La conception d'un ordre international fondé sur des règles et le rôle de la mesure, des normes et de l'action humaine pour progresser d'ouverture en ouverture

Aujourd'hui, il est devenu courant d'entendre l'élite dirigeante des démocraties néolibérales parler d'un ordre international fondé sur des règles. Cette idée a été répétée depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, y compris pendant la Guerre froide. On dit que les relations entre les nations suivent des règles, ou simplement qu'il y a des règles à suivre. L'ordre fondé sur des règles auquel il est fait référence est distinct de ce qui constitue le droit international et de ce que signifie faire respecter le droit international. En fait, cet ordre vise à éliminer la conception du droit international et les normes publiques, les crimes et les responsabilités que le droit international établit.

Les règles ne sont pas au niveau du droit. En utilisant des pouvoirs discrétionnaires, les règles sont quelque chose dont l'application peut être contrôlée par ceux qui en décident. La fraude de ce que l'on appelle un ordre international fondé sur des règles est qu'il y a ceux qui contrôlent les règles et décident, à leur entière discrétion, ce qu'il faut faire pour suivre les règles et les punitions en cas de non-respect des règles. La Palestine est un exemple où les États-Unis et Israël décident des règles, comme la règle sur la légitime défense, ce qu'est l'infraction et quelle doit être la punition. Leurs déclarations et leurs décisions sont vues comme étant complètement irrationnelles, intéressées et réactionnaires, car il y a une absence totale de normes conformes au droit international. Si les normes sur la base desquelles les décisions et les déclarations peuvent être jugées ne sont pas rationnelles, les décisions et les déclarations révèlent à quel point elles sont incohérentes et inacceptables pour les peuples qu'elles visent.

Une des caractéristiques de l'administration du président des États-Unis Joe Biden est de promouvoir ce prétendu ordre international fondé sur des règles. Joe Biden et le secrétaire d'État Antony Blinken ne manquent aucune occasion de dire qu'il existe un tel ordre. Cela fait partie du désir insensé de cette administration de priver le peuple de son mot à dire sur tout sujet de préoccupation afin qu'il puisse exercer un contrôle sur sa vie. En utilisant des arguments qui prétendent que la démocratie libérale, et en particulier la démocratie de type américain, est la forme de gouvernement la meilleure et la plus élevée que l'humanité puisse atteindre, la désinformation au sujet d'un ordre international fondé sur des règles fait partie d'une attaque contre toute historiographie intelligible qui aiderait le peuple à ouvrir une voie vers l'avenir. Les arguments sont à la fois incohérents et destinés à désorienter et à diviser les peuples qui s'efforcent de s'émanciper politiquement.

De même, au Canada et dans d'autres pays, ces arguments sont utilisés pour diffamer les gens, criminaliser la conscience et la parole et infliger des punitions de manière purement arbitraire, dans le but d'isoler les mouvements populaires qui affirment les droits.

Lors du Débat général sur le multilatéralisme au Conseil de sécurité de l'ONU du 7 mai 2021, l'incohérence de l'argument présenté par Antony Blinken était évidente. L'idée que la force fait le droit appartient au passé, a-t-il déclaré. « Lorsque les pays se sont réunis après la Deuxième Guerre mondiale pour former les Nations unies, a-t-il déclaré, pratiquement toute l'histoire de l'humanité jusqu'à ce jour-là indiquait que la force faisait loi. La concurrence mène inexorablement à la collision. La montée d'une nation ou d'un groupe de nations nécessitait la chute d'autres. » Et il ajoute au sujet de la création des Nations unies : « Puis nos pays se sont unis pour choisir une voie différente. »

Notez comment la perspective de temps qui est donné, l'impression d'avancer dans le temps véhiculé par sa séquence de « dans le passé » et de « alors », mais cet avancement dans le temps est séparé du réel, de l'« avant et après ». L'« avant », c'est « la force fait le droit ». Mais maintenant, dit-il, lorsque c'est la loi du plus fort qui est appliquée, cela cause des problèmes. « Au cours des années qui ont suivi, nous avons fait face à des défis considérables : les divisions de la Guerre froide, les vestiges du colonialisme et les moments où le monde est resté muet devant des atrocités de masse. Et aujourd'hui, les conflits, les injustices et les souffrances à travers le globe mettent en évidence le nombre de nos aspirations qui restent à réaliser. »

