La conception des droits dans les constitutions canadiennes

La conception des droits inscrite dans l'actuelle Constitution du Canada remonte à l'époque de la conquête britannique et des rébellions contre celle-ci. Il s'agit d'une conception qui consacre et protège les droits de la Couronne avec des institutions, des valeurs, des objectifs et des pratiques établis à cette fin. Avant cela, la royauté de France avait également imposé des lois et des pratiques pour défendre la propriété privée qui ont également contribué à façonner l'avenir du pays.

Pour comprendre la conception des droits enchâssée dans la Constitution, il est nécessaire d'examiner la situation qui prévalait à chaque époque, la manière dont les élites dirigeantes ont agi dans ces conditions, dans l'intérêt de qui elles sont intervenues et les résultats de cette intervention.

Par exemple, entre 1663 et 1673, sous la tutelle du roi Louis XIV de France, environ 800 jeunes femmes ont été envoyées dans ce qui s'appelait alors la Nouvelle-France « pour s'y marier, y fonder un foyer et établir une famille pour coloniser le territoire ». Ce qui n'est souvent pas dit, c'est que tous les hommes d'origine européenne qui se sont unis à des femmes autochtones et qui ont rejeté cet édit ont été privés de leurs biens. Refusant de se soumettre à des lois injustes, les commerçants de fourrures français et écossais se sont déplacés vers l'ouest et ont uni leurs vies à celles des Cris et des Anishinabe (Ojibway). Leurs descendants ont formé une culture distincte, une conscience collective et une nation dans le Nord-Ouest. Ils ont établi des communautés métisses distinctes le long des routes de la traite des fourrures, qui ont également été brutalement attaquées par l'État colonial pour les priver de leurs terres et de leur mode de vie.

Dès le début, l'État colonial a utilisé le racisme pour diviser les peuples en déclarant que le mode de vie autochtone était inspiré par le diable et que les peuples autochtones étaient les ennemis des aspirations des colons à établir des maisons, des fermes et des communautés. La politique britannique de diviser pour régner est à la base de la conception des droits qui consacre la propriété privée et place tout le pouvoir de décision et le monopole de l'usage de la force entre les mains d'une élite qui a usurpé le pouvoir dans le but de s'enrichir aux dépens de tous les autres. Tant que les colons servaient ces intérêts, tout se passait bien, mais aussitôt que les peuples se sont unis contre l'injustice, tous ont été traités avec la même brutalité.

La conception républicaine des droits mise de l'avant par les patriotes du Québec et les réformateurs du Haut-Canada au milieu du XIXe siècle en est un autre exemple. Les Britanniques se sont opposés à cette conception qui préconisait d'investir le peuple de la souveraineté, sans distinction d'origine nationale. Les Britanniques ont brutalement réprimé les rébellions et rejeté toute conception des droits qui investissait le peuple du pouvoir de décision.

En même temps, pour comprendre la conception des droits imposée par les Britanniques dans les constitutions de 1840, 1867 et 1982, il faut voir ce que les conditions révèlent aujourd'hui. Par exemple, les conditions actuelles montrent que l'incorporation de la Proclamation royale de 1763 dans la Constitution de 1867 a fait des peuples autochtones des pupilles de la Couronne et a fait de toutes leurs terres des terres désignées de la Couronne.

Nous examinons le passé pour enrichir notre capacité à résoudre les problèmes d'aujourd'hui et ouvrir la voie au progrès de la société aujourd'hui.

De ce point de vue, le PCC(M-L) aborde l'étude de l'histoire et de la théorie politique d'une manière qui traite des relations dans lesquelles les gens entrent et du type de société qui en découle. Cela comprend un appel militant à s'opposer aux tentatives de diviser le peuple dans le but de maintenir le statu quo, une pratique introduite par les colonialistes britanniques et soutenue par l'État colonial anglo-canadien établi sur la base du génocide des peuples autochtones, dont les terres ont été expropriées et dont tout a été fait pour éteindre le mode de vie.

Malgré le jugement de la Cour suprême du Canada selon lequel « la doctrine de la découverte » du colonisateur connue sous le nom de terra nullius (doctrine selon laquelle nul ne possédait la terre avant l'affirmation de la souveraineté européenne) ne s'est jamais appliquée au Canada, « comme l'a confirmé la Proclamation royale de 1763 », il n'en demeure pas moins que ce qu'on appelle l'État colonisateur – pour le distinguer d'un État colonial qui n'importait pas des personnes pour coloniser la terre, mais utilisait la population locale pour servir la puissance coloniale – ne considérait pas les peuples autochtones comme des êtres humains. Il en a fait des pupilles de l'État sans nom et a mis en place un plan de génocide culturel pour éteindre leur mode de vie. Cela a conduit à ce qu'on ne peut qualifier autre que de crimes contre l'humanité et d'actes de génocide, lesquels se poursuivent encore aujourd'hui. Le traitement réservé aux peuples autochtones est à l'origine de la notion de droits contenue dans la Constitution du Canada. Pour comprendre la Constitution, il faut reconnaître la vérité des relations entre l'État raciste anglo-canadien et les peuples autochtones.

La même chose vaut pour la répression de la nation métisse qui s'efforçait d'affirmer son identité de nation au Manitoba, que l'élite dirigeante a utilisée pour créer la Police montée du Nord-Ouest, puis la Gendarmerie royale du Canada. La conception des droits en tant que privilèges accordés et retirés par « la Couronne » à sa seule discrétion est un vestige moyenâgeux incorporé dans la Constitution qui souligne la division du corps politique entre ceux qui gouvernent et prennent toutes les décisions, sur la base du seul intérêt de la personne d'État, et ceux qui sont gouvernés et sont gardés à l'écart, dans une position de soumission.

