Le Canada utilise les sanctions contre la Russie pour promouvoir une plus grande intégration à l'économie de guerre des États-Unis
Les cercles dirigeants du Canada se servent des événements en Ukraine, de l'hystérie belliciste contre la Russie, et plus particulièrement des sanctions énergétiques imposées à la Russie, pour réclamer une plus grande intégration du secteur énergétique canadien à l'économie de guerre des États-Unis. Plusieurs exemples au cours de la semaine du 21 au 25 mars montrent comment la question énergétique est utilisée dans le but d'intégrer encore plus le Canada dans la machine de guerre des États-Unis.
Le 24 mars, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a entamé sa réunion ministérielle de deux jours à Paris, en France, en publiant une déclaration des membres qui reprend le discours des États-Unis et de l'OTAN justifiant leurs sanctions illégales contre la Russie dans le but de l'isoler et de l'écraser.
« L'invasion de la Russie menace la sécurité énergétique mondiale et les principes démocratiques. Les actions de la Russie, y compris son utilisation de l'énergie comme une arme, menacent l'ordre international fondé sur des règles qui a prévalu depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L'énergie ne devrait jamais être utilisée comme un moyen de coercition politique ou pour menacer la sécurité nationale. »
Le directeur général de l'AIE, Fatih Birol, a déclaré que tous les pays membres sont arrivés au sommet de l'organisation armés de plans, de politiques et de divers autres outils pour réduire la dépendance au pétrole et au gaz russes. « Il s'agissait de politiques différentes, de mesures différentes, de calendriers différents, mais d'un seul objectif : réduire radicalement les importations de pétrole et de gaz russes », a déclaré Fatih Birol.
L'AIE est actuellement composée de 31 États membres. Elle a été créée en 1973-1974 par les États membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui étaient dépendants des importations de pétrole – comme les États-Unis, le Japon, les pays européens et le Canada – pour contrer l'influence de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Les nations de l'OPEP avaient réduit de manière radicale leurs exportations en opposition à l'agression israélienne de 1973, parrainée par les États-Unis, contre les pays arabes voisins, comme l'Égypte, la Syrie, la Jordanie et le Liban.
Ce sont les pays liés à l'AIE qui utilisent l'énergie comme une arme. Après avoir rencontré ses homologues mondiaux à Paris la même semaine que la réunion de l'AIE, le ministre canadien des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, s'est engagé à extraire davantage de pétrole et de gaz « pour atténuer la crise énergétique de l'Europe ».
« Nous avons nos alliés européens qui sont confrontés à la perspective de ne pas pouvoir chauffer leurs maisons ou de ne pas pouvoir remplir leurs camions pour desservir leurs épiceries et leurs restaurants. Il serait incroyablement irresponsable de la part du Canada de dire 'nous ne nous en soucions pas' », a déclaré M. Wilkinson aux journalistes.
Le 24 mars, Jonathan Wilkinson a annoncé que l'industrie canadienne devrait augmenter sa production de pétrole de 200 000 barils par jour, et l'équivalent de 100 000 barils de gaz naturel par jour, d'ici la fin de l'année.
À l'heure actuelle, le Canada produit environ 4,7 millions de barils de pétrole par jour, et exporte environ quatre millions de barils de pétrole par jour, dont 99 % aux États-Unis. Plus des trois quarts des exportations de pétrole brut du Canada vers les États-Unis vont aux raffineries du Midwest et aux raffineries et ports de la côte du golfe du Mexique, principalement par pipeline, mais aussi par train. Le pétrole est également exporté par le pipeline Trans Mountain, dont la majorité est acheminée par pipeline vers les raffineries de l'État de Washington, et par les chemins de fer qui mènent à la raffinerie de pétrole d'Irving et à l'installation portuaire de la côte Est située à St. John, au Nouveau-Brunswick.
