Cette phrase est bien connue en partie parce
qu'elle est si souvent répétée par les
présidents. Mais surtout, elle est connue parce
que l'inégalité est si répandue aux États-Unis
et dans les relations entre les États-Unis et
les autres pays. Si l'on replace la phrase dans
son contexte historique, à tout moment de
l'histoire des États-Unis depuis leur
constitution, la phrase sur l'égalité est
surtout utilisée pour promouvoir
l'exceptionnalisme américain. Aujourd'hui, cela
prend le plus souvent la forme d'une distinction
: les États-Unis comme étant exceptionnels et
indispensables, à qui tous les pays doivent s'en
remettre.
Lors de la conférence de presse qu'il a donnée
après sa rencontre avec le président russe
Vladimir Poutine le 16 juin, Joe Biden l'a
formulée ainsi : « J'ai dit clairement au
président Poutine que nous continuerons de
soulever les questions des droits humains
fondamentaux parce que c'est ce que nous sommes,
c'est qui nous sommes. L'idée est la suivante :
'Nous considérons que ces vérités sont évidentes
pour tous les hommes et toutes les femmes.' Nous
ne l'avons pas complètement respectée, mais nous
avons toujours élargi l'arc de notre engagement
et inclus de plus en plus de personnes. »
Il a poursuivi : «
Quelle est cette idée ? Nous ne tirons pas nos
droits du gouvernement; nous les possédons parce
que nous sommes nés – point. Et nous les
cédons à un gouvernement. »
Cette déclaration est incohérente, car on ne
peut pas posséder ou conserver un droit et en
même temps le céder au gouvernement. Un droit
humain vous appartient en tant qu'être humain et
ne peut pas être donné, reçu, concédé ou retiré.
Il vous appartient de droit et ce droit implique
qu'il existe dans son affirmation, dans
l'affirmation de la personne humaine qui réclame
à la société ce qui lui appartient en tant
qu'être humain et membre de cette société. Voilà
ce qu'est un droit. C'est l'expression d'une
réalité concrète.
La conception américaine de l'égalité, en
revanche, est une idée, une aspiration. Selon
l'interprétation qu'en donne Joe Biden, le
problème de la Constitution n'est pas qu'elle
prive le peuple, la majorité, de pouvoir, mais
qu'elle doit être plus inclusive, amener plus de
gens sous sa coupe et accepter le diktat du
gouvernement.
Le président ajoute : « Les droits humains
seront toujours sur la table, lui ai-je dit. Il
ne s'agit pas seulement de s'en prendre à la
Russie lorsqu'elle viole les droits humains; il
s'agit de ce que nous sommes. Comment
pourrais-je être le président des États-Unis
d'Amérique et ne pas m'élever contre la
violation des droits humains ? »
Rien ne pourrait être plus incohérent, absurde
et désinformateur. Non seulement les États-Unis
sont-ils les plus grands transgresseurs des
droits humains, tant sur leur territoire qu'à
l'étranger, mais, surtout, Biden et les
États-Unis n'assument pas les conséquences de
ces violations. Tout est rendu comme une
variante de « nous ferons mieux à l'avenir »,
comme une promesse sans lendemain, un engagement
qui n'a pas la moindre matérialité.
La Constitution américaine ne prévoit aucune
obligation de rendre des comptes ni aucun
mécanisme de responsabilité. Les Afro-Américains
ont à plusieurs reprises porté l'accusation de
génocide et le feront à nouveau cette année
devant un tribunal international sur les
violations des droits humains par les
États-Unis. Les immigrants et les réfugiés
parlent également de la brutalité et des
atteintes aux droits humains aux États-Unis, y
compris les nombreux décès à la frontière,
conséquences des actions du gouvernement
américain. En plus de la longue détention d'un
grand nombre d'enfants, une violation des droits
en vertu du droit américain et du droit
international, un nouveau rapport documente par
exemple « l'alimentation forcée, l'hydratation
forcée et la coercition psychologique » des
personnes détenues par l'Immigration and Customs
Enforcement (ICE) entre 2013 et 2020. Beaucoup
étaient des femmes faisant la grève de la faim
pour demander leur libération et des conditions
humaines pour tous les détenus. Ce traitement
violait clairement la santé et les droits
humains des personnes détenues.
