Le problème avec les excuses du pape au Vatican et
sa visite prochaine au Canada

Le pape doit dire la vérité

– Philip Fernandez –

Une délégation de Métis s'adresse aux médias durant leur visite à Rome pour rencontrer le pape
le 28 mars 2022.

Le Vatican a annoncé que le pape François se rendra au Canada du 24 au 29 juillet. L'annonce fait suite à la promesse faite par le pape à une délégation d'Autochtones du Canada plus tôt cette année de venir au Canada pour répondre à l'appel 58 des 94 appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation de 2015. L'appel no 58 exige que le pape présente « des excuses aux survivants, à leurs familles ainsi qu'aux communautés concernées » pour le rôle de l'Église « pour les mauvais traitements sur les plans spirituel, culturel, émotionnel, physique et sexuel que les enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont subis dans les pensionnats dirigés par l'Église catholique ». Le coordonnateur de la visite pontificale au Canada a dit que les arrêts seront limités à trois villes – Edmonton, Québec et Iqaluit – en raison des problèmes de mobilité du pape.

Le 1er avril, à l'issue de quatre jours de rencontres au Vatican entre la délégation des peuples autochtones et le pape François, ce dernier a présenté des « excuses » pour les crimes commis contre les enfants autochtones pendant les 150 ans du système des pensionnats. Ces excuses n'ont pas été jugées satisfaisantes, car il n'a pas tenu l'Église responsable, affirmant que ces crimes avaient été commis par certains membres de l'Église catholique. Néanmoins, la délégation les a gracieusement acceptées comme un geste de « bonne foi », comme un nouveau départ qui sera suivi de « nouvelles actions » de la part du pape.

Les excuses présentées par le pape au Vatican ont été formulées avec soin, afin, comme l'a souligné la militante et auteure autochtone Tanya Talaga, « d'éviter les problèmes de responsabilité, d'éviter ce qui va se passer ensuite ».

Le point essentiel des excuses a été abordé lorsque le Pape a déclaré : « Et j'éprouve aussi de la honte, je vous l'ai dit et je le répète : je ressens de la honte, de la douleur et de la honte pour le rôle que différents catholiques, notamment avec des responsabilités éducatives, ont joué dans tout ce qui vous a blessé, dans les abus et dans le manque de respect de votre identité, de votre culture et même de vos valeurs spirituelles. Tout cela est contraire à l'Évangile de Jésus. Pour la conduite déplorable de ces membres de l'Église catholique, je demande pardon à Dieu et je voudrais vous dire, de tout mon coeur : je suis très affligé. » Il a également déclaré lors de son dernier entretien qu'il attendait avec impatience son voyage au Canada pour montrer ses « liens étroits » avec les peuples autochtones, évitant à nouveau le mot « excuses ».

Autrement dit, l'Église catholique dans son ensemble, dont toute l'histoire est raciste et coloniale, dont les mains sont couvertes du sang qui l'a enrichie par la colonisation européenne du « Nouveau Monde » en assassinant, en réduisant en esclavage et en exploitant des dizaines de millions d'Autochtones des Amériques, et qui a participé au projet colonial au Canada pour chasser les peuples autochtones de leurs terres et les exterminer en tant que peuples, n'est pas à blâmer, juste quelques pommes pourries qui n'étaient pas de bons catholiques.

La bulle pontificale appelée Inter Caetera (Démarcation) qui a décrété la « doctrine de la découverte » n'a pas été rédigée par « quelques mauvais éléments ». Elle a été proclamée par le pape Alexandre VI le 4 mai 1493[1]. Selon le Gilder Lerhman Institute of American History, « la bulle stipulait que toute terre non habitée par des chrétiens pouvait être 'découverte', revendiquée et exploitée par des dirigeants chrétiens et déclarait que 'la foi catholique et la religion chrétienne devaient être exaltées et être partout accrues et répandues, que la santé des âmes devait être prise en charge et que les nations barbares devaient être renversées et amenées à la foi elle-même'. Cette « doctrine de la découverte » est devenue la base de toutes les revendications européennes dans les Amériques ainsi que le fondement de l'expansion occidentale des États-Unis. Dans l'affaire Johnson c. McIntosh jugée par la Cour suprême des États-Unis en 1823, l'opinion du juge en chef John Marshall, dans une décision unanime, affirmait 'que le principe de la découverte donnait aux nations européennes un droit absolu sur les terres du Nouveau Monde'. En substance, les Indiens d'Amérique n'avaient qu'un droit d'occupation, qui pouvait être aboli. »

De plus, il est bien connu que bon nombre de ces « pommes pourries » ont en fait été protégées de poursuites par l'Église catholique qui s'est efforcée de dissimuler ces crimes.

En outre, il est bien connu que nombre des « mauvais éléments » mentionnés par le pape ont en fait été protégés des poursuites par l'Église catholique, qui s'est efforcée de dissimuler ces crimes.

