À titre d'information

Le concept «tous les hommes sont créés égaux» élimine la responsabilité

Le 4 juillet 1776 était signée la Déclaration d'indépendance des États-Unis avec sa formule désormais célèbre : « Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux; ils sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »

Cette phrase est bien connue en partie parce qu'elle est si souvent répétée par les présidents. Mais surtout, elle est connue parce que l'inégalité est si répandue aux États-Unis et dans les relations entre les États-Unis et les autres pays. Si l'on replace la phrase dans son contexte historique, à tout moment de l'histoire des États-Unis depuis leur constitution, la phrase sur l'égalité est surtout utilisée pour promouvoir l'exceptionnalisme américain. Aujourd'hui, cela prend le plus souvent la forme d'une distinction : les États-Unis comme étant exceptionnels et indispensables, à qui tous les pays doivent s'en remettre.

Lors de la conférence de presse qu'il a donnée après sa rencontre avec le président russe Vladimir Poutine le 16 juin, Joe Biden l'a formulée ainsi : « J'ai dit clairement au président Poutine que nous continuerons de soulever les questions des droits humains fondamentaux parce que c'est ce que nous sommes, c'est qui nous sommes. L'idée est la suivante : 'Nous considérons que ces vérités sont évidentes pour tous les hommes et toutes les femmes.' Nous ne l'avons pas complètement respectée, mais nous avons toujours élargi l'arc de notre engagement et inclus de plus en plus de personnes. »

Il a poursuivi : « Quelle est cette idée ? Nous ne tirons pas nos droits du gouvernement; nous les possédons parce que nous sommes nés – point. Et nous les cédons à un gouvernement. »

Cette déclaration est incohérente, car on ne peut pas posséder ou conserver un droit et en même temps le céder au gouvernement. Un droit humain vous appartient en tant qu'être humain et ne peut pas être donné, reçu, concédé ou retiré. Il vous appartient de droit et ce droit implique qu'il existe dans son affirmation, dans l'affirmation de la personne humaine qui réclame à la société ce qui lui appartient en tant qu'être humain et membre de cette société. Voilà ce qu'est un droit. C'est l'expression d'une réalité concrète.

La conception américaine de l'égalité, en revanche, est une idée, une aspiration. Selon l'interprétation qu'en donne Joe Biden, le problème de la Constitution n'est pas qu'elle prive le peuple, la majorité, de pouvoir, mais qu'elle doit être plus inclusive, amener plus de gens sous sa coupe et accepter le diktat du gouvernement.

Le président ajoute : « Les droits humains seront toujours sur la table, lui ai-je dit. Il ne s'agit pas seulement de s'en prendre à la Russie lorsqu'elle viole les droits humains; il s'agit de ce que nous sommes. Comment pourrais-je être le président des États-Unis d'Amérique et ne pas m'élever contre la violation des droits humains ? »

Rien ne pourrait être plus incohérent, absurde et désinformateur. Non seulement les États-Unis sont-ils les plus grands transgresseurs des droits humains, tant sur leur territoire qu'à l'étranger, mais, surtout, Biden et les États-Unis n'assument pas les conséquences de ces violations. Tout est rendu comme une variante de « nous ferons mieux à l'avenir », comme une promesse sans lendemain, un engagement qui n'a pas la moindre matérialité.

La Constitution américaine ne prévoit aucune obligation de rendre des comptes ni aucun mécanisme de responsabilité. Les Afro-Américains ont à plusieurs reprises porté l'accusation de génocide et le feront à nouveau cette année devant un tribunal international sur les violations des droits humains par les États-Unis. Les immigrants et les réfugiés parlent également de la brutalité et des atteintes aux droits humains aux États-Unis, y compris les nombreux décès à la frontière, conséquences des actions du gouvernement américain. En plus de la longue détention d'un grand nombre d'enfants, une violation des droits en vertu du droit américain et du droit international, un nouveau rapport documente par exemple « l'alimentation forcée, l'hydratation forcée et la coercition psychologique » des personnes détenues par l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) entre 2013 et 2020. Beaucoup étaient des femmes faisant la grève de la faim pour demander leur libération et des conditions humaines pour tous les détenus. Ce traitement violait clairement la santé et les droits humains des personnes détenues.

Il n'est pas rare d'entendre dire que lorsqu'il y a violation des droits, la Cour suprême rendra justice. C'est nier que la Cour suprême fait partie de l'exécutif et de ses pouvoirs de police constitués. Elle a récemment statué en faveur de l'esclavage des enfants dans le procès intenté contre Nestlé et Cargill, deux des plus grands fabricants de chocolat au monde. La poursuite les accusait d'avoir acheté en toute connaissance de cause des fèves de cacao provenant d'exploitations agricoles d'Afrique qui pratiquaient l'esclavage des enfants – ce que ces oligopoles ont sans doute eux-mêmes organisé et imposé. La poursuite affirme qu'ils ont « aidé et encouragé » l'esclavage, qui est un crime contre l'humanité. Le groupe de six adultes a cherché à intenter un recours collectif en leur nom et celui de milliers d'autres enfants. Les deux géants ont nié toute faute.

La Cour a jugé que la loi invoquée, connue sous le nom d'Alien Tort Statute (ATS), qui permet aux citoyens étrangers d'intenter des poursuites devant les tribunaux américains pour des violations des droits humains, exigeait un niveau de preuve bien plus élevé pour condamner des sociétés américaines opérant en dehors du pays. La Cour a déclaré que « la simple présence de l'entreprise » et « l'activité générale de l'entreprise » aux États-Unis ne sont pas suffisantes « pour soutenir une application nationale de l'ATS ». Cela signifie que les enfants esclaves doivent fournir la preuve que les dirigeants de l'entreprise ont activement comploté pour aider et encourager l'esclavage des enfants en dehors des États-Unis. Joe Biden n'a fait aucun commentaire et c'est pourtant son administration, comme celle de Trump avant lui, qui était engagée dans la poursuite judiciaire du côté de Nestlé et Cargill.

