Conception de la guerre totale pour ordonner le monde


Partisans de soccer serbes avec des bannières nommant les pays qui ont subi une agression militaire des États-Unis et de l'OTAN, le 17 mars  2022 

Le ton du discours de Henry Kissinger, ancien secrétaire d'État américain et conseiller à la sécurité nationale de Richard Nixon et Gerald Ford, prononcé au Forum économique mondial de Davos le 23 mai, et de son entrevue du 9 mai au Financial Times, est celui de la détente et des négociations. Mais l'essentiel de ce qu'il dit est ce qui se cache derrière ce discours, soit la promotion de l'utilisation des armes nucléaires.

N'oublions pas que Kissinger est celui qui, au cours des négociations de paix avec le Vietnam, a menacé 13 fois d'utiliser des armes nucléaires contre ce pays. Cette menace est ce qui, dans le langage des États-Unis, constitue une « dissuasion ».

Depuis que les États-Unis ont fait exploser deux bombes atomiques sur les villes japonaises d'Hiroshima et de Nagasaki, respectivement les 6 et 9 août 1945, tuant entre 129 000 et 226 000 personnes, dont la plupart étaient des civils, il n'y a eu aucune autre utilisation directe d'armes nucléaires dans un conflit armé. Par contre, la menace de leur utilisation a été régulièrement utilisée par les États-Unis pour faire du chantage et menacer les pays afin qu'ils se conforment à ce que les États-Unis cherchent à imposer à un moment donné. Les Vietnamiens ont montré que ce chantage ne les a pas intimidés et que ce sont les peuples qui se battent pour leurs droits qui gagnent les guerres, pas les armes.

Certains États ont monopolisé la possession des armes nucléaires et l'ont justifiée comme étant nécessaire pour défendre leur souveraineté, tout en privant les autres du droit de défendre leur souveraineté. Au cours de ce processus, les États-Unis ont développé le concept de guerre totale, par opposition au concept de guerre absolue. La guerre absolue était une guerre qui avait encore des objectifs politiques et permettait d'en arriver à un règlement négocié. La guerre totale n'est pas une guerre qui est la continuation de la politique par d'autres moyens. C'est une guerre de destruction, avec des armes nucléaires capables d'anéantir des pays entiers et d'aller au-delà d'un territoire limité.

La conception de la guerre totale a été formulée dans le contexte des propositions d'utiliser des armes nucléaires contre les guerres civiles révolutionnaires, d'abord en Corée puis au Vietnam. C'était par exemple l'option privilégiée par le général MacArthur pour anéantir la résistance coréenne dirigée par Kim Il Sung et anéantir les volontaires chinois qui avaient rejoint cette résistance. Elles n'ont pas été utilisées, en partie parce que l'armée et la présidence américaines n'ont pas pu se mettre d'accord pour utiliser également des armes nucléaires contre la Chine. Au lieu de cela, les États-Unis ont eu recours à des bombardements massifs de civils et d'infrastructures contre la Corée et à l'utilisation d'armes chimiques et biologiques.

Depuis la guerre de Corée lancée par les États-Unis en 1950 dans le but de s'emparer de l'ensemble de la péninsule coréenne, de dominer la Chine et d'établir une tête de pont entre la Russie et la Chine, les armes nucléaires ont été placées dans une catégorie spéciale. Leur utilisation est considérée comme « impensable ». En introduisant la conception de la guerre totale, la question n'est plus de savoir quel type de guerre – libération nationale, guerre civile, guerre mondiale – mais si elle est limitée, sans armes nucléaires, ou illimitée. La controverse actuelle sur l'attitude à adopter face au conflit ukrainien, par exemple, devient celle des formes de guerre disponibles. La guerre conventionnelle peut-elle permettre aux États-Unis d'atteindre leurs objectifs, ou des méthodes non conventionnelles sont-elles nécessaires, et comment la Russie et l'Europe réagiront-elles dans les deux cas ?

Les armes nucléaires et les armes de destruction massive sont considérées comme non conventionnelles. L'utilisation de napalm, de phosphore blanc, de bunker busters et de GBU-43/B Massive Ordinance Air Blast, ou Mother of All Bombs (MOAB) est considérée comme faisant partie de la guerre conventionnelle.


