L'état de la démocratie américaine

Le discours de Joe Biden sur l'état de l'Union: une tentative dérisoire d'unir les factions rivales du pouvoir

– Kathleen Chandler –

La première année de règne de Joe Biden a été difficile et les États-Unis ont dû faire face à de nombreux problèmes, tant au pays qu'à l'étranger. Le président Joe Biden a prononcé son discours sur l'état de l'Union le 1er mars qui avait pour thème principal la volonté d'unir les factions rivales du pouvoir comme si la situation était bonne ou comme il l'a dit : « Nous sommes plus forts aujourd'hui qu'il y a un an. »

Ce n'est pas le cas. Joe Biden parle dans une situation où les conflits entre les oligarques privés et leurs représentants au gouvernement alimentent une guerre civile ouverte, comme en témoignent le dysfonctionnement du Congrès, les élections qui ne règlent aucun problème et les conflits au sein et entre la présidence, les forces armées et les représentants fédéraux et des États.

Il est important de comprendre que les deux principales factions, celle actuellement dirigée par Joe Biden et celle actuellement dirigée par Donald Trump, se battent pour concentrer encore plus de pouvoirs de police dans l'exécutif fédéral et pour contrôler le bureau du président comme un instrument permettant de tout contrôler. Joe Biden le fait en déclarant que les institutions démocratiques sont représentatives et que la démocratie américaine est le modèle à suivre pour le monde entier. La sédition, les accusations de conspiration et le refus d'un transfert pacifique du pouvoir sont tous liés à la Constitution des États-Unis et à son utilisation pour justifier ce qui ne peut l'être. Donald Trump, en revanche, est guidé par la volonté non pas de maintenir les structures actuelles de la soi-disant société civile et de la constitution, mais de les briser toutes car considérées comme des obstacles à un pouvoir oligarchique clair.

Joe Biden a commencé son discours sur l'état de l'Union par : « Ce soir, nous nous réunissons en tant que démocrates, républicains et indépendants, mais surtout en tant qu'Américains, avec un devoir les uns envers les autres, envers l'Amérique, envers le peuple américain, envers la Constitution. Et une détermination inébranlable, à savoir que la liberté triomphera toujours de la tyrannie. »

Il a ensuite parlé de l'Ukraine. Il a déclaré : « Je demande à chacun de nous, si vous êtes capables de le faire, de se lever ici ce soir dans cette Chambre pour envoyer un message sans équivoque au monde et à l'Ukraine. Oui, nous, les États-Unis d'Amérique, sommes aux côtés du peuple ukrainien. » Des drapeaux ukrainiens avaient été distribués et de nombreux membres du Congrès les avaient, tandis que d'autres portaient des épinglettes du drapeau ukrainien. L'ambassadrice d'Ukraine aux États-Unis était présente et a reçu une ovation debout. Tous les efforts ont ainsi été faits pour utiliser l'Ukraine pour détourner l'attention des crises qui font rage à l'intérieur des États-Unis, d'un océan à l'autre, de manière à unir les factions rivales parmi les dirigeants, notamment les forces armées, dont les représentants étaient également présents, et leur bureaucratie.

Étant donné que les causes de la guerre civile qui fait rage parmi les dirigeants aux États-Unis ne sont pas imaginaires, les efforts de Joe Biden pour écarter les conflits croissants en enflammant les passions en faveur de l'Ukraine n'iront pas loin bien longtemps.

Joe Biden a continué de parler de l'Ukraine, ciblant à plusieurs reprises Vladimir Poutine avec l'approche personnaliste habituelle, les injures et les accusations de « dictateur ». Bien sûr, les États-Unis ne doivent pas être accusés d'être un agresseur qui mène des guerres, d'être une force d'invasion dans le monde entier, l'architecte de « révolutions de couleur » pour un changement de régime. Cela ne s'appelle pas le diktat des États-Unis. Cela s'appelle la liberté.

L'histoire de l'expansion de l'OTAN vers l'est d'une manière qui menace les frontières de la Russie et l'ingérence des États-Unis en Ukraine pour en faire une base avancée menaçant les intérêts russes dans la zone la plus stratégique de la mer Noire et de la mer d'Azov ont rendu le déséquilibre dans le monde réellement plus dangereux. Ce déséquilibre s'est installé lorsque la division bipolaire entre les deux superpuissances a pris fin, avec l'effondrement de l'ancienne Union soviétique.

