Les plans des États-Unis pour accroître leur domination et contrôle de l'Europe et de l'Asie

Une résolution du Congrès appelle à utiliser l'OTAN pour s'ingérer davantage dans les affaires des pays membres

– Kathleen Chandler –

En avril, la Chambre des représentants des États-Unis a adopté une résolution qui appelle le président Joe Biden à promouvoir « le renforcement des institutions démocratiques dans les pays membres, partenaires et membres aspirants de l'OTAN ». Elle indique la direction que les forces représentées par Biden ont décidé de prendre pour accroître la domination et le contrôle de l'Europe. Sous couvert de « principes démocratiques », l'OTAN doit être armée autant sur le plan politique que militaire. Le prétexte des « valeurs démocratiques communes » servira aussi à justifier les actions contre la Russie, la Chine et d'autres pays de l'Asie-Pacifique pour atteindre les objectifs de domination américaine.

Réaffirmant « un appui sans équivoque à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord en tant qu'alliance fondée sur les principes démocratiques », la résolution appelle spécifiquement Biden à « utiliser la voix et le vote des États-Unis pour adopter un nouveau concept stratégique qui défend clairement les valeurs démocratiques communes et s'engage à augmenter la capacité de l'OTAN à consolider les institutions démocratiques des membres, partenaires et pays aspirants de l'OTAN » et « à utiliser la voix et le vote des États-Unis pour créer un centre pour la résilience démocratique au siège même de l'OTAN ». Le prochain sommet de l'OTAN aura lieu à Madrid, en Espagne, du 28 au 30 juin.

Bien que la résolution soit non-contraignante et n'ait pas de statut juridique, elle est significative dans le sens qu'elle parle de l'OTAN comme étant non seulement une alliance militaire mais, au nom de la démocratie, une arme servant à s'ingérer dans les affaires internes des « membres, partenaires et pays aspirants de l'OTAN »[1].

Depuis sa création, l'OTAN n'a pas été qu'une alliance militaire commandée par les États-Unis, elle a aussi été une arme politique pour veiller à ce que les pays d'Europe de l'Ouest ne tombent pas sous l'influence communiste et demeurent sous la domination des États-Unis. C'est là l'un des rôles principaux du Conseil de l'Atlantique, formé en 1961 et basé à Washington, à savoir : « consolider la direction et l'engagement mondiaux des États-Unis en partenariat avec les alliés » et agir pour façonner ensemble « l'avenir mondial » dans l'intérêt des États-Unis. Les États-Unis, qui commandent déjà l'OTAN sur le plan militaire, seront sans doute le pays qui brandira le plus cette plus récente arme pour servir ses intérêts comme l'a fait l'expansion de l'OTAN, y compris contrôler l'Allemagne et d'autres pays européens.

Aussi la résolution a-t-elle été adoptée dans le contexte du présent conflit fomenté par les États-Unis/OTAN en Ukraine. Elle affirme, comme le fait Joe Biden, que l'Ukraine est « aux premières lignes du concours entre les valeurs démocratiques et l'autocratie ». Cela en dépit du fait que la démocratie en Ukraine était considérée comme étant en érosion et en recul, la corruption et la suppression des droits y étant endémiques.

L'adoption de la résolution est aussi une expression des conflits continus entre les dirigeants américains sur comment garantir la domination mondiale des États-Unis, y compris le rôle de l'OTAN. Alors que de telles résolutions sont généralement adoptées à la presque unanimité, 63 républicains ont voté contre celle-ci, plus de 30 % des républicains de la Chambre. Une autre résolution semblable présentée au Sénat en 2018, par exemple, lorsque Trump était au pouvoir et qu'il était question de quitter l'OTAN, avait été adoptée par un vote de 97 contre 2 sur un total de 100 membres.