À la suite du sommet du G7 qui s'est tenu à Bruxelles le 23 mars, le premier ministre Justin Trudeau a indiqué dans une déclaration conjointe avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, que des responsables se rencontreraient la même semaine pour discuter du renforcement de la coopération dans le domaine de l'énergie et de l'élimination de la dépendance du bloc européen à l'égard de l'énergie russe.
« Un groupe de travail qui se consacrera à la transition verte et au gaz naturel liquéfié est mis sur pied, et son mandat sera d'établir un plan d'action concret à ces égards », indique la déclaration.
L'année dernière, la Russie a exporté environ 4,6 millions de barils par jour de pétrole brut, selon le groupe de consultants en énergie Wood Mackenzie. Il affirme que ces exportations ont chuté en raison des sanctions économiques et énergétiques généralisées prises à l'encontre du pays.
Si le Canada peut augmenter sa propre production de pétrole de 200 000 barils par jour, cela n'aura pas beaucoup d'impact pour compenser les exportations russes, a noté le groupe de consultants. Il a ajouté qu'au contraire, cela pourrait aider les États-Unis, qui cherchent à remplacer environ 500 000 barils de pétrole qu'ils importaient de Russie.
Une feuille de route pratique pour parvenir à l'indépendance vis-à-vis des carburants russes a fait l'objet d'un « va-et-vient intense » ces dernières semaines, a déclaré à la presse le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, la semaine même où se tenait le sommet de l'AIE.
Des intérêts privés étroits en tête de liste
Le jour même où l'AIE a conclu son sommet de deux jours, Victor Dodig, président et chef de la direction de la Banque Canadienne Impériale de Commerce et nouveau président du Conseil canadien des affaires (CCA), a tenu une réunion zoom avec les journalistes lors de son voyage d'une semaine à Washington où il a rencontré ses homologues américains et mexicains.
« Nous avons parlé de la résilience énergétique, a déclaré Victor Dodig. « Nous avons parlé de la résilience de l'alimentation et de l'agriculture. Nous avons parlé de la résilience de nos chaînes d'approvisionnement manufacturières. [...] »
Victor Dodig, ainsi que le président du CCA, Goldy Hyder, ont déclaré que leurs homologues américains et mexicains « ont posé des questions principalement sur l'énergie ».
« Il est important que nous fassions bien les choses, a ajouté Victor Dodig. Il est important que nous soyons considérés comme un acteur constructif à la fois dans notre région et au niveau mondial. »
La délégation du CCA composée de Victor Dodig et Goldy Hyder a rencontré le président de la Commission de l'énergie et des ressources naturelles du Sénat américain, le sénateur démocrate Joe Manchin de la Virginie de l'Ouest, et le sénateur républicain Pat Toomey de Pennsylvanie, qui, selon Goldy Hyder, ont été « très réceptifs » aux idées de la délégation.
Au cours de la semaine où Victor Dodig était à Washington, il a également été question de l'obligation pour le Canada, en tant que membre de l'OTAN, de respecter son engagement de consacrer 2 % de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires.
« Le Canada doit investir, en tant que membre de l'OTAN, à la hauteur des attentes que l'OTAN se fixe à elle-même et à ses membres, a déclaré Victor Dodig. Je crois que nous pouvons le faire, et je crois que nous pouvons le faire de manière raisonnable pour que tout le monde en profite grâce à la paix et à la stabilité. »
Trois jours après les propos tenus par Victor Dodig, le gouvernement Trudeau a annoncé qu'il allait entamer des négociations pour l'achat de 88 avions de chasse F-35 de Lockheed Martin, au coût de 19 milliards de dollars.
Au cours de cette même semaine d'annonces, la Commission fédérale de régulation de l'énergie des États-Unis a donné son accord pour reconsidérer l'achèvement de trois gazoducs interétatiques, dont le controversé et largement opposé gazoduc Mountain Valley Pipeline. Un autre gazoduc, l'Atlantic Coast Pipeline, qui aurait également pu acheminer le gaz obtenu par fracturation de la Virginie de l'Ouest vers le port maritime stratégique de Norfolk, en Virginie, avait déjà été annulé en raison de l'opposition populaire au projet.