L'absence d'un équilibre favorable à l'humanité est un sujet d'inquiétude important pour les peuples du monde d'aujourd'hui. Elle a conduit à la situation défavorable actuelle en Ukraine, dont on ne peut prévoir l'issue tant que ce ne sont pas les peuples qui prennent les décisions qui touchent leur vie. Le fait est que Joe Biden et son fils ont directement profité de la prise de contrôle des institutions financières et politiques de l'Ukraine par des intérêts privés étroits, mais, bien sûr, cela n'est pas à souligner lorsque l'on prétend que tout le monde est uni et que le butin est à portée de main.

Joe Biden a réaffirmé qu'il n'y aurait pas de troupes américaines sur le terrain en Ukraine. Il est tout à fait satisfait d'utiliser le peuple ukrainien et les mercenaires étrangers comme chair à canon au nom de grands idéaux. « Nos forces ne sont pas engagées et ne s'engageront pas dans le conflit avec les forces russes en Ukraine », a-t-il déclaré, ajoutant : « Nous avons mobilisé des forces terrestres américaines, des escadrons aériens et déployé des navires pour protéger les pays de l'OTAN, notamment la Pologne, la Roumanie, la Lettonie, la Lituanie et l'Estonie. »

Cela indique que les provocations contre la Russie vont se poursuivre, ce qui inclut le milliard de dollars envoyé jusqu'à présent au gouvernement ukrainien en armement et ce que l'on appelle une aide économique et davantage de sanctions.

Joe Biden a également exprimé ce qu'il considère comme une réalisation de son administration : « Nous voyons l'unité entre les dirigeants des nations, une Europe plus unie, un Occident plus uni. » Il est resté silencieux sur le fait qu'en une courte année, son administration a présidé à pas moins de trois échecs en matière de politique étrangère : le premier, l'incapacité de ses agences de renseignement à prévoir le chaos qui accompagnerait la défaite américaine en Afghanistan, le deuxième, l'incapacité de ses agences de renseignement à prévoir son échec à renverser le gouvernement révolutionnaire de Cuba en juillet 2021, et le troisième, son échec à forcer la Russie à renoncer à ses intérêts sécuritaires et à se soumettre au diktat des États-Unis.

Joe Biden s'est vanté d'avoir réalisé l'unité de l'Europe, comme si la Russie n'était pas le plus grand pays européen en termes de superficie et de population. C'est un grave problème pour l'avenir. De plus, rien n'est dit sur la coercition, le chantage et les fausses promesses, exercés à la manière des tueurs à gages mafieux derrière des portes closes, pour forcer les pays européens, grands et petits, à accepter l'ordre du jour des États-Unis, même si cela signifie que l'imposition de sanctions va à l'encontre de leurs propres intérêts. Comme pour les efforts visant à unifier les factions aux États-Unis, il est peu probable qu'une telle unité persiste étant donné les divisions au sein de l'OTAN entre les États-Unis et l'Europe dans son ensemble et au sein de l'Europe.

On peut voir à quel point les propositions de Joe Biden ne sont pas sérieuses lorsqu'il souligne dans son discours le « devoir » de maintenir la constitution américaine en place. Dans ce contexte, il demande maintenant au département de la Justice de s'en prendre aux oligarques russes, ce qui ne relève pas de sa compétence à l'heure actuelle. « Ce soir, je dis aux oligarques russes et aux dirigeants corrompus qui ont empoché des milliards de dollars en se servant de ce régime violent : c'est fini. Le département de la Justice des États-Unis forme actuellement un groupe de travail spécialement chargé des poursuites à l'encontre des crimes des oligarques russes. Nous nous associons à nos alliés européens pour trouver et saisir leurs yachts, leurs appartements de luxe, leurs jets privés. Nous allons cibler vos biens mal acquis. »

Il reste à voir quels oligarques américains sont pris dans ce filet et les luttes intestines qui en découlent et si des appels seront lancés pour que Joe Biden agisse de la même façon avec les oligarques américains à l'intérieur même des États-Unis. Bien des gens aux États-Unis doivent se demander pourquoi et comment le département de la Justice des États-Unis peut mettre en place un groupe de travail pour s'attaquer aux oligarques russes alors qu'aucun groupe de travail de ce type n'existe pour cibler les oligarques américains, qui sont pourtant connus pour leur corruption, leur énorme richesse mal acquise même pendant la pandémie de COVID et leurs nombreux crimes contre les travailleurs, y compris les immigrants.

Ces efforts visent à détourner l'attention des responsabilités auxquelles veut se soustraire le département de la Justice des États-Unis concernant les violences meurtrières racistes commises par la police, les crimes bien documentés des centres de détention privés et les conditions dans toutes les prisons américaines, les crimes des oligopoles pharmaceutiques, le génocide en cours contre les Noirs et les Autochtones, et plus encore. Cela révèle que Joe Biden se plie aux exigences de la bureaucratie civile, qui est également très divisée, en espérant qu'elle s'unira derrière cet appel pour que le département de la Justice s'en prenne aux oligarques russes au lieu de s'attaquer à ce qui se passe aux États-Unis même.

