Dicter l'unité n'en fait pas une réalité

Le discours de Varsovie du président américain Joe Biden sur les « efforts unis » reprend la doctrine de l'unité, qui a échoué

– Kathleen Chandler –


Bannière suspendue à Baltimore, au Maryland, le 25 mars 2022

Plus le président des États-Unis Joe Biden dicte à l'Europe de s'unir en se soumettant au contrôle des États-Unis, plus il devient évident que les conditions de vie suivent leur propre route et n'obéissent pas aux diktats. Il en va de même aux États-Unis où Joe Biden ne parvient pas à unir les forces armées et les bureaucraties militaire et civile avec son expansion de l'OTAN, le déploiement de troupes en Europe et la provocation du conflit en Ukraine.

Le point fort de Joe Biden est censé être sa capacité à négocier des accords pour obtenir un consensus autour de ce que la présidence propose. Cela n'était pas du tout évident dans le grand discours que Biden a prononcé à Varsovie, en Pologne, le 26 mars, après la réunion extraordinaire de l'OTAN qui s'est tenue à Bruxelles le 24 mars et celle du G7 et de la Commission européenne, également le 24 mars.

Intitulé « Au sujet des efforts unis du monde libre pour soutenir le peuple d'Ukraine », ce discours faisait écho au discours sur l'état de l'Union prononcé par Joe Biden le 1er mars. Une fois de plus, il a tenté de ressusciter sa doctrine de l'unité, qui a échoué, selon laquelle les pouvoirs présidentiels aux États-Unis peuvent unir les factions rivales, surmonter le dysfonctionnement du gouvernement au niveau national et assurer la domination des États-Unis à l'étranger et le contrôle de l'Europe en particulier. Son discours a plutôt été le reflet du désespoir des États-Unis face à un nouvel échec, alors que les plans visant à utiliser l'Ukraine et les sanctions pour isoler et écraser la Russie ne se concrétisent pas selon les calculs des États-Unis et de l'OTAN.

Joe Biden a demandé que l'Europe et les États-Unis marchent au « même pas » à un moment où des économies importantes comme l'Allemagne, la France et l'Italie doivent faire face aux conséquences des sanctions imposées par les États-Unis à la Russie. Ces sanctions ont déjà poussé plusieurs pays à se plaindre d'un approvisionnement limité en gaz et en pétrole et de pénuries alimentaires.

Lors de sa rencontre avec le président polonais Andrzej Duda plus tôt dans la journée, avant son discours sur les « efforts communs », Joe Biden a mentionné les chefs d'État du G7 et de l'OTAN : « Mes collègues, j'en suis sûr, sont d'accord avec moi ... que la capacité de l'Amérique à remplir son rôle dans d'autres parties du monde repose sur une Europe unie et une Europe sûre ». « Cette stabilité en Europe est d'une importance capitale pour les États-Unis en ce qui concerne leur intérêt, non seulement en Europe mais dans le monde entier », a-t-il ajouté

Joe Biden dit très clairement que ce qui est en jeu, ce sont les intérêts des États-Unis et leur volonté de dominer le monde. Malgré le battage médiatique qui a été fait lorsqu'il a pris dans ses bras un enfant ukrainien réfugié, les préoccupations des peuples d'Europe et du monde, leurs intérêts ou même les intérêts des gouvernements européens, ne figurent pas dans l'équation américaine.