L'absence de mécanismes constitutionnels permettant de tenir le gouvernement responsable des crimes que le système américain perpétue et tolère est l'une des principales préoccupations de l'ensemble du peuple américain en ce 4 juillet. Il n'existe aucun mécanisme permettant de demander des comptes aux autorités, que ce soit pour les flics tueurs ou les drones tueurs ou les actes d'incarcération de masse ou de discrimination, les actes de génocide et autres crimes contre l'humanité. De nombreux traités des États-Unis imposent même des conditions d'impunité pour leurs soldats qui commettent non seulement des crimes militaires, mais aussi des actes comme le viol et le meurtre de civils dans les pays que les États-Unis occupent ou dans lesquels ils ont des bases. De même, au nom de grands idéaux, les élus et les forces de l'ordre bénéficient de l'impunité à tous les niveaux.

Les États-Unis rejettent la juridiction de la Cour pénale internationale, créée comme une arène pour traiter les crimes des pays que les impérialistes américains et leurs alliés veulent voir jugés, tant que cela ne les inclut pas eux-mêmes. Il y a eu un tollé récemment au Congrès américain lorsque la représentante de la Chambre des représentants Ilhan Omar le 7 juin, faisant référence aux crimes commis par les États-Unis en Palestine et en Afghanistan, a interrogé le secrétaire d'État Anthony Blinken sur la responsabilité des États-Unis, lors d'une réunion de la commission des affaires étrangères. Elle a déclaré : « Je sais que vous vous opposez à l'enquête de la Cour [pénale internationale] (CPI) en Palestine et en Afghanistan. Dans ces deux cas, je n'ai vu aucune preuve que les tribunaux nationaux peuvent et veulent poursuivre les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité présumés. [...] Dans ces deux cas, si les tribunaux nationaux ne peuvent pas ou ne veulent pas poursuivre la justice, et si nous nous opposons à la CPI, où pensez-vous que les victimes sont censées aller pour obtenir justice ? Et quels mécanismes de justice soutenez-vous pour elles ? » Le secrétaire Blinken a répondu que les États-Unis et Israël « ont déjà les moyens ». « Je crois que nous avons, que ce soit les États-Unis ou Israël, nous avons tous deux les mécanismes pour nous assurer qu'il y a une responsabilité dans toutes les situations où il y a des préoccupations concernant l'utilisation de la force et les droits humains, etc. Je crois que nos deux démocraties ont cette capacité. Et nous l'avons démontré. »

Aux États-Unis, la conscience que les paroles ne valent pas grand-chose est très répandue. Pendant que Blinken s'exprimait ainsi, des bombardements massifs et des crimes de génocide étaient perpétrés contre les Palestiniens, tandis qu'aux États-Unis la police continue de tuer des gens sur une base raciste et que persiste l'absence d'inculpation ou de responsabilité. On a immédiatement tenté de censurer Ilham Omar et de l'expulser du Comité, simplement pour avoir posé la question. De toute évidence, le secrétaire d'État veut dire que les États-Unis ont démontré qu'ils utiliseront la force en toute impunité et défendront Israël qui fait de même, et que leur ordre fondé sur des règles décide qui est ou n'est pas humain et digne de protection.

En ce 4 juillet, alors que les crimes commis par les États-Unis augmentent chaque jour, personne ne célèbre les anciennes conceptions de l'égalité comme des aspirations sans matérialité, comme des dissimulations de l'objectif de la Constitution. Cet objectif est d'assurer la division de la société entre ceux qui gouvernent et prennent toutes les décisions à leur avantage et ceux qui sont privés de pouvoir et dont le seul devoir est d'obéir aux verdicts rendus d'en haut, sur lesquels ils n'exercent aucun contrôle. Avec ses structures d'inégalité et son manque de responsabilité, le moment est venu d'introduire de nouvelles définitions de la démocratie fondées sur la responsabilité, notamment une constitution moderne qui codifie ce pour quoi le peuple des États-Unis se bat aujourd'hui.

Une caractéristique fondamentale d'une constitution moderne serait l'existence d'un moyen de tenir les gouvernements responsables de tout crime, y compris les guerres d'agression et les crimes de guerre, les génocides et les lynchages par la police dont nous sommes témoins aujourd'hui. Une constitution moderne prévoirait également des moyens pour le peuple de délibérer sur les questions de guerre et de paix, sur la direction économique du pays et sur une approche globale des questions liées à la sécurité.

Une démocratie moderne adaptée au peuple doit consacrer le peuple lui-même comme la source suprême du pouvoir. Celui-ci doit être en mesure de destituer le gouvernement qu'ils considèrent comme responsable de guerres et de violence extrême, que ce soit dans son pays ou à l'étranger. Une partie de la bataille de la démocratie, qui est la bataille pour la suprématie politique, pour savoir qui a le pouvoir de décider, concerne la guerre et la paix et la définition des crimes et des sanctions. Au coeur de la bataille de la démocratie aujourd'hui, il y a la bataille pour la suprématie politique, pour garantir le pouvoir politique au peuple. La délibération et la discussion politiques sont une partie essentielle de la lutte pour rendre le peuple indispensable et non jetable.

(Avec des textes du Centre d'études idéologiques)


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 18 - 4 juillet 2021

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