La démocratie américaine en lambeaux


Manifestation à Minneapolis pendant la sélection du jury dans le procès de l'assassin de George Floyd, le 19 avril 2021, alors que les gens continuent de lutter pour leurs propres intérêts et demandent des comptes.

Alors que le président des États-Unis, Joe Biden, organisait un Sommet pour la démocratie à Washington, DC, les 9 et 10 décembre 2021, près d'une centaine d'anciens hauts responsables de la sécurité nationale des États-Unis ont envoyé une lettre au Congrès, non pas au président qui est le commandant en chef ou au Sommet pour la démocratie, mais au Congrès, pour exprimer leurs inquiétudes quant à l'état de la démocratie américaine.

Joe Biden a organisé le Sommet pour la démocratie pour réunir « les dirigeants de plus de 100 gouvernements aux côtés d'activistes, de syndicalistes et d'autres membres de la société civile, d'experts et de chercheurs de premier plan, et de représentants du monde des affaires », pour « serrer les rangs et réaffirmer notre engagement commun à rendre nos démocraties meilleures », comme il l'a dit. Il s'agissait notamment d'organisations et d'individus que les États-Unis financent et soutiennent déjà au niveau international, comme la Communauté des démocraties et des groupes tels que l'Initiative des jeunes leaders africains et l'Initiative des jeunes leaders d'Asie du Sud-Est. Ce que l'on a toujours appelé les organisations non gouvernementales sont désormais appelées organisations de la société civile (OSC). L' Union internationale des employés des services (SEIU), un important syndicat du secteur de la santé, et la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) étaient également présentes, entre autres organisations.

Lors du sommet, Joe Biden a présenté son « Initiative présidentielle pour le renouveau démocratique », qui consiste à créer diverses formes d'organisation servant à rassembler toutes ces forces, tant au niveau national qu'international. Il s'agit de formes organisationnelles qui servent essentiellement à contourner et à remplacer les autorités et les normes existantes, comme celles qui sont inscrites dans la Charte des Nations unies et l'ONU elle-même, tout en mettant le pouvoir de décision entre les mains de la présidence américaine. L'initiative elle-même est appelée « un accroissement significatif et ciblé des actions du gouvernement des États-Unis visant à défendre, soutenir et développer la résilience démocratique avec des partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux partageant les mêmes idées ». Elle est soutenue par un montant initial de 424,4 millions de dollars et le Département d'État et son Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) joueront un rôle essentiel.

Parmi les signataires de la lettre envoyée au Congrès figurent des membres des forces armées, des services de renseignement et du corps diplomatique qui ont servi des administrations démocrates et républicaines et/ou des administrations des deux partis. Bien que leur lettre se concentre sur les élections, ils sont bien plus préoccupés de s'assurer que les élites privilégiées restent au pouvoir et que le peuple en soit tenu à l'écart sur la base de transitions pacifiques du pouvoir. Ils cherchent à s'assurer que les transitions pacifiques ne sont pas menacées.

La lettre commence ainsi : « Nous vous écrivons pour vous faire part de notre inquiétude face aux efforts actuels pour déstabiliser et renverser nos élections... Nous pensons que ces efforts nuisent profondément à notre sécurité nationale. »

Deux des signataires les plus influents, James R. Clapper et Michael Hayden, tous deux d'anciens généraux de la Force aérienne des États-Unis, ont également publié une lettre d'opinion dans le Washington Post. James R. Clapper et Michael Hayden expriment le problème de légitimité des gouvernants et leur obsession de la défaite. Ils écrivent : « Sondage après sondage, on constate que la confiance dans nos élections et la croyance dans le concept de démocratie sont en déclin... et ces effets ne seront pas limités à nos frontières... Une société qui s'efforce de séparer la réalité de la fiction est l'environnement parfait pour que ces acteurs puissent éroder davantage la confiance électorale et propulsent la démocratie dans une spirale fatale. »

Ils poursuivent avec la crainte d'un déclin des États-Unis sur la scène mondiale : « L'estime autrefois élevée pour la démocratie américaine est en chute libre, et avec elle l'influence mondiale et l'autorité morale de l'Amérique. »

Étant donné que la majorité des Américains sont armés, et que beaucoup d'entre eux ont une formation militaire, les auteurs de la lettre craignent également que la guerre civile dont ils parlent ne se transforme en une guerre où c'est le peuple qui se soulève et lutte pour ses propres intérêts.