Cela explique également pourquoi Joe Biden n'a pas du tout parlé de la tentative de coup d'État du 6 janvier 2020 par les forces de Donald Trump et de la position du département de la Justice concernant ces poursuites. Tout cela n'est qu'une illusion qui ne manquera pas de voler en éclats tôt ou tard. Cela révèle que la classe ouvrière et le peuple doivent se préparer dès maintenant à ne pas être divisés en factions dressées les unes contre les autres, comme c'est le cas avec la crise en Ukraine, mais à s'unir sur la base de leurs propres intérêts pour des objectifs qui les favorisent eux plutôt que les oligarques où que ce soit.

Un étalage odieux de chauvinisme américain pour justifier les stratagèmes pour payer les riches

Un autre moyen par lequel les dirigeants américains s'efforcent d'unifier leurs rangs, tout en gagnant le soutien du peuple, est d'inciter au chauvinisme américain. C'est ce qu'a fait Joe Biden en mettant l'accent sur « Acheter américain ». Il a donné des exemples répétés de la manière dont « Acheter américain » bénéficiera à l'économie. La répétition et l'insistance étaient telles que ceux qui étaient présents ont commencé à scander USA ! USA !

Les tentatives de Joe Biden d'exprimer son inquiétude pour la population sonnent vraiment très faux. « Tant de familles vivent, d'un chèque de paie à l'autre, luttant pour faire face à la hausse du coût de la nourriture, de l'essence, du logement et bien plus encore », a-t-il déclaré. Il a parlé de choses comme l'augmentation du salaire minimum et la possibilité pour les travailleurs de se syndiquer pour dissimuler le fait que, même si son point fort est censé unifier les factions rivales pour faire adopter des lois, il n'a pas réussi à faire adopter sa principale loi « Build Back Better ». Selon lui, « Acheter américain » et les projets de loi actuels devant le Congrès sur les infrastructures et l'innovation ont pour but de concurrencer la Chine et de fournir un financement public aux oligopoles.

Ford et GM vont recevoir une aide pour ces véhicules électriques, notamment le gouvernement fédéral qui construira des bornes de recharge pour véhicules électriques et achètera les voitures.

Parlant d'abord du projet de loi sur les infrastructures, Joe Biden a déclaré : « Il va transformer l'Amérique et nous mettre sur la voie pour gagner la compétition économique du XXIe siècle à laquelle nous sommes confrontés avec le reste du monde, en particulier avec la Chine. »

Reprenant la perspective de Donald Trump de rendre sa grandeur à l'Amérique à nouveau, il a déclaré : « Nous achèterons américain pour nous assurer que tout, du pont d'un porte-avions à l'acier sur les garde-fous sur les routes, sont fabriqués en Amérique. » Il a ajouté que pour rivaliser pour les meilleurs emplois de l'avenir, « nous devons également jouer à égalité avec la Chine et d'autres concurrents ».

Concernant le Bipartisan Innovation Act qu'il tente de faire adopter par le Congrès, Joe Biden a parlé de la promesse d'Intel de construire un « méga site » de semi-conducteurs dans l'Ohio. Il a dit : « Le PDG d'Intel, Pat Gelsinger, qui est ici ce soir, m'a dit qu'ils étaient prêts à augmenter leur investissement de 20 à 100 milliards de dollars. Ce serait l'un des plus gros investissements dans le secteur manufacturier de l'histoire américaine. Et tout ce qu'ils attendent, c'est que vous adoptiez ce projet de loi. » Intel est une grande force technologique et manufacturière, avec 79,02 milliards de dollars de revenus pour 2021.

Joe Biden a répété les habituelles promesses vides de sens dont les travailleurs savent qu'elles ne seront jamais tenues. L'ensemble du discours a souligné le fait que des intérêts privés supranationaux étroits ont usurpé les pouvoirs décisionnels du gouvernement et qu'ils exigent que le trésor public soit entièrement utilisé pour leurs intérêts privés afin de concurrencer efficacement la Chine et d'anéantir la Russie.

Dans une économie mondialisée néolibérale, les travailleurs ont appris que leurs intérêts ne résident pas dans la concurrence avec leurs confrères du monde entier, mais dans des efforts communs pour défendre leurs droits et faire front. Ainsi, « Acheter américain » ne vise pas seulement à unir les factions rivales de la classe dirigeante en leur assurant que le trésor public est à leur disposition, mais aussi à convaincre les travailleurs américains de se joindre au chauvinisme et de se ranger aux côtés des oligarques américains contre les travailleurs de Chine, de Russie et d'ailleurs.