À partir de ce point de vue des intérêts des États-Unis pour la domination mondiale, il a dit : « Le critère le plus important dans cette période d'un monde en changement, – tant de choses ont changé, et pas seulement ici mais dans d'autres parties du monde – est que l'OTAN reste absolument, complètement, totalement unie ; qu'il n'y ait aucune séparation dans nos points de vue ; que quoi que nous fassions, nous le fassions à l'unisson ; et que tout le monde, tout le monde, marche avec nous. »

Joe Biden a réitéré cette demande le soir même dans son discours sur les « efforts unis » : « Tout d'abord, l'Europe doit mettre fin à sa dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles russes. Et nous, les États-Unis, vous aiderons. » Face aux directions disparates que prennent les pays européens, il a dit : « Et enfin, et de la manière la plus urgente, nous conservons une unité absolue, nous le devons, entre les démocraties du monde.  »

Dans ce qui équivaut à une déclaration que les États-Unis ne permettront pas une résolution pacifique de la crise ukrainienne en offrant une garantie aux préoccupations de sécurité de la Russie,  Joe Biden a laissé entendre qu'il présiderait à une situation perpétuelle de « ni guerre, ni paix ».

Il a dit : « Je suis revenu en Europe cette semaine avec un message clair et déterminé pour l'OTAN, pour le G7, pour l'Union européenne, pour toutes les nations éprises de liberté : nous devons nous engager maintenant à lutter à long terme. Nous devons rester unis aujourd'hui et demain et après-demain et pour les années et les décennies à venir. »

Pourquoi Joe Biden estime-t-il nécessaire de répéter sans cesse que l'OTAN, le G7 et l'Union européenne doivent rester « absolument, complètement, totalement unis » et que « tout le monde » doit se soumettre aux États-Unis ? Lorsque l'unité existe réellement, il n'est pas nécessaire de parler d'une « séparation de nos points de vue » au sein de l'OTAN et parmi les pays européens, et entre les États-Unis et nombre d'entre eux, comme l'Allemagne. Les États-Unis donnent l'impression de vouloir désespérément conserver leur place de « nation indispensable », alors que Biden s'efforce, sans y parvenir, de garantir cette place en exigeant que tout le monde se soumette.

Contrairement à l'ancien président américain Donald Trump, qui a proposé de mener les actions des États-Unis de manière unilatérale, a parlé de quitter l'OTAN et a délibérément insulté les alliés des États-Unis, dont le Canada, Joe Biden poursuit la politique adoptée pendant la guerre froide, qui consiste à utiliser l'OTAN pour contrôler l'Europe. Il le fait en croyant que celui qui contrôle l'Europe dominera l'Asie.

Néanmoins, comme Trump, Joe Biden poursuit une politique géopolitique tripolaire sur la base de laquelle les États-Unis pensent pouvoir jouer la Chine et la Russie l'une contre l'autre et en ressortir comme « la nation indispensable ».

Au grand dam des États-Unis, la tentative de jouer la Chine contre la Russie et vice-versa ne fonctionne pas et leur tentative d'utiliser l'OTAN comme une arme pour écraser la Russie est également vouée à l'échec. La raison en est qu'une nouvelle situation a vu le jour.

La Russie, la Chine et d'autres pays d'Asie représentent environ 60 % de la population mondiale. L'Asie représente environ 40 % de la production mondiale et sa part augmente. La Chine est le deuxième pays, après les États-Unis, en ce qui concerne le produit intérieur brut (PIB) ; l'Inde est le sixième et la Russie le onzième. La Chine et l'Inde devraient toutes deux dépasser les États-Unis en ce qui concerne le PIB d'ici quelques années.

Ces pays tracent leur propre voie de développement. La géopolitique d'autrefois, centrée sur la volonté des États-Unis de contrôler l'Europe pour dominer l'Asie, ne correspond plus aux conditions qui prévalent aujourd'hui. Le « pivot » des États-Unis vers l'Asie – y compris sur le plan militaire – vise à 'imposer la domination américaine, mais comme le montrent les actions de la Chine, de l'Inde et d'autres pays, lui aussi échoue.

Les États-Unis font des heures supplémentaires pour mieux faire face à la Chine et bloquer les accords potentiels entre la Russie, la Chine et l'Inde ainsi qu'avec d'autres pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes.