Ce qu'il veut dire, c'est que pour les États-Unis, il existe un avenir qui n'est pas basé sur la loi du plus fort. La loi du plus fort, c'est « dans le passé ». Aujourd'hui, dit-il, nous avons un engagement : nous avons commis ces crimes dans le passé, mais maintenant nous sommes engagés à changer. Les gens regardent alors la politique américaine sur la Palestine et se demandent comment cet engagement s'applique à la Palestine où le soutien américain à l'utilisation de la force par les Israéliens cause une dévastation et une souffrance indicibles. Le sentiment est très fort dans conscience populaire que cela est inacceptable. Mais ce qui n'est pas nécessairement compris, c'est qu'il y a des règles en vigueur sur lesquelles les peuples n'exercent aucun contrôle. Il s'agit justement de l'ordre international fondé sur des règles, prôné par les impérialistes américains et les pays comme le Canada qu'ils ont subordonnés à leur quête de domination mondiale par tous les moyens qu'ils jugent appropriés.

Voyez comment Joe Biden présente les règles concernant la Palestine. Tout d'abord, il dit qu'Israël a le droit de se défendre. En d'autres termes, l'agression et les bombardements d'Israël ne sont pas considérés comme des actes criminels. Ensuite, devant la résistance acharnée des Palestiniens et leur grève générale, Joe Biden déclare qu'avant qu'il y ait un cessez-le-feu, il faut une « désescalade ». Comment peut-on dire que d'abord il n'y a rien à reprocher à personne - tout va bien, Israël a le droit de se défendre, ce qu'il fait est correct, puis le lendemain dire qu'il y a escalade et avant d'arrêter ce que nous faisons, il faut une désescalade ? Cela manque de cohérence. Les peuples du monde posent la question très légitime : pourquoi ne pas simplement arrêter ? Lorsqu'une personne en position d'autorité, comme Biden ou Blinken, fait des déclarations aussi incohérentes qui ne respectent aucune norme, comment les gens peuvent-ils juger l'une ou l'autre de ces déclarations ? Leur « ordre international fondé sur des règles » ne peut être considéré que comme irrationnel.

Une règle est censée être quelque chose que tout le monde peut prendre en compte. Elle établit une norme avec laquelle chacun peut mesurer ce qui se passe. Chacun peut voir si ce qui se passe est à la hauteur de cette norme. Prendre la mesure de quelque chose implique reconnaître publiquement une norme qui est indépendante de soi et d'adhérer à cette norme. Suivre des règles ne consiste pas à inventer des choses au fur et à mesure ou à interpréter les choses de manière incohérente ou intéressée. Il s'agit de la reconnaissance d'une mesure et d'une norme établies d'une manière qui s'accorde avec une réalité extérieure à soi. Le génocide et l'agression, par exemple, peuvent être mesurés en fonction des normes publiques qui ont été établies sur la base d'une procédure régulière. On peut dire la même chose pour les règles dans le sport, par exemple, qui doivent être suivies indépendamment de l'interprétation ou des sentiments individuels de tel ou tel joueur. Même le pouvoir discrétionnaire accordé à un arbitre obéit à une norme permettant de mesurer si les règles sont respectées ou non. Il en va de même pour le code de la route ou de tout autre domaine. Il y a reconnaissance d'une mesure et d'une norme à suivre.

Suivre des règles implique une relation de cause à effet. Cependant, lorsqu'on parle d'un « ordre international fondé sur des règles », cette relation de cause à effet est utilisée par les gouvernants pour semer la confusion. C'est le principal problème auquel les peuples sont confrontés face à cette conception d'un « ordre international fondé sur des règles » qui est en fait l'utilisation de la fraude dans la désinformation perpétrée par l'État pour priver les gens d'une conception du monde. En termes pratiques, cela entraîne une désorientation dans le rapport de cause et d'effet.

La nécessité de suivre des règles se fonde sur la reconnaissance de l'existence d'un problème à résoudre. Mais s'il n'y a pas de fidélité à un principe, comme le droit d'être de la Palestine, alors l'exigence de suivre les règles en prétendant qu'elles vont régler le problème ne sert qu'à désorienter. C'est l'une des façons de falsifier l'histoire.