Joe Biden a également abordé la question des impôts pour tenter de rallier les gens derrière lui. « Le système fiscal n'est pas équitable », a-t-il déclaré comme s'il était le premier président à faire une telle découverte afin de remettre une fois de plus une plus grande part des richesses aux riches. Il donne l'exemple des grands oligopoles qui ne paient pas d'impôts. Sa solution est la même que celle de ceux qui l'ont précédé, c'est-à-dire « supprimer les échappatoires » et augmenter le taux d'imposition des sociétés, actuellement fixé à 21 %. « Plus de 130 pays se sont mis d'accord sur un taux d'imposition minimum mondial afin que les entreprises ne puissent pas se passer de payer leurs impôts chez elles en expédiant des emplois et des usines à l'étranger », a-t-il déclaré. Tout cela est dit pour cacher ce qui est bien connu : le taux d'imposition ne détermine pas la façon dont les oligopoles aux intérêts mondiaux opèrent, car se soustraire au paiement des impôts fait toujours partie de leurs plans. « Supprimer les échappatoires » n'a jamais résolu un seul problème d'inégalité, d'appauvrissement et d'oppression où que ce soit, et certainement pas aux États-Unis.

Les efforts de Joe Biden pour gagner le soutien du peuple tout en coupant toute discussion sur les alternatives en matière d'impôts n'ont aucune chance de décoller, et encore moins de se réaliser. La meilleure et la plus simple façon de s'assurer que les oligopoles paient est que le gouvernement sécurise les fonds au point de production. Cela éliminerait le besoin d'impôts sur le revenu des particuliers tout en fournissant des fonds suffisants pour les programmes sociaux. Bien sûr, de telles alternatives ne doivent pas être envisagées.

« Un programme d'unité pour la nation »

Dans le cadre de ses efforts pour unifier les factions rivales, Joe Biden a déclaré au Congrès américain : « Arrêtons de nous voir comme des ennemis et commençons à nous voir pour ce que nous sommes vraiment : des compatriotes américains. » Il a ensuite proposé ce qu'il appelle un « programme d'unité pour la nation ». Il s'agit de ce qu'on dit être des questions non controversées : vaincre l'épidémie d'opioïdes, s'attaquer aux problèmes de santé mentale, en particulier chez les enfants, soutenir les anciens combattants et « mettre fin au cancer tel que nous le connaissons ».

Le dysfonctionnement des élections et du Congrès lui-même, notamment son incapacité à adopter des lois importantes, fait partie des facteurs qui alimentent la guerre civile, car ces mécanismes de résolution des conflits ne fonctionnent plus. Une année de règne de Joe Biden montre que son talent à faire adopter des lois, notamment au Sénat, a perdu son efficacité. C'est pourquoi son programme de questions non controversées visant à unir les factions rivales et à montrer au public que le Congrès peut faire quelque chose est également voué à l'échec.

Les institutions qui ne fonctionnent plus et n'arrivent pas à concilier des intérêts ne peuvent être amenées à fonctionner simplement parce que vous leur fournissez des questions prétendument non controversées.

Les intérêts privés étroits sont omniprésents, partout, et toutes les occasions sont saisies pour que les intérêts privés étroits s'enrichissent. L'anarchie et la violence règnent et aucun pouvoir de police concentré dans le Bureau exécutif du président ne permettra de contrôler ces intérêts privés ou de faire disparaître cette caractéristique de la situation actuelle. Les divisions et les conflits entre les dirigeants vont sans aucun doute s'intensifier, car ils ne sont pas en mesure d'apporter des solutions aux problèmes de la société et refusent de répondre à la demande de l'époque d'investir le peuple du pouvoir.

C'est une tout autre question pour la classe ouvrière et le peuple américains. Leur intérêt est de se constituer en la nation et de des saisir des pouvoirs de décision souverains, sur une base moderne où chacun peut parler en son nom propre et rejeter la Constitution et les structures de gouvernement qui consacrent l'inégalité, l'asservissement, la violence, l'oppression et la guerre. Ceux qui partagent le même sort ont des intérêts communs à gouverner d'une manière qui les sert, et non ceux qui occupent des positions de pouvoir et de privilèges. Ce sont les travailleurs et leur lutte pour leurs droits en tant qu'êtres humains, ainsi que leurs luttes pour humaniser l'environnement naturel et social, qui ouvrent la voie à l'avenir.


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Volume 52 Numéro 3 - 7 mars 2022

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