Les peuples des Caraïbes donnent aux représentants de la monarchie la réception qu'ils méritent

– Margaret Villamizar –


Manifestation en Jamaïque contre la visite royale, 23 mars 2022

La visite en mars et en avril des soi-disant membres rémunérés de la famille royale britannique aux « royaumes » du Commonwealth a été un exemple frappant de condescendance raciste, d'étalage de style de vie extravagant et de gaspillage de fonds publics consacrés à leur accueil et à leur sécurité. Organisées pour souligner les 70 années de la reine Élizabeth II sur le trône d'Angleterre, ces tournées « du jubilé de platine » des 14 anciennes colonies britanniques, qui ont toujours le monarque britannique comme chef d'État officiel, ont vu différents membres de la « Maison de Windsor » se trimbaler dans les pays des Caraïbes, en Australie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. La dernière de ces tournées a amené l'« héritier du trône » Charles et son épouse Camilla Parker Bowles au Canada du 17 au 19 mai.

Les peuples des Caraïbes n'ont pas été impressionnés par les tentatives de dépeindre la monarchie comme étant jeune, vibrante et pertinente. La visite du prince William et de Kate Middleton à Bélize, en Jamaïque et aux Bahamas en mars devait être une offensive de charme par deux supposés « jeunes membres populaires de la famille royale », pour gagner les coeurs et les esprits. William et Kate portent aussi le titre de duc et duchesse de Cambridge parce que, selon eux, ils sont les propriétaires de ce duché en Angleterre, autre vestige de l'époque médiévale. Leur visite a eu lieu au moment où les peuples des Caraïbes persistent à réclamer des réparations de la Grande-Bretagne pour l'exploitation esclavagiste et le trafic des Africains et le génocide des peuples autochtones. La visite a aussi eu lieu au moment où le sentiment républicain est plus fort que jamais dans ces anciennes colonies qui continuent de se faire imposer la monarchie et ses institutions archaïques. Le mouvement républicain a connu un grand élan l'an dernier lorsque la Barbade s'est débarrassée de la monarchie et a quitté le « royaume » britannique.

En fait, la tournée de William et de Kate a été un étalage honteux de paternalisme colonial et d'un grave manque de respect. Même les courtisans de la royauté en Grande-Bretagne, craignant les conséquences de ces tournées, ont critiqué ce que certains ont appelé le « tour de farce » royal ainsi que le duc et la duchesse de Cambridge parce qu'ils « sont complètement sourds » et détachés de la réalité.

Des photos ont fait le tour du monde de William et Kate en Jamaïque serrant la main d'enfants noirs qui parvenaient à peine à passer la main à travers une clôture en mailles de chaîne. Le président de la Commission d'appui aux réparations d'Antigua et de la Barbade a décrit avec justesse leur tournée comme étant « une exhibition horrible, horrible de comportement colonial archaïque ». Les images où ils sont conduits pour inspecter les troupes, debout dans la boîte d'un ancien Land Rover, les deux vêtus de blanc et William en uniforme militaire – un rappel de comment ses grands-parents faisaient les choses dans les années 1960 – n'ont fait que confirmer la description.

Les Cambridge ont dû annuler une de leurs premières visites – à une ferme de cacao en Bélize – après que des villageois eurent appelé à manifester contre le colonialisme et l'oeuvre de charité dont William est le commanditaire, pour avoir manqué de respect envers les droits de la population locale.

En Jamaïque, leur destination suivante, ils ont aussi été accueillis par des manifestations. À l'extérieur du Haut-Commissariat britannique à Kingston, sur une des pancartes, on pouvait lire : « Les rois, les reines et les princesses sont pour les contes de fées et pas pour la Jamaïque ! » Une des organisatrices de la manifestation a expliqué la demande d'excuses et de réparations en disant que le mode de vie somptueux qui permet à la royauté britannique de se balader sans frais de par le monde a été rendu possible par le sang, la sueur et les larmes de ses arrières, arrières grands-parents. Le premier ministre de la Jamaïque, Andrew Holness, a dit ouvertement au couple que la Jamaïque avait l'intention d'« aller de l'avant » et devenir un pays indépendant, suivant la voie tracée par la Barbade.

Aux Bahamas, l'ultime arrêt de la tournée de « célébration », le Comité national de réparations du pays a publié une lettre appelant la monarchie à s'excuser totalement et officiellement pour ses crimes contre l'humanité et à verser des réparations pour son rôle dans l'esclavage. Une autre question soulevée dans la lettre est que les citoyens des Bahamas se font refiler presque toute la facture pour ce « voyage extravagant ». « Pourquoi payons-nous les dépenses d'un régime dont la 'grandeur' a été réalisée par l'extinction, l'asservissement, la colonisation et la dégradation du peuple de ce pays ?, lit-on dans la lettre. Pourquoi nous force-t-on à payer à nouveau ? »

Bien entendu, aucune excuse n'a été présentée.