Ces forces reconnaissent le lien entre la guerre civile et la guerre impérialiste. L'une peut donner lieu à l'autre. Dans le passé, les États-Unis ont utilisé la tactique du déclenchement d'une guerre impérialiste pour unir les factions en conflit et empêcher la guerre civile. Mais les dernières guerres de ce type contre l'Irak et l'Afghanistan, ainsi que d'autres guerres comme celles contre la Libye, le Yémen et la Syrie, n'ont pas atteint cet objectif. Les conditions de déséquilibre engendrées par le repli de la révolution se sont aggravées. Ce déséquilibre s'est installé lorsque l'ancienne Union soviétique s'est effondrée et que la domination du monde par deux superpuissances a pris fin avec elle. La lutte des intérêts privés puissants qui ont usurpé les États de divers pays s'accompagne de leur incapacité à régler leurs conflits sur une base pacifique. L'anarchie et la violence ont été élevées au rang d'autorité, révélant la nécessité d'un renouveau politique démocratique, mais ce n'est pas à cette nécessité que Joe Biden et d'autres aux États-Unis s'adressent.

L'incapacité des institutions actuelles à régler les conflits est apparue encore plus clairement le 17 décembre 2021 lorsque trois généraux des Forces armées à la retraite ont pris publiquement position peu après le Sommet pour la démocratie de Joe Biden. Ils ont ouvertement parlé de la probabilité d'une guerre civile violente dans un article d'opinion du Washington Post dans lequel ils font référence à la tentative de coup d'État de Trump du 6 janvier 2021 et se disent « de plus en plus préoccupés par les conséquences de l'élection présidentielle de 2024 et par le risque d'un chaos fatal au sein de nos forces armées, qui ferait courir un risque grave à tous les Américains ».

« Nous sommes glacés jusqu'aux os à l'idée qu'un coup d'État réussisse la prochaine fois », écrivent les trois généraux des forces armées à la retraite. Ils décrivent un scénario d'élection contestée et de loyautés divisées au sein des forces armées, avec des unités rebelles armées et passant à l'action et des armes qui « pourraient ne pas être sécurisées selon qui les supervise. Dans un tel scénario, il n'est pas exagéré de dire qu'un effondrement militaire pourrait conduire à une guerre civile ».

« Le potentiel d'une rupture totale de la chaîne de commandement selon des lignes partisanes du sommet de la chaîne au niveau de la section est important si une autre insurrection devait se produire », écrivent les généraux à la retraite.

Pour résoudre ces problèmes, les généraux affirment que « le département de la Défense devrait faire des exercices de guerre pour se préparer à la prochaine insurrection potentielle post-électorale ou de coup d'État post-électoral afin d'identifier les points faibles. Il doit ensuite procéder à un débriefing de haut en bas de ses conclusions et commencer à mettre en place des garanties pour prévenir les ruptures non seulement dans les forces armées, mais aussi dans toute agence qui travaille main dans la main avec les forces armées. » Les généraux déclarent que « les forces armées ne peuvent attendre que les élus agissent ».

L'ironie de demander à une armée divisée de mener et de superviser des jeux de guerre pour éviter une guerre civile semble échapper à ces généraux de l'armée. L'appel à « militariser » la situation est un appel à se préparer à la guerre civile, ce qui inclut le ciblage et l'élimination de ce que les généraux appellent les « propagandistes » dans les rangs des forces armées. Malgré les faits concernant les loyautés divisées qui existent déjà, ils proposent également que le Pentagone renforce « l'unité de commandement » afin que « chaque membre du département de la Défense sache parfaitement à qui il doit répondre », et qu'il procède à une « révision des lois de la guerre et de la manière d'identifier et de traiter les ordres illégaux ».

C'est un appel dictatorial à la concentration des pouvoirs. Étant donné que les États-Unis mènent des guerres agressives illégales et s'appuient sur des ordres illégaux, y compris des frappes de drones illégales, ce que les généraux prévoient de mettre en oeuvre ici n'est pas clair, logique ou convaincant.