Manifestation à Kaboul, en Afghanistan, contre l'usage par les États-Unis de « la mère de toutes les bombes » MOAB en Afghanistan, 16 avril 2017

L'objectif de Kissinger est de centrer la discussion, pour les dirigeants et parmi le peuple, sur la question de savoir s'il faut mener une guerre conventionnelle ou non conventionnelle. Une fois cette discussion lancée, l'usage des armes nucléaires est censé devenir un élément de marchandage. Cela est vrai aujourd'hui non seulement entre les grandes puissances qui disposent d'armes, mais aussi pour menacer les peuples qui s'opposent au diktat des États-Unis et pour justifier une agression. En d'autres termes, la capacité des États-Unis d'ordonner et de diviser le monde s'articule autour de ce concept de guerre totale.

Une grande partie de la stratégie des États-Unis et de l'OTAN consiste à pousser la Russie et la Chine à faire quelque chose pour montrer que la dissuasion américaine - c'est-à-dire la menace de recourir à l'arme nucléaire - fonctionne. La dissuasion ne fonctionne que dans le contexte de la guerre totale, c'est-à-dire que les États-Unis peuvent dire qu'ils peuvent anéantir des pays entiers et amener ces pays à capituler devant eux. Personne ne peut échapper à cette guerre totale. L'opposition à la menace nucléaire dite « impensable » consiste à dire que la menace nucléaire de déclencher la guerre totale doit être arrêtée. En amenant les peuples et les autres pays à s'aligner derrière les forces représentées par Kissinger, qui prétendent être pour la paix et la détente, la menace nucléaire aura atteint son but.

Cela fait partie de la désinformation qui vise à faire en sorte que les peuples du monde soient désorientés et que leurs efforts pour la paix ne puissent prendre forme ; ils sont désinformés. Il s'agit d'empêcher les peuples de poursuivre leurs propres projets de paix en se mobilisant pour affirmer leurs revendications sur la société. Au lieu de cela, ils doivent s'aligner derrière ceux qu'ils perçoivent comme défenseurs de la détente et opposés à la guerre totale, c'est-à-dire les guerres qui anéantiront l'humanité.

Toute cette conversation laisse de côté le rôle central des peuples d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes, ainsi que des peuples des États-Unis, des pays de l'OTAN et d'autres pays dans l'élaboration d'un nouvel ordre mondial. Au lieu de considérer le monde tel qu'il est et de lutter pour établir des gouvernements anti-guerre sous le contrôle des peuples, ils doivent au contraire participer à la création d'un nouvel ordre mondial en soutenant un équilibre multipolaire ou une équation polycentrique, contre la conception selon laquelle les États-Unis sont la nation indispensable à laquelle tout le monde doit se soumettre. Toutefois, tant que les peuples seront exclus de l'équation, l'ordre mondial établi par les forces des États-Unis et de l'OTAN n'aura rien de nouveau. En effet, des gens comme Kissinger ont fait tout leur possible pour écraser la résistance organisée des peuples qui luttent pour la paix, la liberté et la démocratie, et la cabale États-Unis/OTAN essaie de faire la même chose.

Au fur et à mesure que la résistance avance, au lieu d'un ordre mondial bipolaire ou multipolaire ou unipolaire, où l'ordre mondial reste centré sur les grandes puissances, il devient clair qu'un ordre mondial centré sur l'humain est nécessaire. Les peuples intensifient leurs efforts anti-guerre et prosociaux dans le monde entier. Ils s'opposent à l'utilisation de la force pour régler les conflits entre pays. Cela comprend les menaces des États-Unis et de l'OTAN de déclencher une guerre totale contre la Russie, la Chine et les peuples du monde entier. Les peuples s'efforcent d'humaniser l'environnement naturel et social en activant le facteur humain/conscience sociale pour résoudre les problèmes d'une manière qui favorise les peuples. Ce sont eux qui mettent de l'avant un ordre mondial centré sur l'être humain.

(Avec des informations du Centre de ressources Hardial Bains)


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Volume 52 Numéro 8 - 5 juin 2022

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