Victoire des travailleurs agricoles migrants au Tribunal des droits de la personne de l'Ontario

Le 15 août, le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario (TDPO) a tranché en faveur de 54 travailleurs migrants, la plupart originaires des Caraïbes, qui ont déposé une plainte alléguant que la Police provinciale de l'Ontario (PPO) avait fait preuve de discrimination raciale à leur égard dans le cadre de son enquête sur une agression sexuelle en 2013. L'agression a eu lieu à Bayham, une petite communauté du comté d'Elgin, dans le sud-ouest de l'Ontario. La décision du TDPO est la première affaire de ce type au Canada mettant en cause les droits humains dans laquelle sont traitées des allégations de racisme, de discrimination et de profilage racial par la police à l'encontre de travailleurs agricoles migrants.

Le demandeur dans cette affaire, Leon Logan, est un travailleur agricole qui, comme les 53 autres, a été amené au Canada sous contrat dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS). Il a allégué que la façon dont la PPO a mené son enquête l'a ciblé, lui et les autres travailleurs, en raison de la couleur de leur peau, de leur race et de leur lieu d'origine, ce qui constitue une violation du Code des droits de la personne de l'Ontario.

Pour sa défense, la PPO a affirmé qu'elle n'avait rien fait de mal et que « la recherche d'ADN était fondée sur la description de l'agresseur comme étant un travailleur agricole migrant, la proximité des travailleurs agricoles migrants à la scène du crime, l'urgence de la situation et le caractère volontaire de la demande d'ADN. »

La PPO a effectué un « ratissage » pour recueillir des preuves génétiques auprès de près de 100 travailleurs migrants de la région. Nombre d'entre eux se sont sentis obligés de coopérer de peur de perdre leur emploi. En fait, les travailleurs qui ont refusé se sont fait dire par leurs employeurs que leurs services ne seraient plus requis la saison suivante.

Pour situer le contexte, dans sa décision l'arbitre du TDPO souligne que le programme du PTAS, établi par le gouvernement fédéral en 1966 pour assurer une source de main-d'oeuvre bon marché pour le secteur agricole de l'économie, a été un instrument de discrimination et d'abus racistes. L'exploitation de ces travailleurs et leur statut temporaire année après année, ainsi que leur isolement forcé des communautés dans lesquelles ils vivent, les criminalisent et les déshumanisent.

La Dre Jenna Hennebury, de l'Université Wilfrid Laurier, note ce qui suit dans son témoignage : « Les travailleurs migrants sont liés à un seul employeur dans le cadre du PTAS et les employeurs ont le pouvoir de licencier et d'expulser les travailleurs migrants sans raison et à tout moment, ce qui crée un déséquilibre de pouvoir dans la relation d'emploi. » Elle explique que « la plupart des travailleurs du PTAS sont des hommes issus de ménages pauvres qui ont souvent un faible niveau d'éducation, sont socialement isolés en raison de la structure du PTAS et sont confrontés à des obstacles systémiques quand ils veulent protéger leurs droits légaux et accéder à la justice ».

Sur la base des preuves présentées par les deux parties, le TDPO a conclu que la PPO n'a rien fait de mal en effectuant les tests ADN en tant qu'outil d'enquête, mais que la manière dont le prélèvement a été effectué – en incluant des travailleurs qui ne correspondaient manifestement pas du tout à la description de l'agresseur fournie par la victime – était inacceptable et constituait du racisme et du profilage racial. Le tribunal a souligné qu'il s'agissait d'un grave problème d'intimidation et de ciblage de la communauté noire par la police au Canada.

Alors que Leon Logan demandait des dommages-intérêts de 30 000 dollars en compensation de « son droit inhérent de ne pas être victime de discrimination et de l'atteinte à sa dignité, à ses sentiments et à son respect de soi », la PPO a proposé que l'indemnité ne soit pas supérieure à 2 000 dollars, ce qui donne une idée de la vision de la police. L'arbitre a jugé « raisonnable », compte tenu des faits, d'accorder 7 500 dollars.

Le communiqué de presse publié par Justicia for Migrant Workers à la suite de la décision du TDPO indique que les parties ont conclu un accord qui permettra aux 53 travailleurs restants de recevoir la même indemnité que Leon Logan. Le TDPO tiendra des réunions à une date ultérieure pour discuter des « recours d'intérêt public » qui comprennent la destruction potentielle des données sur l'ADN recueillies auprès des travailleurs, ainsi que la nécessité de veiller à ce que les enquêtes futures soient conformes au Code des droits de la personne de l'Ontario.

LML félicite Leon Logan et tous les autres travailleurs pour leur victoire, et salue leur détermination et leur combativité malgré les obstacles considérables auxquels ils ont été confrontés, notamment la pression et l'intimidation de la police, ainsi que le risque de perdre leurs moyens de subsistance. Leur avocat Shane Martinez a observé : « Bien que cette décision représente une victoire historique, elle nous rappelle également le travail important qui reste à faire pour comprendre et combattre le racisme anti-noir et son impact sur les travailleurs agricoles migrants à travers le Canada. L'oppression et l'exploitation endurées par des dizaines de milliers de travailleurs agricoles migrants racialisés dans ce pays constituent une partie honteuse de l'histoire canadienne et de notre réalité actuelle. »

Chris Ramsaroop, de Justicia for Migrant Workers, a ajouté : « Il s'agit d'une victoire importante pour un groupe de travailleurs courageux dont la force du nombre et le désir ardent de changement ont mené à la victoire d'aujourd'hui. Ces travailleurs se sont battus et continueront de se battre pour mettre fin à la criminalisation et aux pratiques policières racistes. »

(Avec des informations de www.harvestingfreedom.org. Graphique : J4MW)


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Volume 52 Numéro 27 - 16 septembre 2022

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