En plaidant pour l'achèvement du Mountain Valley Pipeline qui transportera du gaz de fracturation depuis la Virginie de l'Ouest, l'État dont il est un des élus, le sénateur Joe Manchin a déclaré le 3 mars que « les États-Unis, en collaboration avec nos alliés, peuvent mettre fin à la capacité de Poutine d'utiliser l'énergie comme arme contre l'Ukraine et nos alliés de l'OTAN. ». Ironiquement, Joe Manchin est favorable au même type d'approche que les États-Unis, présentant la nécessité d'utiliser les combustibles fossiles et les infrastructures nord-américaines comme un moyen de « renforcer notre capacité à utiliser l'énergie comme un outil géopolitique pour lutter pour nos valeurs à l'étranger et soutenir nos partenaires stratégiques ».
Voilà pour ce qui est de ne pas utiliser l'énergie comme arme.
Alors que le sénateur américain Joe Manchin parlait de construire des infrastructures pour contrer la Russie et prendre le contrôle des marchés européens des combustibles fossiles, le premier ministre de l'Alberta, Jason Kenney, a gazouillé dans le même sens : « Si le Canada veut vraiment aider à désarmer Poutine, alors construisons des pipelines ! L'Alberta est prête, désireuse et capable de fournir l'énergie nécessaire pour évincer la Russie des marchés mondiaux. Message à Ottawa et Washington : arrêtez d'aider Poutine et l'OPEP en tuant la construction de pipelines. »
Selon Tristan Goodman, président de l'Association des explorateurs et des producteurs du Canada (EPAC), il existe des possibilités d'augmenter la production des combustibles fossiles pour résoudre les problèmes d'accessibilité financière en Amérique du Nord et le problème de sécurité énergétique dans le monde, mais ce n'est pas une certitude.
« Vous aurez besoin que les investisseurs aient confiance dans le fait qu'ils doivent augmenter la production. Et si vous n'avez pas la confiance des investisseurs, vous ne verrez pas d'augmentation de la production », a-t-il déclaré.
Tristan Goodman, qui a participé à un panel axé sur l'énergie canadienne lors de la semaine CERA (Cambridge Energy Research Associates) parrainée par Standard&Poor Global à Houston au début du mois de mars, faisait référence au fait que ces dernières années, au lieu d'augmenter la production de pétrole et de gaz, les investisseurs ont poussé les compagnies pétrolières à donner plus d'argent aux actionnaires.
« À long terme, ou à moyen terme, il faut que se tienne une discussion avec les Canadiens sur des infrastructures liées au gaz naturel et au pétrole », a ajouté Tristan Goodman. En d'autres termes, les gouvernements doivent intervenir en proposant davantage de stratagèmes pour payer les riches afin de rétablir ce qu'ils appellent la « confiance des investisseurs ».
Le pétrole canadien : un « cadeau du ciel »
pour
les impérialistes américains
Le 23 mars, un haut dirigeant de la Chambre de commerce des États-Unis a déclaré qu'il préférait voir le pays se concentrer sur les importations de pétrole du Canada plutôt que sur d'autres partenaires potentiels. Le Centre canadien de l'énergie, une société mise sur pied par le gouvernement de l'Alberta, rapporte :
« 'D'un point de vue purement et égoïstement centré sur les États-Unis, nous devrions être prudents et très particuliers quant à l'endroit d'où nous importons', déclare Christopher Guith, vice-président principal de l'Institut Global Energy de la Chambre de commerce des États-Unis.
« 'Nous avons une administration qui supplie actuellement l'OPEP, en particulier le Venezuela et peut-être même l'Iran, d'augmenter la production alors que le Canada dispose d'une importante capacité de réserve, surtout à long terme, qui pourrait être mise en service. Mais la capacité de réserve n'est pas là, principalement parce que cette administration a révoqué les permis pour le pipeline Keystone XL le premier jour de son mandat.'