Bon nombre de ces pays ne soutiennent pas les sanctions américaines et maintiennent leurs relations avec la Russie. Ils sont nombreux à s'abstenir lors des votes de l'ONU qui visent la Russie, à envisager des structures financières alternatives indépendantes du dollar américain et à prendre d'autres mesures qui ne dépendent pas de l'architecture financière, des relations commerciales, des couloirs énergétiques, des couloirs de communication et de transport ou des accords de sécurité dominés par les États-Unis. Le Venezuela et l'Iran, tous deux riches en pétrole, entretiennent également des relations avec la Russie. L'Europe elle-même, qui entretient des relations étroites avec la Russie et qui a ses propres intérêts en jeu, n'est pas prête à se plier au diktat des États-Unis.

Tout ceci montre que le discours de Varsovie de Joe Biden sur les « efforts unis » n'a fait que souligner la désunion qui existe au sein de l'alliance États-Unis/OTAN et l'échec de la quête des États-Unis pour la domination mondiale.

Joe Biden semble également penser que les peuples du monde n'ont aucune mémoire des actions des États-Unis qui ont utilisé l'OTAN comme partie de leur machine de guerre. « Le Kremlin veut présenter l'élargissement de l'OTAN comme un projet impérial visant à déstabiliser la Russie. Rien n'est plus éloigné de la vérité. L'OTAN est une alliance défensive. Elle n'a jamais visé à la disparition de la Russie », a-t-il déclaré. Pourquoi alors l'élargir avec 14 pays supplémentaires, pourquoi placer l'OTAN, ses armements et ses missiles, aux frontières de la Russie ? Pourquoi l'augmentation des troupes et des jeux de guerre avant le conflit actuel et encore plus maintenant, avec 100 000 soldats américains et davantage de navires de guerre et de bombardiers dans la région ?

Loin de former une « alliance défensive », les actions des États-Unis et de l'OTAN sont celles de guerres d'agression et de violations de l'état de droit international, destinées à l'éliminer. La guerre des drones, les tapis de bombes sur les infrastructures civiles, l'utilisation d'armes à l'uranium appauvri, tout cela va à l'encontre des normes et standards internationaux. Il en va de même pour les nombreux coups d'État et les efforts de changement de régime déployés par les États-Unis, y compris le coup d'État de 2014 en Ukraine qui a destitué un président élu et en a amené un autre décidé par les États-Unis, ce à quoi Biden a directement participé.

Les peuples du monde déclarent clairement que les États-Unis et l'OTAN sont des forces agressives pour la guerre. Les supporters de football en Serbie, par exemple, qui a été bombardée brutalement lors de l'agression des États-Unis et de l'OTAN, portaient des banderoles évoquant les nombreuses guerres d'agression des États-Unis et celles auxquelles l'OTAN a également participé. Parmi celles-ci figuraient la Corée, le Guatemala, l'Indonésie, Cuba, le Vietnam, le Congo, le Laos, le Brésil, la République dominicaine, la Grèce, l'Argentine, le Nicaragua, la Grenade, les Philippines, le Panama, l'Irak, le Soudan, la Yougoslavie, l'Afghanistan, le Yémen, la Somalie, la Libye et la Syrie.


Les supporters du club de football serbe Red Star de Belgrade tiennent des bannières portant les noms des pays qui ont été envahis par les États-Unis, le 17 mars 2022.

Comme l'indiquent les banderoles en Serbie et les manifestations en Allemagne, en Italie et dans d'autres pays, les peuples n'ont pas oublié les crimes des États-Unis, n'ont pas oublié les bombardements des États-Unis et de l'OTAN en Europe et au Moyen-Orient et n'abandonneront pas leur lutte contre les guerres impérialistes agressives. Ils luttent pour développer des zones de paix, comme elle a été déclarée en Amérique latine et dans les Caraïbes, et comme le réclament les peuples du Canada et du monde entier.


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Volume 52 Numéro 4 - 3 avril 2022

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