Il n'est pas rare d'entendre dire que lorsqu'il
y a violation des droits, la Cour suprême rendra
justice. C'est nier que la Cour suprême fait
partie de l'exécutif et de ses pouvoirs de
police constitués. Elle a récemment statué en
faveur de l'esclavage des enfants dans le procès
intenté contre Nestlé et Cargill, deux des plus
grands fabricants de chocolat au monde. La
poursuite les accusait d'avoir acheté en toute
connaissance de cause des fèves de cacao
provenant d'exploitations agricoles d'Afrique
qui pratiquaient l'esclavage des enfants –
ce que ces oligopoles ont sans doute eux-mêmes
organisé et imposé. La poursuite affirme qu'ils
ont « aidé et encouragé » l'esclavage, qui est
un crime contre l'humanité. Le groupe de six
adultes a cherché à intenter un recours
collectif en leur nom et celui de milliers
d'autres enfants. Les deux géants ont nié toute
faute.
La Cour a jugé que la loi invoquée, connue sous
le nom d'Alien Tort Statute (ATS), qui permet
aux citoyens étrangers d'intenter des poursuites
devant les tribunaux américains pour des
violations des droits humains, exigeait un
niveau de preuve bien plus élevé pour condamner
des sociétés américaines opérant en dehors du
pays. La Cour a déclaré que « la simple présence
de l'entreprise » et « l'activité générale de
l'entreprise » aux États-Unis ne sont pas
suffisantes « pour soutenir une application
nationale de l'ATS ». Cela signifie que les
enfants esclaves doivent fournir la preuve que
les dirigeants de l'entreprise ont activement
comploté pour aider et encourager l'esclavage
des enfants en dehors des États-Unis. Joe Biden
n'a fait aucun commentaire et c'est pourtant son
administration, comme celle de Trump avant lui,
qui était engagée dans la poursuite judiciaire
du côté de Nestlé et Cargill.
L'absence de mécanismes constitutionnels
permettant de tenir le gouvernement responsable
des crimes que le système américain perpétue et
tolère est l'une des principales préoccupations
de l'ensemble du peuple américain en ce 4
juillet. Il n'existe aucun mécanisme permettant
de demander des comptes aux autorités, que ce
soit pour les flics tueurs ou les drones tueurs
ou les actes d'incarcération de masse ou de
discrimination, les actes de génocide et autres
crimes contre l'humanité. De nombreux traités
des États-Unis imposent même des conditions
d'impunité pour leurs soldats qui commettent non
seulement des crimes militaires, mais aussi des
actes comme le viol et le meurtre de civils dans
les pays que les États-Unis occupent ou dans
lesquels ils ont des bases. De même, au nom de
grands idéaux, les élus et les forces de l'ordre
bénéficient de l'impunité à tous les niveaux.
Les États-Unis rejettent la juridiction de la
Cour pénale internationale, créée comme une
arène pour traiter les crimes des pays que les
impérialistes américains et leurs alliés veulent
voir jugés, tant que cela ne les inclut pas
eux-mêmes. Il y a eu un tollé récemment au
Congrès américain lorsque la représentante de la
Chambre des représentants Ilhan Omar le 7 juin,
faisant référence aux crimes commis par les
États-Unis en Palestine et en Afghanistan, a
interrogé le secrétaire d'État Anthony Blinken
sur la responsabilité des États-Unis, lors d'une
réunion de la commission des affaires
étrangères. Elle a déclaré : « Je sais que vous
vous opposez à l'enquête de la Cour [pénale
internationale] (CPI) en Palestine et en
Afghanistan. Dans ces deux cas, je n'ai vu
aucune preuve que les tribunaux nationaux
peuvent et veulent poursuivre les crimes de
guerre et les crimes contre l'humanité présumés.
