Lettre ouverte des travailleurs migrants accidentés
Nous reproduisons ci-dessous une lettre de travailleurs migrants accidentés, tirée de Harvesting Freedom, le bulletin de Justicia for Migrant Workers (J4MW), écrite à l'occasion du 21 mars, Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale. La lettre est adressée au premier ministre Justin Trudeau, au ministre canadien de l'Immigration Sean Fraser, au premier ministre de l'Ontario Doug Ford, au ministre du Travail de l'Ontario Monte McNaughton et au président-directeur général de la CSPAAT de l'Ontario Jeffery Lang.
Nous sommes un groupe diversifié de travailleurs agricoles migrants accidentés et d'alliés qui luttons pour une indemnisation équitable et le respect de la part de la CSPAAT [Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail] pour tous les travailleurs. Nous voulons que les changements apportés au système aident, et non entravent, la vie des travailleurs accidentés.
En ce 21 mars, Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale, nous, travailleurs migrants accidentés anciennement employés par le programme canadien des travailleurs étrangers temporaires, voulons mettre en lumière les conditions auxquelles nous avons été confrontés à la suite d'une blessure ou d'une maladie. Nous pensons que le système d'indemnisation des travailleurs est raciste et que nous sommes très mal traités. Ce racisme systémique a comme résultat que nous ne sommes pas traités comme des êtres humains. Il existe des différences de pouvoir entre nous, les travailleurs, et nos patrons. Le système est conçu pour les patrons, pas pour nous. Nos voix ne sont pas prises au sérieux. C'est comme si le système croyait les patrons plutôt que nous lorsque nous racontons l'impact de nos blessures. On nous traite comme si nous mentons ; ni nos blessures ni nos douleurs ne sont considérées comme sérieuses. Plutôt que de nous laisser guérir, les patrons nous renvoient au travail alors que nous sommes encore blessés et que nous souffrons. C'est comme si nous devions mendier pour obtenir les avantages auxquels nous avons droit.
Nous sommes confrontés au racisme en raison de notre teint, de notre apparence et de notre statut de migrants. Nous sommes considérés comme jetables par la CSPAAT, le gouvernement du Canada, les employeurs et nos agents de liaison. Nous avons été victimes d'abus verbaux, physiques, mentaux et émotionnels. Plutôt que de nous aider à guérir, le système actuel ne fait qu'empirer les choses pour nous. On nous a refusé le droit de fonctionner comme des êtres humains au Canada. Ceux d'entre nous qui ont été rapatriés retournent dans leur pays d'origine avec des blessures et des traumatismes. Nous payons d'avance notre transport, nos soins de santé et nos médicaments pour venir au Canada, mais nous devons supplier nos amis et les membres de notre famille après avoir été blessés au Canada alors que nous devrions légitimement recevoir des prestations de la CSPAAT au Canada. Nos accidents du travail subis au Canada nous endettent davantage. Ce n'est pas juste. Beaucoup d'entre nous souffrent d'hypertension artérielle, de stress et d'anxiété parce que nous ne pouvons pas payer nos factures. Dans bien des cas, nous manquons nos rendez-vous médicaux, ce qui signifie que nous devenons encore plus malades.
C'est la CSPAAT qui est en charge, qui détient la responsabilité lorsqu'un travailleur se blesse au travail au Canada. En raison du racisme systémique, la CSPAAT laisse tomber les travailleurs migrants accidentés. Les personnes blessées ont de la difficulté à communiquer par téléphone avec les agents de la CSPAAT, même lorsque les renseignements médicaux sont déposés sur leur bureau ou sur leur ordinateur. Les personnes blessées subissent un nouveau traumatisme en plus de ce qu'elles ont déjà vécu, ce qui entraîne encore plus de dépression et de frustration. Il faut mettre en place un système d'enquête lorsque la CSPAAT ne fait pas son travail. Nous vivons dans la misère et cela entraîne des répercussions sur l'éducation et le bien-être de nos enfants en raison de la pauvreté, de la séparation, de l'absence d'accès aux soins de santé, de dépression nerveuse et de bien d'autres enjeux. Notre santé et notre sécurité ne doivent pas être mises en péril. Le système de la CSPAAT doit changer afin que nous recevions les mêmes protections que les autres travailleurs non agricoles canadiens. Nous ne devons pas être pénalisés pour avoir défendu nos droits ou refusé des conditions de travail dangereuses. Il n'est pas normal que les lois ne nous protègent pas pour le travail essentiel que nous faisons au Canada.