Cibler des États membres

Une des grandes préoccupations des États-Unis, répétée sans cesse par Biden, est, dans les termes de la résolution, la « 'récession démocratique', l'érosion globale des normes démocratiques et l'émergence de l'autoritarisme », principalement une référence à la Russie et à la Chine mais aussi à différentes forces au sein des États membres qui, selon la résolution, sont « les menaces internes provenant d'adeptes de l'antilibéralisme ». Les États-Unis, par le biais de l'OTAN, cherchent une justification pour qu'ils puissent s'ingérer encore plus dans les affaires internes d'États membres. Ils prennent cette « érosion » comme prétexte pour souligner la nécessité d'intervenir pour « consolider les institutions démocratiques ». Aussi déclare-t-on dans la résolution que « la consolidation des institutions démocratiques est fondamentale à la sécurité collective des alliés ».

Manifestation contre l'OTAN en Finlande, 4 juin 2022

Cette préoccupation au sujet d'une « récession démocratique » reflète aussi la crainte des dirigeants américains et européens face à la grande grogne parmi la population envers les gouvernements et leurs institutions. Il y a un sentiment grandissant que les dirigeants actuels ne trouvent pas de solutions aux problèmes, centrent leur action sur la guerre et le recours à la violence et les sanctions, et ne sont pas aptes à gouverner. La dysfonction des élections américaines, du Congrès et du pouvoir exécutif, rongés par des conflits internes et entre eux et les forces militaires, en est un exemple. Les dirigeants espèrent qu'en parlant de « principes démocratiques », ils vont pouvoir atténuer le mécontentement des peuples.

On décrit dans la résolution la nécessité pour tous d'adhérer à la démocratie libérale existante, destyle américain. On y lit : « Une identité démocratique commune est ce qui distingue l'Alliance des principales menaces et défis auxquels elle fait face ». L'OTAN doit « réaffirmer son identité de base qui est celle d'une alliance fondée sur les principes de démocratie », ajoute-t-on. Il y est question de « cohésion politique », laissant entendre l'existence d'intérêts conflictuels au sein même de l'OTAN. Ceux-ci sont souvent exprimés par l'Allemagne et la France, relativement, par exemple, aux sanctions touchant au gaz naturel, et plus récemment par la Turquie face à l'inclusion dans l'OTAN de la Finlande et de la Suède. On y affirme : « Tout engagement visant à consolider la cohésion politique de l'OTAN doit par conséquent être axé sur ces valeurs et ces idéaux communs, enracinés dans la démocratie, la primauté du droit et la liberté individuelle. »

En outre, la résolution appuie la création d'un mécanisme organisationnel d'ingérence, du nom de « Centre d'excellence pour la résilience démocratique pour consolider les démocraties de l'OTAN face aux menaces externes ». Il existe déjà un si grand nombre d'institutions qu'il est difficile d'imaginer ce que celle-ci compte accomplir de plus. Il va aussi sans dire que les États-Unis, qui seront le chef de file de cette ingérence, ne sont pas perçus comme une menace. Le centre sera une autre agence de renseignement « qui surveillera et identifiera les menaces à la démocratie, aux droits humains et à la primauté du droit et facilitera la démocratie et appuiera la gouvernance des membres, partenaires et pays aspirants, lorsqu'on le lui demandera. »

Notons que la phrase « lorsqu'on le lui demandera » est la seule de toute la résolution à laisser entendre que les États-Unis respectent la souveraineté des membres de l'OTAN, ce qui, évidemment, n'est pas le cas. Les États-Unis sont notoires pour obtenir satisfaction de leurs « demandes » en recourant aux menaces et au chantage, comme ils le font présentement en Colombie, qui est un de ces pays « aspirants » qui servira à établir l'OTAN en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Le « nouveau concept stratégique » de l'OTAN

La résolution aborde aussi la question d'actualiser le « concept stratégique » de l'OTAN. Ce concept sert à soulever la question des « valeurs communes » et de la « démocratie » pour mettre au pas tous les États membres. On y affirme que le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, « a réitéré qu'un des buts premiers d'actualiser le concept stratégique doit être de renouveler l'engagement envers les valeurs fondatrices de l'alliance ». Aussi, selon la résolution, « l'Assemblée parlementaire de l'OTAN appuie un nouveau concept stratégique qui réaffirme que l'appui aux institutions démocratiques et leur consolidation est la base de la sécurité collective des alliés ». Et que la situation en « Ukraine met en relief l'importance d'inscrire les valeurs démocratiques communes au coeur du concept stratégique de l'OTAN ».