Le fait que le pape ait refusé d'assumer la responsabilité directe des crimes commis à l'encontre des enfants autochtones dans les pensionnats et qu'il ait rejeté la faute sur les mauvais éléments du personnel est un problème, car les politiques étaient celles de l'Église, et non celles de quelques mauvais éléments. Il n'y a pas de remords, pas de regret ou de culpabilité pour les torts commis d'une manière qui a des conséquences.

En fin de compte, les affaires continuent comme si de rien n'était et les crimes de l'État canadien contre les peuples autochtones se poursuivent. L'Église catholique devrait être obligée de payer les réparations qu'exigent les peuples autochtones. Ils ont tellement souffert que les mots ne peuvent exprimer leurs pertes.

Le 15 avril, les médias ont annoncé que le Vatican et la Conférence des évêques catholiques du Canada étaient en train d'organiser la visite du pape à la fin juillet. Le 25 avril, Gerald Antoine, le chef régional de l'Assemblée des Premières Nations (APN) aux Territoires du Nord-Ouest et chef national des Dénés, qui a dirigé la délégation de l'APN au Vatican, a déclaré que l'APN n'avait pas été consultée au sujet de ces plans et a exprimé sa déception.

De la même façon, Rosanne Casimir, Kukpi7 (cheffe) de la Première Nation Tk'emlúps te Secwépemc, a dit qu'elle n'avait pas eu de nouvelles de la Conférence des évêques catholiques du Canada depuis qu'elle avait remis une lettre personnelle au pape François après l'avoir rencontré, l'invitant sur son territoire. Rosanne Casimir a déclaré :« J'espère qu'il se rendra dans une des communautés touchées par les tombes anonymes. Ce serait une vraie mascarade s'il ne le faisait pas. »

Ce que tout cela indique, c'est qu'un scénario est en train d'être élaboré entre le Vatican, l'Église catholique et le gouvernement du Canada, ces deux derniers étant les financeurs de la visite, afin de s'assurer que le pape s'en tire sans avoir à répondre de la responsabilité de l'Église quant à son rôle dans le génocide des pensionnats. Le refus du pape de reconnaître pleinement l'ampleur des torts causés par son Église lors de la visite de la délégation autochtone de survivants et de leurs familles au Vatican n'augure rien de bon.

De la façon dont ce voyage est planifié, pourquoi les Canadiens devraient-ils payer pour lui et pour tout le faste, la cérémonie et la sécurité qui accompagnent une telle visite ? Toute cette affaire ressemble à une nouvelle provocation de l'Église catholique et du gouvernement Trudeau pour continuer à nier toute responsabilité, ce qui ne fera que tourner le fer dans les plaies causées par le système des pensionnats. Cela donnerait le feu vert aux crimes que l'État canadien commet contre les peuples autochtones de l'île de la Tortue.

Tout cela souligne la nécessité pour les peuples autochtones et le peuple canadien de demander au pape et à l'Église catholique de rendre des comptes lors de la visite pontificale pour les crimes passés et en cours et pour ne pas avoir présenté des excuses et indemnisé les victimes à la hauteur de l'horreur du système des pensionnats. Cela signifie renforcer l'unité et l'organisation politique des peuples autochtones et non autochtones du Canada afin de renouveler la constitution qui relègue les peuples autochtones au statut de tiers au Canada pour nier leur droit souverain de défendre leurs droits ancestraux et d'être ce qu'ils disent être, et non ce que l'État leur dit qu'ils sont.

Cela mettra fin à l'héritage colonial que les institutions démocratiques dites libérales du Canada ont fait passer dans le présent et permettra de réparer les crimes historiques commis contre les peuples autochtones. Loin d'être des reliques du passé, ces crimes se poursuivent encore aujourd'hui.

Note

1. La bulle Dum Diversas du pape Nicolas V, en 1452, est à l'origine d'une lignée de bulles pontificales – des décrets – utilisées par les puissances coloniales européennes pour justifier divers aspects de la colonisation. La doctrine est même apparue en 2005 dans l'arrêt Sherrill c. Oneida de la Cour suprême des États-Unis, dans lequel les juges ont déclaré que le rachat de terres tribales traditionnelles ne fait pas « revivre unilatéralement l'ancienne souveraineté (de la tribu) » sur ces terres, souligne le magazine jésuite americamagazine.org. « Lorsque l'Église dit aujourd'hui que 'ces bulles papales ont été légalement abrogées, elles ont été officiellement annulées', elle ne peut pas annuler l'impact créé par ces bulles », explique le magazine. « La légitimité qu'elles ont donnée aux monarques occidentaux d'utiliser un pouvoir militaire coercitif et, en fait, d'expulser les peuples indigènes de leurs terres pour s'en emparer » exige une réprimande à grande échelle et une reconnaissance judiciaire de la responsabilité du Vatican. Cela ne s'est pas encore produit.

(Avec des informations de Radio-Canada, Réseau de télévision des peuples autochtones)


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Volume 52 Numéro 5 - 22 mai 2022

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