Dans le système de la CSPAAT, il n'y a aucun droit pour les travailleurs migrants accidentés. Le système est partial dans sa façon de traiter les travailleurs et aussi dans l'indemnisation que les travailleurs reçoivent. Les travailleurs migrants accidentés ne peuvent pas voir le médecin approprié et n'ont pas l'argent pour le payer. Cependant, la CSPAAT donne aux employeurs de l'argent soi-disant « excédentaire » qui devrait être versé aux travailleurs accidentés et à leurs familles. Cet argent devrait nous être rendu afin que nous puissions prendre soin de nos familles. Lorsque nos familles sont malades, nous ne pouvons pas prendre soin d'elles, ni envoyer nos enfants à l'école. Il est scandaleux que la CSPAAT récompense ces employeurs plutôt que de réparer le système qui a laissé les travailleurs accidentés en crise. Nous sommes en colère, nous souffrons et nos vies ont été changées à jamais à cause de nos accidents du travail. Nous ne voulons pas de belles paroles, ni de pitié. Nous voulons la justice. Nous voulons que le système change. Nous voulons recevoir le traitement médical que nous méritons et les prestations qui garantissent que nous ne sommes pas condamnés à mort. Nous voulons un système qui nous aide, et non qui nous traumatise davantage.
Nous ne resterons pas silencieux et nous n'abandonnerons pas. Nous continuerons à nous battre avec tous les travailleurs, anciens ou actuels, qui ont été maltraités par la CSPAAT. Nous continuerons à nous battre pour nos familles, nos enfants, nos collègues de travail et les générations futures de travailleurs afin qu'ils ne subissent pas la même douleur et les mêmes souffrances que nous avons connues. Notre lutte s'adresse à tous les travailleurs migrants, quel que soit leur pays d'origine ou la langue qu'ils parlent. Notre lutte vise à améliorer la situation des travailleurs canadiens et des travailleurs migrants. Nous n'accepterons pas les mauvais traitements raciaux parce que nous sommes noirs ou bruns.
Nous demandons instamment aux gouvernements fédéral et provinciaux d'agir immédiatement pour protéger tous les travailleurs. Les revendications suivantes apporteront un soutien immédiat et un filet de sécurité aux travailleurs et aux familles des travailleurs qui ont été tués, blessés et sont tombés malades au travail :
- Le gouvernement canadien doit fournir un statut d'immigration permanent à tous les travailleurs sans-papiers et migrants, un statut à l'arrivée, un statut en cas de blessure, et personne ne doit être expulsé. Le programme fédéral récemment proposé est largement insuffisant pour permettre à plus d'une infime partie des travailleurs agricoles et autres travailleurs essentiels de se qualifier. Ce n'est pas du tout suffisant. Tous les travailleurs, y compris les travailleurs accidentés, doivent être autorisés à rester au Canada et à accéder à la justice et aux soins de santé.
Le gouvernement de l'Ontario :
- Abolir l'annexe 6 de la loi 27, Loi de 2021 visant à oeuvrer pour les travailleurs : absolument, cela ne fonctionne pas pour les travailleurs. Remettre immédiatement le surplus de la CSPAAT aux travailleurs accidentés, et non aux employeurs.
- Mettre fin à la pratique de la CSPAAT de la « présomption » (emplois fictifs) et fournir des prestations lorsque les travailleurs accidentés ne sont pas en mesure de trouver un emploi ou qu'aucun emploi n'est disponible sur le marché, en particulier les travailleurs sans papiers et les travailleurs migrants qui sont déjà renvoyés dans leur pays, mais qui sont systématiquement présumés aptes au travail après 12 semaines sans aucune prestation. La CSPAAT dit qu'ils peuvent continuer à travailler comme caissier, pompiste ou employé d'un centre d'appel en Ontario. Cela n'est pas acceptable.