Le fait est que la création d'Israël est le résultat des développements après la Deuxième Guerre mondiale et de la formation des Nations unies, cependant le droit international établit la norme qui permet de juger qu'Israël est une puissance occupante qui viole toutes les normes de conduite acceptables pour l'humanité. Il faut garder à l'esprit que dans la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres puissances impérialistes et anciennes puissances coloniales ont couramment utilisé la partition comme une arme contre les peuples, comme en Inde/Pakistan, Chine/Formose, au Vietnam, en Corée, en Allemagne, sans parler de la façon dont les nations d'Afrique et d'Asie occidentale ont été découpées en pays de toutes les façons possibles pour satisfaire les intérêts de ces puissances.

En gardant à l'esprit cette pratique de la partition, deux conditions ont été posées pour qu'Israël soit accepté au sein de l'ONU : 1) il devait être « binational », comme on disait alors, c'est-à-dire deux sous-systèmes coexistant, palestinien et juif, et 2) il devait faire respecter le droit au retour. Une fois que l'on a pris conscience que c'étaient les conditions pour qu'Israël soit accepté comme membre des Nations unies, on peut aussi prendre conscience que jamais ces conditions ont été respectées. Chaque année, des résolutions sont adoptées par l'Assemblée générale concernant, entre autres, le droit au retour. L'État sioniste israélien a fait tout ce qui était possible de faire pour s'opposer aux exigences mandatées par ces résolutions. La conscience que c'est le cas existe dans le monde entier.

Néanmoins, l'un des effets de la désinformation qui consiste à désorienter les gens sur les réalisations de l'histoire est l'idée que l'État sioniste tel qu'il existe doit être défendu. Cette idée est contraire aux conditions établies pour qu'Israël puisse se qualifier en tant que membre des Nations unies, mais l'idée est qu'il doit néanmoins être défendu.

L'histoire est présentée comme une chaîne d'événements du passé. Mais l'histoire est faite de relations, d'avancées et de reculs, de réalisations importantes et de leurs effets, comme la défaite mondiale du fascisme et tout ce que la lutte antifasciste a engendré, y compris l'établissement du droit international. La désinformation des dirigeants sert à cacher les développements historiques des sociétés qui existent et des mouvements qui existent et leurs effets sur la société.

Israël a été l'une des premières créations de l'ONU. Cette création a été conçue pour détourner l'attention des réalisations historiques issues de la Deuxième Guerre mondiale. Cela prend la forme d'une désorientation dans le temps : ce qui a conduit à quoi, ce qui est venu avant et après, ce qui est cause et effet. Il existe également une désorientation spatiale. Ce sont deux conceptions importantes dans le traitement des causes et des effets : la désorientation temporelle et la désorientation spatiale.

Selon les groupes de réflexion et les propagandistes américains, dont Joe Biden, il existe des règles et ceux qui ont créé les règles doivent avoir leur mot à dire parce qu'ils les connaissent. De plus, ceux qui sont d'accord avec les règles avancent grâce à ces règles. Pour ceux qui ne sont pas d'accord avec les règles, leur problème est qu'ils refusent de suivre les règles. Il n'y a jamais de discussion sur les règles. Néanmoins, un certain nombre de pays contestent la conception d'« un ordre international fondé sur des règles » parce qu'il ne respecte pas les normes établies par le droit international. De plus, un nombre croissant de pays commencent à contester ouvertement les créateurs des règles en question, à savoir les États-Unis.

La conception américaine de « l'ordre international fondé sur des règles » est clairement en faveur de la défense d'Israël à l'encontre des Palestiniens et non en conformité avec l'ordre international fondé sur le droit et les normes internationales. La défense de l'État israélien sioniste tel qu'il existe aujourd'hui n'a pas pour seul but de désorienter le mouvement de résistance face aux crimes commis, elle vise aussi à saper, à subvertir et même à renverser les bases de ce qui est sorti de la Deuxième Guerre mondiale, avec son antifascisme, son opposition à l'agression et l'égalité des nations, grandes ou petites, et le respect de leur souveraineté et de leur droit à l'autodétermination. Cela explique en partie comment le front uni antifasciste des peuples qui a vu le jour pendant la Deuxième Guerre mondiale s'est transformé en un front uni anticommuniste dans lequel les peuples n'ont plus eu l'initiative ni joué un rôle décisif.

