Des écrits de Hardial Bains

Échec

– 17 janvier 1989 –

L'échec est beaucoup plus difficile à accepter que la victoire. Mais les choses se compliquent pour celui qui refuse d'admettre l'échec. C'est le cas de Mikhaïl Gorbatchev, président de l'URSS et secrétaire général du Parti communiste d'Union soviétique. Il est allé d'un extrême à l'autre, de la libéralisation à l'emploi des chars et des forces de l'ordre, mais il n'a pas réussi. Ne lui en déplaise, tôt ou tard il devra se faire à l'idée de son échec.

Lorsqu'un étudiant échoue à un examen de chimie ou de physique, ce n'est pas la faute de la chimie ou de la physique, c'est la sienne. De même, ce n'est pas la faute du marxisme-léninisme si tous les chefs de l'Union soviétique depuis Nikita Khrouchtchev à Mikhaïl Gorbatchev ont échoué en marxisme-léninisme. Khrouchtchev et tous ceux qui lui ont succédé jusqu'à Gorbatchev ont appliqué aux conditions nationales et internationales une idéologie qui n'était pas le marxisme-léninisme. Ils disaient que leur pensée était « nouvelle ». Dans son livre Perestroïka, Gorbatchev fait preuve d'une grande éloquence sur sa « nouvelle pensée » concernant son pays et le monde. Tantôt il considère le marxisme-léninisme comme une pensée « vieillie », tantôt il admet que sa théorie n'est pas le marxisme-léninisme.

Il serait dogmatique de rejeter Gorbatchev du revers de la main du simple fait qu'il n'est pas fidèle au marxisme-léninisme et il serait pragmatique de croire que la vérité, c'est ce qui marche. Il faut à la fois s'en tenir aux principes et se préoccuper des problèmes réels qui se posent pour les peuples et les travailleurs du monde. Les principes et les solutions permanentes aux problèmes ne vont pas l'un sans l'autre. Une solution qui n'est pas fondée sur les principes n'est pas une solution. Par contre, les principes ne valent rien s'ils se résument à une abstraction, un moralisme étranger à la vie réelle. La destinée historique de Gorbatchev sera de connaître l'échec, tant sur le plan des principes, qu'il a d'ailleurs déjà abandonnés, qu'en pratique.

Chaque nouveau dirigeant soviétique depuis la mort de Joseph Staline a parlé contre le passé et dénoncé les chefs précédents, promettant un avenir radieux. Ainsi, lorsque Nikita Khrouchtchev est devenu le chef du parti et de l'État soviétiques, il a condamné « les crimes de Staline » et s'est engagé dans la voie de la rétrogression. Lorsque j'ai visité l'Union soviétique en avril 1965, c'est-à-dire environ six mois après l'éviction de Khrouchtchev, il régnait un silence inquiétant au sujet de la nouvelle direction. Personne ne parlait de Léonid Brejnev et d'Alekseï Kossyguine, qui venaient de s'emparer du pouvoir, mais partout on laissait entendre que « maintenant les choses vont aller mieux ». Puis ce scénario s'est répété à chaque fois qu'un nouveau chef soviétique est arrivé au pouvoir. Lorsque Mikhaïl Gorbatchev est arrivé au pouvoir en 1985, il a répété la même chose à qui voulait l'entendre. Selon les rapports que nous lisons dans la presse ici, et selon les documents publiés par les cercles officiels de l'Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev a condamné le passé et promis un avenir radieux.

Mikhaïl Gorbatchev a surtout condamné deux périodes de l'histoire soviétique. Il a condamné la période de 1924 à 1953, c'est-à-dire la période de Staline. Ce fut la période où le socialisme était édifié, où la victoire fut remportée sur les puissances de l'Axe et où l'économie ravagée par la guerre fut reconstruite en moins de huit ans. La seconde période qu'il a dénoncée est celle de 1964 à 1985, la période de Brejnev, Kossyguine, Andropov et Tchernenko. Il qualifie cette dernière de période de stagnation économique et de corruption et il aurait redressé les torts prétendument commis par Staline contre d'autres. Il a même remis à la Grande-Bretagne la propriété privée confisquée durant la Grande Révolution d'Octobre ! Je n'ai pas l'intention de relater en détail ce qu'a fait Gorbatchev, mais il est important de voir pourquoi il condamne ces deux périodes.

Mikhaïl Gorbatchev dit de la période 1964-1985 qu'elle était une période de stagnation économique et de corruption. Mais il ne fournit pas d'explication scientifique. Faut-il croire que les chefs soviétiques de l'époque n'étaient pas suffisamment habiles dans la restauration capitaliste ou bien que le capitalisme signifie la stagnation et la corruption ? Quant à savoir pourquoi il dénonce la période de Staline, c'est bien clair. Il n'aime pas le socialisme ni la dictature du prolétariat ni la révolution ininterrompue dans tous les domaines comme moyen d'étendre la base matérielle et technique et de protéger les rapports de production, d'éliminer la propriété privée de manière systématique et de renforcer le pouvoir politique et le rôle des masses dans la gestion de l'État, de l'économie et de la vie dans tous ses aspects. Gorbatchev a montré par ses paroles et ses actes qu'il n'est pas un marxiste-léniniste ni un bâtisseur de la société socialiste et communiste. Bien au contraire, il est un ennemi de cette société.

La raison pour laquelle il condamne la période de 1964-1985 est qu'il veut jeter de la poudre aux yeux ; il le fait pour des fins démagogiques, se servant de la même tactique que ses prédécesseurs de 1953 à 1985. Il croit de cette façon pouvoir duper le peuple sur les causes de la stagnation économique et de la corruption durant la période de Brejnev. Mais la réalité de l'Union soviétique depuis le 5 mars 1953 – le jour où Staline est mort – est une suite ininterrompue de développements contre-révolutionnaires. Les réformes capitalistes ont finalement mené à la stagnation économique et aux conflits nationaux qui font rage aujourd'hui. Gorbatchev voudrait se dissocier de ses prédécesseurs en les accusant de « stalinisme », mais ça ne marche pas. Il est acculé au mur par la réalité des réformes capitalistes, de la libéralisation et de la bureaucratie bourgeoises. Tous les discours et les imprécations contre le passé ne réussiront jamais à faire de ce lamentable échec un succès.

Si l'idéologie bourgeoise n'arrive à résoudre aucun des problèmes de la société capitaliste, on peut en dire autant de l'idéologie de Mikhaïl Gorbatchev, de sa « nouvelle pensée » qui est en réalité une forme d'idéologie bourgeoise. Gorbatchev et Reagan – le chef du révisionnisme moderne et le chef de l'impérialisme – ont tous deux de grandes prétentions, mais elles ne reposent sur aucun fait. Par exemple, perestroïka et glasnost n'ont pas mis fin à la stagnation économique ou à la corruption et elles n'y mettront pas fin non plus. Au contraire, elles contribueront à l'approfondissement et à l'élargissement de l'offensive capitaliste, et en même temps à l'approfondissement de la crise dans tous les domaines. On peut affirmer sans craindre de se tromper que l'échec est la destinée historique de Mikhaïl Gorbatchev.

(Hardial Bains, Communisme 1989-1991, CEI, 1991)


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Volume 52 Numéro 23 - 4 septembre 2022

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