- De vrais soins de santé pour les travailleurs accidentés : D'après le rapport « Bad Medicine » (IAVGO, 2017), le paiement des prestations pour les médicaments par la CSPAAT a diminué de 35 % (33 millions de dollars), passant de 96 millions de dollars en 2010 à 63 millions de dollars en 2015, alors que les nouvelles réclamations entrant dans le système sont constantes pendant cette période. On y lit : « Environ 18 000 travailleurs accidentés par an ont disparu du programme de prestations pour médicaments, sans explication viable de la part de la CSPAAT. » Cependant, les propres rapports financiers annuels de la CSPAAT ont confirmé que les prestations versées aux travailleurs accidentés ont été réduites de moitié de 2010 à 2015. La CSPAAT devrait fournir les soins de santé dont les travailleurs accidentés ont besoin et financer les traitements médicaux et les médicaments que nos médecins prescrivent, en particulier pour ces travailleurs et travailleurs migrants blessés sur des lieux de travail précaires et rapatriés dans leur pays sans soins médicaux.
- Modifier la loi sur la CSPAAT pour que soient écoutées les recommandations des fournisseurs de soins de santé traitants des travailleurs accidentés en ce qui a trait aux soins de santé, la santé et la sécurité des travailleurs accidentés, le temps de guérison et le retour au travail, au lieu de gaspiller de l'argent pour que les médecins de la CSPAAT annulent les recommandations des médecins traitants des travailleurs accidentés. Il faut également éliminer les conditions préexistantes ou la dégénérescence liée à l'âge dans la politique de la CSPAAT. Les chercheurs et les défenseurs des travailleurs accidentés ont déclaré que ces conditions n'avaient pas affecté la capacité du travailleur à faire son travail ou n'avaient montré aucun symptôme (étaient asymptomatiques).
Les gouvernements fédéral et ontarien doivent :
- travailler ensemble pour enquêter sur tous les décès liés au travail et sur les conditions de santé et de sécurité (abus/harcèlement, blessures au travail, dortoir, EPI, équipement de sécurité), y compris dans le cadre du PTAS (Programme des travailleurs agricoles saisonniers) et du PTET (Programme des travailleurs étrangers temporaires), renforcer également toutes les exigences légales selon lesquelles les employeurs doivent être responsables des environnements de travail non sécuritaires et tenus responsables de toute violation de la Loi sur la santé et la sécurité au travail ;
- fournir des prestations d'aide sociale avec une augmentation réelle ajustée au coût de la vie et mettre en place une nouvelle prestation canadienne de revenu d'invalidité pour que les personnes handicapées puissent subvenir à leurs besoins. Tout filet de sécurité sociale devrait être accessible à toute personne qui en a besoin, quel que soit son statut d'immigration. Examiner les demandes d'accès et de données sur l'accès des travailleurs migrants aux programmes de l'assurance-emploi(AE), du Régime de pensions du Canada (RPC), de la prestation d'invalidité du RPC, de la CSPAAT et de l'aide sociale, du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH) et prestations de santé du programme Ontario au travail (OT), afin de déterminer combien de travailleurs sont confrontés à des problèmes systémiques.
En tant que travailleurs agricoles migrants lésés et en tant que communautés, nous sommes unis et nous nous organisons ensemble pour nous assurer que ces mesures soient mises en oeuvre et suivies par nos représentants dans les deux gouvernements. Nous continuerons à travailler avec nos alliés et les gens des communautés pour aider nos représentants à faire leur travail et à protéger tous les travailleurs pendant cette période critique. Nous demandons instamment aux deux gouvernements de réagir et d'agir immédiatement.
Veuillez contacter votre député provincial et votre député fédéral afin de protéger tous les travailleurs. Nous sommes solidaires de tous les migrants et des personnes de couleur dans le monde contre le racisme.
Une attaque contre un est une attaque contre tous !
(Travailleurs agricoles migrants accidentés. Photo : R. Maise)
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 4 - 3 avril 2022
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