Ainsi, une des exigences des États membres et partenaires de l'OTAN est de défendre ces « valeurs démocratiques communes », telles que dictées par les États-Unis, et accepter l'« aide à la gouvernance », selon leur volonté. Comme l'appui à l'Ukraine le démontre, qui dit concept stratégique dit endettement pour financer une militarisation massive, un armement massif et la création de conditions visant à bloquer toute négociation. L'Ukraine a maintenant surpassé Israël et l'Arabie saoudite pour le montant de financement militaire obtenu des États-Unis.

Le « nouveau concept stratégique » est fondamentalement une reprise de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe de 1991 et ses demandes de défendre les « valeurs communes ». La charte, qui devait être une expression de la victoire de la démocratie américaine à la fin de la guerre froide, a mené à la crise actuelle des institutions démocratiques libérales à l'échelle mondiale. Le Centre d'excellence pour la résilience démocratique ne pourra, lui non plus, échapper à la réalité que ces institutions démocratiques ne sont pas au diapason des besoins de notre époque.

Les conflits au sein des cercles dirigeants américains

Le vote pour la résolution américaine met aussi en lumière les conflits au sein des cercles dirigeants américains sur comment garantir la domination des États-Unis dans un contexte où les alliances sont instables et les économies et la puissance militaire des autres puissances majeures sont en essor. Certaines forces, comme les oligarques qui appuient Trump, pensent que les États-Unis devraient se retirer de l'OTAN. Comme l'a dit le représentant de la chambre Thomas Massie, du Kentucky, pour expliquer pourquoi il avait voté contre la résolution, l'OTAN est un « vestige de la guerre froide ». Il a demandé : « Pourquoi les Américains devraient-ils payer pour la défense de l'Europe ? ». Le représentant de l'Ohio, Warren Davidson, a dit de l'appel à « adopter un nouveau concept stratégique pour l'OTAN qui défend clairement les valeurs démocratiques communes et s'engage à renforcer la capacité de l'OTAN de consolider les institutions démocratiques parmi les pays membres, partenaires et pays aspirants de l'OTAN » que « la souveraineté de l'Amérique n'est pas négociable. Je soupçonne que les autres pays sont de cet avis. Nous devrions consolider l'alliance plutôt que de la réinventer en tant qu'instrument pour s'ingérer dans la politique interne des autres ».

Le représentant Bill Pascrell Jr, du New Jersey, qui a appuyé la résolution, a déclaré que ceux qui s'y opposaient étaient « la preuve que le GOP [Parti républicain] est vraiment le parti de Poutine ». Le lieutenant-général à la retraite Mark Hertling, ancien commandant de l'armée américaine en Europe, a dit que « peut-être que cette division au sein du gouvernement américain reste l'un des objectifs stratégiques de Poutine qui n'a pas encore été vaincu ».

Joe Biden et les oligarques qui le soutiennent font partie de ceux qui considèrent que la Russie est une plus grande menace que la Chine et que l'affaiblissement de la Russie, comme les États-Unis s'efforcent de le faire avec le conflit en Ukraine, est la voie à suivre et place les États-Unis dans une position plus forte pour faire face à la Chine. D'autres considèrent que la recherche d'une alliance avec la Russie et l'Inde est un meilleur moyen de garantir le contrôle des États-Unis sur l'Europe et l'Asie. Tous laissent les peuples en dehors de l'équation. C'est la résistance croissante des peuples et leurs demandes de droits qui offrent une voie d'avenir qui sert leurs intérêts, pas les riches, ni l'OTAN. Ce sont les démocraties populaires et leurs gouvernements antiguerre qui peuvent fournir la base de la paix et de la sécurité.


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Volume 52 Numéro 8 - 5 juin 2022

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