Bien que ces propositions soient irrationnelles dans le contexte des loyautés divisées qui existent dans le cadre des luttes féroces pour le pouvoir au sein des forces armées et entre les forces armées et le président, elles sont significatives dans la mesure où elles reflètent la menace très réelle de précipiter le peuple dans une guerre civile violente, et la possibilité très réelle d'une division des forces militaires et policières américaines, non seulement au niveau fédéral, mais entre les États et le gouvernement fédéral. Cela est évident dans la façon dont la Garde nationale est utilisée. La Garde nationale est placée sous l'autorité du gouverneur de chaque État. Elle fait toutefois partie des forces armées et peut être mise sous commandement fédéral par le président, auquel cas elle passe sous contrôle présidentiel. Les guerres en Irak et en Afghanistan, par exemple, n'auraient pas pu être menées sans le recours à la Garde nationale.

Les gouverneurs peuvent néanmoins refuser de se conformer à cette mise sous commandement fédéral et peuvent également mobiliser eux-mêmes la Garde nationale. Par exemple, la Garde nationale du Texas est utilisée par le gouverneur à la frontière contre les réfugiés et les immigrants qui entrent dans le pays. La Floride et le Dakota du Sud ont envoyé leur Garde au Texas pour prêter main forte. Des troupes fédérales sont également stationnées à la frontière. Et il y a aussi les forces armées de la Patrouille frontalière des États-Unis et du Service de l'immigration et des douanes des États-Unis (ICE). On peut se demander si Joe Biden n'a pas maintenu les forces armées sur place en partie pour faire face à la Garde nationale du Texas, ainsi que pour lancer potentiellement des attaques contre le Mexique. La frontière, comme les élections, est un autre déclencheur potentiel de guerre civile et de guerre impérialiste.

Autre exemple, Joe Biden a exigé que l'ensemble du personnel des forces armées soit vacciné contre la COVID. Les gouverneurs de l'Oklahoma, de l'Alaska, de l'Iowa, du Mississippi, du Nebraska et du Wyoming contestent cette décision, affirmant que la Garde nationale de chaque État est sous le commandement des gouverneurs et non du président jusqu'à ce qu'elle soit mise sous commandement fédéral. Le brigadier général Thomas Mancino, commandant de la Garde nationale de l'Oklahoma, a refusé l'ordre du président Biden de rendre la vaccination obligatoire, affirmant que son commandant est le gouverneur.

Cette défiance ouverte du rôle du président en tant que commandant en chef est une indication supplémentaire que les divisions entre les factions rivales atteignent un point de guerre civile ouverte et violente. Et tous considèrent les élections de 2024 comme une échéance probable, ce qui est maintenant promu par les universitaires et les médias monopolisés également.

Retraités ou non, les membres des Forces armées ne sont pas censés défier ouvertement le commandant en chef ni rendre publiques leurs préoccupations. Le fait que cela soit devenu la norme, comme lorsque différents hauts fonctionnaires se sont publiquement rangés derrière Clinton ou Trump en 2016, ou les 124 membres des Forces armées qui ont publiquement soutenu les affirmations de Trump selon lesquelles l'élection de 2020 n'était pas légitime, est une indication que la machine d'État américaine n'est plus une machine unique, mais qu'elle se fragmente et se divise et ne répond pas à une seule autorité.

Il est clair que les institutions démocratiques, avec leurs élections, ne sont plus en mesure de résoudre les conflits entre les forces rivales. De plus, étant donné que les intérêts privés qui se sont emparés des pouvoirs de l'État sont mondiaux, parler de représentation d'un « intérêt national » ne correspond plus à la réalité. Les forces rivales se livrent une lutte acharnée pour déclarer que leur faction représente l'« intérêt national » et que leurs rivaux commettent une trahison. En fait, plus ces divisions et le manque d'« unité de commandement » s'aggravent, plus il devient difficile de parler des États-Unis dans tous les sens du terme.

(Photos : VOR, T. Webster)


Cet article est paru dans

Volume 52 Numéro 1 - 9 janvier 2022

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