La situation a été à peu près la même lors de la visite en avril dans trois autres pays des Caraïbes par le fils d'Élizabeth II, Édouard, et son épouse Sophie, le comte et la comtesse de Wessex. Les choses ont mal démarré lorsque le court arrêt à l'horaire prévu à Grenada a été annulé la veille. Aucune explication n'a été donnée publiquement.

Ce que l'on sait, par contre, c'est que le président du Comité national des réparations de la Grenade, qui est aussi l'ambassadeur du pays auprès de la Communauté caribéenne (CARICOM), a écrit une lettre demandant une audience auprès du couple royal pendant sa visite. Le but de la rencontre était de discuter avec eux en quoi la Grande-Bretagne devait être tenue responsable de ses crimes contre l'humanité commis contre les peuples autochtones et africains des Caraïbes et de son « exploitation barbare des îles des Caraïbes pendant la colonisation ». Le Comité de réparations a dit qu'il n'avait pas reçu de réponse à sa demande.

Dans une déclaration du 21 avril, le Comité de réparations a révélé que la Banque d'Angleterre avait été le propriétaire de deux plantations en Grenade dans les années 1770 où 600 Africains étaient soumis à l'esclavage. Il a dit que ce fait à lui seul devrait inciter tous les Grenadiens à se joindre à la lutte pour obtenir des réparations et une justice réparatoire.

Les comités et commissions nationaux de réparations officiels à Sainte-Lucie, Saint-Vincent et les Grenadines, et Antigua et la Barbade, ont également pris des moyens pour s'assurer que le même message soit transmis aux royaux lors de leur visite dans ces pays.

Ayant rayé la Grenade de leur liste, Édouard et Sophie ont d'abord visité Sainte-Lucie. Dans une déclaration exigeant des excuses entières de la Couronne, la Commission nationale des réparations de Sainte-Lucie écrit : « La Grande-Bretagne, la famille royale et les nations européennes qui ont bâti des empires sur le dos des Africains asservis évitent de s'excuser pleinement et officiellement parce qu'ils ne veulent pas reconnaître leur culpabilité, même si les Nations unies ont déclaré l'esclavage un crime contre l'humanité en 2001, et parce qu'ils ne veulent tout simplement pas s'engager au pardon et aux réparations. »

Pendant la visite des souverains, l'animateur d'une émission de radio populaire a critiqué leur « tournée du Jubilé ». Il a demandé à quoi elle servait, comment elle profiterait aux habitants de Sainte-Lucie et qui payait pour les dépenses encourues.

Lors d'une réunion à la Government House, le premier ministre de Sainte-Lucie, Philip Pierre, a offert aux Wessex une magnifique toile représentant une tortue de mer peinte par un artiste local. En échange, ils lui ont donné une photo d'eux, signée et encadrée, et une « boîte du jubilé » commémorant les 70 ans de règne du chef d'État étranger du pays. Le journal britannique The Independent a publié le lendemain un article sur les réactions des commentateurs en ligne, où fusent les termes tels que « narcissique », « insultant » et « borné » pour décrire ce que les membres de la famille royale ont appelé une marque de reconnaissance. Une personne aurait déclaré : « Ces gens sont délirants. Pourquoi donner cette absurdité à quelqu'un qui n'est pas de votre famille ? Qu'est-ce qu'il est censé faire avec ça ? J'espère que le cadre a au moins une valeur. Il peut se débarrasser de la photo et le vendre. »

Lors de la visite d'une journée d'Edward et Sophie à Saint-Vincent-et-les-Grenadines le 23 avril, le cortège qui les conduisait à la Government House a été accueilli par des manifestants longeant le parcours avec une grande bannière qui disait « Réparations maintenant ». Sur les pancartes se lisaient des messages tels que : « Indemnisation pour l'esclavage », « Fin du colonialisme », « Le génocide britannique des peuples autochtones, plus jamais ».

Une femme a déclaré qu'elle manifestait pour montrer son dégoût et sa déception face au fait que, pendant plus de 400 ans, certains ont dû « subir le fouet du maître d'esclaves » et que ce tort fait à une partie de la race humaine par une autre doit être compensé. Un autre a déclaré : « Ils nous ont chassés, ils nous ont kidnappés, ils nous ont volés, ils nous ont fait travailler. Ils ont une dette envers nous et ils doivent maintenant la payer. »

Le premier ministre du pays, Ralph Gonsalves, s'était quant à lui envolé pour le Venezuela pour se faire soigner quelques jours avant la visite prévue de la famille royale. Il est resté hors du pays pendant leur séjour. Peu après le départ de la famille royale, la télévision vénézuélienne a montré le premier ministre en train d'avoir un échange amical avec le président Nicolas Maduro après une réunion avec les membres de son gouvernement.