« Christopher Guith affirme que les importations américaines de pétrole canadien – qui ont doublé entre 2005 et 2019, selon l'Agence d'information sur l'énergie des États-Unis – ont été un 'cadeau du ciel' pour la 'sécurité énergétique'.
« 'Si vous regardez les 25 dernières années, la mise en ligne de la production des sables bitumineux de l'Alberta est le deuxième avènement le plus important pour la sécurité énergétique des États-Unis, juste après notre propre révolution du schiste. Elle a incroyablement transformé notre économie énergétique et nous a permis de repousser les importations de l'OPEP', dit-il. [...]
« [I]l est plus logique qu'une grande partie du pétrole américain soit vendue sur les marchés mondiaux alors que les raffineries américaines s'en tiennent au pétrole lourd canadien, dit Christopher Guith. 'Il est plus économique pour les États-Unis d'exporter une bonne partie du brut léger et peu sulfureux qu'ils produisent et d'importer ensuite le brut lourd du Canada', dit-il.
« 'Si nous pouvions obtenir tout ce dont nous avons besoin, nous n'aurions même pas à nous préoccuper du Venezuela, ou potentiellement de l'Arabie saoudite, voire de la Russie, d'autres producteurs de brut lourd, mais le manque de capacité d'absorption limite la quantité de brut que nous obtenons du Canada. Et donc, nous devons nous tourner vers d'autres pays comme la Russie.' »[1]
Un rapport du Centre canadien d'information sur l'énergie note : « Une industrie pétrolière et gazière américaine forte est un élément essentiel de la prospérité économique et du réseau nord-américain de sécurité énergétique qui relie le Canada, les États-Unis et le Mexique. » Il omet de préciser que cette « forte industrie pétrolière et gazière américaine est un élément critique », non pas pour notre prospérité commune, mais en tant que pilier de l'économie américaine et de sa gigantesque armée d'agression déployée dans le monde entier qui ne pourrait pas fonctionner sans le pétrole et le gaz canadiens.
Tout cela montre qu'aucun de ces plans n'aidera le secteur énergétique canadien à devenir un élément important dans la création d'une économie autosuffisante, une économie qui répond aux besoins de la population, qui développe des relations commerciales avec d'autres pays sur la base de l'avantage et du respect réciproques, et qui contribue à faire du Canada un facteur de paix à l'échelle mondiale, au lieu de guerres d'agression, d'occupation et de changement de régime.
Ce que ces plans signifient, c'est que la direction actuelle de l'économie, qui consiste à payer les riches, continuera de causer des ravages dans tout le pays. Les gouvernements fédéral et provinciaux continueront de s'affronter et de s'entendre pour intensifier l'extraction des combustibles fossiles tout en faisant la promotion d'une « économie verte ». Les citoyens continueront à payer des « taxes sur le carbone » alors que le gouvernement fédéral affirme qu'il respecte ses obligations en matière de réduction des émissions de carbone.
De manière significative, cela signifie la poursuite de la politique de construction de pipelines en divisant les travailleurs, en opposant le bien-être de l'environnement et les droits ancestraux des peuples autochtones au besoin en emplois. Cela signifie qu'ils vont intensifier leur violation des droits ancestraux des autochtones à décider de ce qui se passe sur leurs territoires et criminaliser davantage la dissidence, tout en n'assumant aucune responsabilité pour les dommages causés à la terre, à l'eau et à la santé des gens.
Le peuple exige une nouvelle direction prosociale de l'économie
qui lui donne le contrôle de l'environnement naturel et social.
Note
1.
« Canadian oil a 'godsend' for U.S. energy security : Chamber
of Commerce leader - Reliable supply supports jobs and helps
lower consumer energy costs », Deborah Jaremko, 23 mars 2022,
Centre canadien de l'énergie.
(Avec des informations du Financial Post, la CBC, l'AIE, Centre canadien d'information sur l'énergie, Appalachian Voice et National Observer)
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 4 - 3 avril 2022
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