Une partie intégrante de cette histoire concerne les relations entre les trappeurs, les voyageurs, les commerçants de fourrures, les colons et les peuples autochtones, ainsi que les relations entre ces derniers et les institutions coloniales établies, y compris l'Église catholique du Québec dont le rôle principal était de maintenir les habitants soumis, et les relations entre les peuples autochtones et les patriotes du Haut-Canada et du Bas-Canada, ainsi que l'aide qu'ils ont reçue des révolutionnaires américains de l'époque et des forces des Lumières d'Europe et des Amériques.

La lutte des patriotes du début du XIXe siècle épousait les idéaux les plus avancés de l'époque, tout comme Louis Riel lors de la fondation de la nation métisse au Manitoba. Par exemple, au Québec les patriotes ont fondé leur projet d'édification nationale sur la cause anticoloniale et l'abolition du système féodal seigneurial, sur l'accès aux droits de citoyenneté, de façon égale et sans distinction fondée sur les origines ou les croyances, le sexe ou toute autre considération, y compris pour les peuples autochtones. L'État anglo-canadien a continué de traiter les peuples autochtones comme des non-personnes jusque dans les années 1960 et continue encore aujourd'hui de traiter les personnes d'origine autochtone comme des membres du corps politique de seconde classe. Il traite de la même manière tous les migrants et les travailleurs de toutes origines dans les conditions d'un soi-disant marché mondial du travail qui considère les êtres humains comme jetables.

La Déclaration d'indépendance des patriotes du Québec, publiée en 1838, exigeait une constitution qui enchâsse ces idéaux en tant que loi du pays sous forme de république. Cette cause s'apparentait aux grandes guerres d'indépendance en Amérique latine et dans les Caraïbes de l'époque ainsi qu'aux mouvements nationaux en Italie et dans d'autres pays. Les développements connexes de cette époque ont conduit à la formation de l'Association internationale des travailleurs par Marx et Engels en 1864 et, en 1871, à la Commune de Paris.

Les patriotes ont lutté pour des institutions répondant aux besoins de l'époque, en particulier pour exiger que le pouvoir de décision soit confié aux citoyens de la nouvelle république et non à la Couronne britannique. Pour cela, leur rébellion a été écrasée par la force des armes, la suspension des libertés civiles, les arrestations massives, l'incendie des maisons, la pendaison de douze Patriotes et l'exil forcé de 64 autres.

Il ne faut pas oublier que c'était aussi l'époque où la direction des États-Unis était fixée sur la base de l'idéologie de la « Destinée manifeste » selon laquelle les « Européens américains » – c'est-à-dire les Blancs – étaient « divinement élus pour coloniser l'ensemble du continent nord-américain ». L'État esclavagiste aux mains des propriétaires terriens blancs a poussé les colons toujours plus loin vers l'ouest, vers le Pacifique, enfermant finalement les peuples autochtones dans des réserves; il s'est engagé dans des campagnes criminelles pour anéantir les peuples autochtones et depuis a cherché à les priver de leurs terres ancestrales, de leurs ressources et de leurs droits ancestraux ainsi que des droits qui leur appartiennent du fait de leur humanité. Tout cela s'est étendu à l'« Amérique du Nord britannique ». La Police montée du Nord-Ouest a été créée en 1873 afin d'affirmer l'autorité de la Couronne sur les Territoires du Nord-Ouest (aujourd'hui l'Alberta et la Saskatchewan). Sa juridiction s'est étendue pour inclure le Yukon en 1895, la côte arctique en 1903 et le nord du Manitoba en 1912. En 1904, le roi Édouard VII a ajouté le mot « royal » à la Police montée, qui est devenue la Gendarmerie royale du Canada.

La conception des droits contenue dans la Constitution du Canada ne protège personne contre les atteintes incessantes aux droits ancestraux et aux droits humains des peuples autochtones et contre l'offensive antisociale mondiale qui traite les gens de toutes origines et de toutes professions comme « jetables » et ceux qui résistent comme des criminels. C'est parce qu'il n'y a aucun moyen de régler les intérêts conflictuels de manière pacifique et qui favorise l'édification nationale. Les sociétés sont constamment attaquées aujourd'hui. Le dicton s'applique : « Quand l'injustice devient loi, la résistance devient devoir. » Ce n'est pas une question de lois et de règles. C'est une question de cause juste et de responsabilité sociale d'intervenir pour la justice, pour les droits. L'action humaine intervient pour affirmer des droits. Il s'agit d'être pro-actif et cette action ne consiste pas principalement à réagir aux lois et aux règles imposées par un État qui, jusqu'à ce jour, se fonde sur la définition anachronique des droits inscrits dans la Constitution, notamment la Charte des droits et libertés incluse en 1982.

On ne saurait trop insister sur la nécessité pour les mouvements politiques du peuple de s'atteler à l'élaboration d'une constitution moderne. Seuls les travailleurs ont intérêt à consacrer les droits qui appartiennent à tous du fait de leur humanité. Il est urgent d'établir une cohésion au sein du corps politique autour de la politique indépendante de la classe ouvrière, afin d'ouvrir une voie vers le progrès et écarter les menaces qui viennent du recours à la force pour imposer la volonté de la Couronne au nom de grands idéaux.


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 17 - 1er juillet 2021

Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/Lml2021/Articles/LS51174.HTM


    

Site Web:  www.pccml.ca   Courriel:  redaction@cpcml.ca