[...] Dans ces deux cas, si les tribunaux
nationaux ne peuvent pas ou ne veulent pas
poursuivre la justice, et si nous nous opposons
à la CPI, où pensez-vous que les victimes sont
censées aller pour obtenir justice ? Et quels
mécanismes de justice soutenez-vous pour elles ?
» Le secrétaire Blinken a répondu que les
États-Unis et Israël « ont déjà les moyens ». «
Je crois que nous avons, que ce soit les
États-Unis ou Israël, nous avons tous deux les
mécanismes pour nous assurer qu'il y a une
responsabilité dans toutes les situations où il
y a des préoccupations concernant l'utilisation
de la force et les droits humains, etc. Je crois
que nos deux démocraties ont cette capacité. Et
nous l'avons démontré. »
Aux États-Unis, la conscience que les paroles
ne valent pas grand-chose est très répandue.
Pendant que Blinken s'exprimait ainsi, des
bombardements massifs et des crimes de génocide
étaient perpétrés contre les Palestiniens,
tandis qu'aux États-Unis la police continue de
tuer des gens sur une base raciste et que
persiste l'absence d'inculpation ou de
responsabilité. On a immédiatement tenté de
censurer Ilham Omar et de l'expulser du Comité,
simplement pour avoir posé la question. De toute
évidence, le secrétaire d'État veut dire que les
États-Unis ont démontré qu'ils utiliseront la
force en toute impunité et défendront Israël qui
fait de même, et que leur ordre fondé sur des
règles décide qui est ou n'est pas humain et
digne de protection.
En ce 4 juillet, alors que les crimes commis
par les États-Unis augmentent chaque jour,
personne ne célèbre les anciennes conceptions de
l'égalité comme des aspirations sans
matérialité, comme des dissimulations de
l'objectif de la Constitution. Cet objectif est
d'assurer la division de la société entre ceux
qui gouvernent et prennent toutes les décisions
à leur avantage et ceux qui sont privés de
pouvoir et dont le seul devoir est d'obéir aux
verdicts rendus d'en haut, sur lesquels ils
n'exercent aucun contrôle. Avec ses structures
d'inégalité et son manque de responsabilité, le
moment est venu d'introduire de nouvelles
définitions de la démocratie fondées sur la
responsabilité, notamment une constitution
moderne qui codifie ce pour quoi le peuple des
États-Unis se bat aujourd'hui.
Une caractéristique fondamentale d'une
constitution moderne serait l'existence d'un
moyen de tenir les gouvernements responsables de
tout crime, y compris les guerres d'agression et
les crimes de guerre, les génocides et les
lynchages par la police dont nous sommes témoins
aujourd'hui. Une constitution moderne prévoirait
également des moyens pour le peuple de délibérer
sur les questions de guerre et de paix, sur la
direction économique du pays et sur une approche
globale des questions liées à la sécurité.
Une démocratie moderne adaptée au peuple doit
consacrer le peuple lui-même comme la source
suprême du pouvoir. Celui-ci doit être en mesure
de destituer le gouvernement qu'ils considèrent
comme responsable de guerres et de violence
extrême, que ce soit dans son pays ou à
l'étranger. Une partie de la bataille de la
démocratie, qui est la bataille pour la
suprématie politique, pour savoir qui a le
pouvoir de décider, concerne la guerre et la
paix et la définition des crimes et des
sanctions. Au coeur de la bataille de la
démocratie aujourd'hui, il y a la bataille pour
la suprématie politique, pour garantir le
pouvoir politique au peuple. La délibération et
la discussion politiques sont une partie
essentielle de la lutte pour rendre le peuple
indispensable et non jetable.
(Avec des textes du Centre
d'études idéologiques)
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 18 - 4 juillet 2021
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