Antigua-et-Barbuda était la dernière étape de l'itinéraire. Le ton de la visite de la famille royale avait été donné plusieurs jours à l'avance par une lettre ouverte largement diffusée de la Commission de soutien aux réparations du pays, adressée aux jeunes représentants de la Maison de Windsor. La Commission ne mâche pas ses mots :

« Il est devenu courant pour les membres de la famille royale et les représentants du gouvernement britannique de venir dans cette région et de déplorer que l'esclavage était une 'atrocité épouvantable', qu'il était 'odieux', que 'cela n'aurait pas dû arriver'. Nous avons entendu cela de votre ancien premier ministre David Cameron et plus récemment de votre frère, le prince de Galles, et de votre neveu, le prince William, mais de tels sentiments ne nous ont rien appris. Les Africains et leurs descendants – comme la plupart d'entre nous – le savent depuis le milieu du XVIe siècle. Nous avons été les victimes de la barbarie. Nous entendons les faux discours moralisateurs de ceux qui vous ont précédés selon lesquels ces crimes sont une 'tache sur votre histoire'. Pour nous, ils sont à l'origine d'un génocide et d'un préjudice international profond et continu, de l'injustice et du racisme. Nous espérons que vous nous respecterez en ne répétant pas ces banalités. Nous ne sommes pas des simplets.

« Les documents historiques indiquent clairement que la Couronne britannique, à la fois en tant que famille royale et en tant qu'institution, a été un participant actif aux plus grands crimes contre l'humanité de tous les temps », écrivent-ils. Voir ici le texte intégral de la lettre.

Le premier ministre Gaston Browne a dit aux Wessex que le souhait d'Antigua-et-Barbuda était de retirer un jour la reine comme chef de l'État et de devenir une république, tout comme le premier ministre jamaïcain l'a dit à William et Kate. En attendant, il leur a demandé d'user de leur « influence diplomatique » pour aider son pays à obtenir une justice réparatrice, affirmant que celui-ci est dépourvu d'institutions modernes telles que des universités et des institutions médicales.

Exprimés avec la plus grande civilité et la plus grande politesse qui caractérisent les peuples des Caraïbes, réputés pour leur hospitalité envers tous les invités, même ceux qui sont aussi grossiers que les membres de la famille royale britannique, tels sont les principaux messages délivrés aux représentants de la Maison de Windsor, qui avaient prévu que leurs « tournées » seraient une « célébration » de la monarchie par ses « sujets ».

Un « biographe » a tenté de détourner l'attention de ce que les deux tournées dans les Caraïbes ont révélé sur l'institution coloniale séculaire qu'est la monarchie britannique, sur ses crimes passés et actuels, et sur la demande des descendants des peuples indigènes et africains soumis au génocide et à l'esclavage, voulant que la Grande-Bretagne paie pour ces crimes. Il a reproché aux agents responsables de la royauté de ne pas les avoir « protégés » des humiliations qui ont toujours terni leurs visites dans les Caraïbes. Il a reproché aux diplomates britanniques d'être non seulement incompétents, mais aussi « dangereusement ignorants et insensibles aux pays où ils sont déployés ». Il a également reproché aux fonctionnaires du palais de ne pas avoir vérifié si les diplomates avaient fait leur travail correctement.

Félicitations aux gouvernements et aux peuples des Caraïbes pour les positions anticoloniales fermes qu'ils ont adoptées, plaçant au premier plan leurs demandes d'excuses complètes et officielles et de réparations de la part de la monarchie britannique pour ses 400 ans de « génocide et de préjudice international profond et continu, d'injustice et de racisme ». Félicitations également pour avoir fait savoir aux représentants de la Couronne britannique qu'ils avaient l'intention de quitter le « royaume » pour devenir des républiques souveraines et indépendantes. Et ils l'ont fait au moment où la famille royale est arrivée pour célébrer et renforcer l'empreinte coloniale de l'empire sur leurs terres et leurs institutions.

C'est une source d'inspiration pour tous ceux qui s'efforcent de se débarrasser des relations coloniales étouffantes définies par la séparation entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, afin d'établir de nouvelles relations adaptées à un monde moderne fondé sur l'égalité et le respect des droits de toutes et tous. Dans un tel monde, il n'y a pas de place pour les reliques d'une époque révolue qui s'accrochent à leurs richesses et privilèges obscènes mal acquis.


Cet article est paru dans
Logo
Volume 52 Numéro 5 - 22 mai 2022

Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/Lml2022/Articles/L520055.HTM


    

Site web :  www.pccml.ca   Courriel :  redaction@cpcml.ca