oeuvre des décisions ou l'application des vetos. Le maire a le pouvoir de nommer le directeur administratif, qui peut alors exercer les pouvoirs du maire lorsque ceux-ci sont délégués. Le maire a également désormais « le pouvoir d'engager ou de congédier le chef d'une section ou le chef d'une autre partie de la structure organisationnelle ou d'exercer à son égard d'autres pouvoirs prescrits en matière d'emploi », moyennant certaines exceptions[1]. En outre, le maire peut désormais créer ou dissoudre des comités, nommer les présidents et vice-présidents des comités et attribuer des fonctions aux comités. La loi précise également comment une municipalité doit tenir une élection partielle pour élire un maire si le maire en exercice démissionne ou n'est pas en mesure d'occuper le poste.


Un cadre pour l'exercice des pouvoirs laissés à la Couronne

Nulle part dans la loi sur « les maires forts » du gouvernement Ford, ou dans le débat à l'assemblée législative, les priorités provinciales ont-elles été explicitées ou définies de manière à établir un cadre permettant au public de comprendre quand ces pouvoirs peuvent être exercés. La loi dit simplement que le lieutenant-gouverneur en conseil prescrira les priorités provinciales, ce par quoi nous sommes censés comprendre qu'elles seront décrites dans le discours du trône rédigé par le gouvernement Ford. Tout cela reste en grande partie secret et en dehors de tout discours public. Il ne faut pas oublier que le gouvernement a refusé de rendre publiques les lettres de mandat adressées aux différents ministères.

Toutefois, à différents moments du débat à l'assemblée législative, des ministres ont donné un aperçu des domaines dans lesquels ces pouvoirs peuvent être utilisés, comme « la construction et l'entretien des infrastructures essentielles pour soutenir l'offre et la disponibilité accélérées de logements, y compris, mais sans s'y limiter, le transport en commun, les routes, les services publics et la viabilisation » et « la construction de plus de logements, de transport en commun et de collectivités axées sur le transport en commun ». En fin de compte, c'est l'exécutif du gouvernement provincial qui donne aux maires des pouvoirs arbitraires étendus dans les domaines décidés par le premier ministre et ses ministres.

L'élection des maires, qui, par la loi pour des maires forts, sont clairement mandatés pour être des agents du premier ministre, sont une véritable farce, tandis que les conseillers municipaux élus localement sont complètement mis à l'écart.

Il est irrationnel de parler de responsabilité envers l'électorat lorsque les décisions sont prises de manière arbitraire et en fonction de priorités établies en secret. C'est pourtant ce qui est clairement énoncé dans la loi. La loi prévoit « les décisions prises ou les pouvoirs exercés, notamment le pouvoir de veto, légalement et de bonne foi en application de la présente partie ne doivent pas, en totalité ou en partie, être annulés ou faire l'objet d'une révision par un tribunal pour le motif qu'ils sont ou paraissent déraisonnables ». Il s'agit d'un exemple clair de l'utilisation des pouvoirs exécutifs que l'ordre constitutionnel du Canada consacre.


Définition du contrôle ministériel

Bien qu'elle ne définisse pas les priorités pour lesquelles les pouvoirs seront utilisés, la loi sur les maires forts précise que le ministre des Affaires municipales et du Logement de l'Ontario a le pouvoir de prendre des règlements concernant tous les aspects des nouveaux pouvoirs et la façon dont ils sont exercés, y compris l'interdiction pour un maire de déléguer ses pouvoirs au conseil, par exemple, ce qui est considéré comme un acte de défiance envers les nouveaux pouvoirs. Ces règlements ministériels peuvent être rétroactifs jusqu'à six mois.


Processus d'adoption

La loi a été adoptée à la hâte par l'assemblée législative afin qu'elle soit en place pour les maires  élus lors des élections municipales du 24 octobre. Selon les députés provinciaux de l'opposition, le gouvernement a tenu une séance d'information ministérielle sur la loi à 16 h un jour, puis, à 22 h 45 le lendemain, les députés ont été informés que la loi serait déposée et que le débat commencerait le jour suivant. Le projet de loi a fait l'objet de sept jours de débat et a été adopté le 9 septembre, un mois après avoir été déposé.

Le comité chargé d'étudier la loi et de proposer des amendements est le Comité permanent du patrimoine, de l'infrastructure et de la culture. Il s'est réuni le 22 août pour commencer à débattre de la loi, le jour même où le candidat à la mairie de Toronto, John Tory, a publié un plan de logement pour la région du Grand Toronto. Le ministre qui a déposé la loi, Steve Clark, a déclaré que le plan de Tory est exactement le type de plan que faciliteraient les nouveaux pouvoirs. On apprend ainsi que la loi sert également à intervenir dans les élections municipales de Toronto en faveur d'un candidat particulier. L'utilisation du pouvoir et des privilèges pour faire avancer des intérêts privés étroits révèle de plus en plus ouvertement la corruption inhérente à l'ordre constitutionnel du Canada.

Chers lecteurs, tout cela est légal ! Il n'y a prétendument rien que nous puissions faire à ce sujet ! C'est du moins ce qu'on voudrait nous faire croire.

Note


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Volume 52 Numéro 32 - 29 septembre 2022

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