La cause et l'effet et la perversion de l'histoire

Un point essentiel ici est la relation de cause à effet et qu'il y a un rapport. Par exemple, il y a la cause des Palestiniens pour la libération et l'indépendance qui implique la défense des principes qui sous-tendent le droit international, et il y a la cause de l'impérialisme américain et de ses alliés qui implique la défense de leur soi-disant ordre international basé sur des règles. Les États-Unis, le Canada et d'autres partent de leur soi-disant ordre international fondé sur des règles, avec une histoire interprétée de manière abstraite et irrationnelle, comme quand ils disent qu'« avant, la force faisait loi » et maintenant, nous avons des règles qui font que la force est juste pour ceux qui font la loi, comme les États-Unis et pas pour les autres.

Il n'y a rien à comprendre dans leurs arguments, rien qui indique qu'ils s'efforcent d'élaborer quelque chose, comme pendant la période des Lumières en Europe, lorsque la bourgeoisie était la classe montante et avait besoin de s'armer d'arguments et de formes sur la base desquels organiser sa rébellion contre l'ancien ordre féodal. Cet accent mis sur l'ordre fondé sur des règles est très différent de ce que les Lumières ont fourni à la bourgeoisie pour devenir la nation. Au lieu de reconnaître qu'il existe une histoire, avec ses triomphes et ses tragédies, l'histoire est détournée par les dirigeants dans un mouvement de désinformation. C'est le cas quelle que soit la question soulevée : qu'il s'agisse d'Israël, de la guerre civile, de l'esclavage, du génocide des peuples autochtones ou de l'élaboration de la Constitution américaine ou de toute autre question, il y a un déni de l'histoire elle-même et du monde tel qu'il est aujourd'hui.

À titre d'exemple, lorsqu'il est intervenu au débat de l'ONU sur le multilatéralisme, Antony Blinken a dit : « Soyons clairs : les États-Unis ne cherchent pas à faire respecter cet ordre fondé sur des règles pour maintenir les autres nations dans un état de faiblesse. L'ordre international que nous avons contribué à construire et à défendre a permis l'essor de certains de nos concurrents les plus acharnés. Notre objectif est simplement de défendre, de maintenir et de revitaliser cet ordre. »

Antony Blinken dit explicitement que les États-Unis ne défendent ni ne soutiennent le droit international et ses normes. Il dit qu'il existe un ordre fondé sur des règles que les États-Unis vont « défendre, maintenir et revitaliser ». Il tente également de fausser l'histoire de la fondation de l'ONU qui reconnaît un monde qui s'est uni contre le fascisme pour donner naissance à l'ONU et au droit international, qui va au-delà du droit humanitaire. Sous les pressions des impérialistes anglo-américains et en particulier des États-Unis, des tentatives ont été faites sans relâche pour forcer tout le monde à accepter leur perversion de cette histoire, la déformant pour en faire un monde uni contre le communisme.

Dans son intervention au débat de l'ONU, Antony Blinken a poursuivi dans ce sens en prétendant que les États-Unis sont les défenseurs des droits humains. « Deuxièmement, les droits et la dignité de l'homme doivent rester au coeur de l'ordre international. L'unité fondatrice des Nations unies – dès la première phrase de la charte – n'est pas seulement l'État-nation. C'est aussi l'être humain. Certains affirment que ce que les gouvernements font à l'intérieur de leurs frontières ne regarde qu'eux et que les droits de l'Homme sont des valeurs subjectives qui varient d'une société à l'autre. Mais la Déclaration universelle des droits de l'Homme est dite ‘universelle' parce que nos nations sont convenues qu'il existe certains droits auxquels toute personne, partout, peut prétendre. L'affirmation de la compétence nationale ne donne à aucun État un blanc-seing pour asservir, torturer, faire disparaître, nettoyer ethniquement son peuple ou violer ses droits fondamentaux de quelle que manière que ce soit. »

Le problème ici n'est pas que souvent les gens ne reconnaissent pas les crimes que les États-Unis commettent contre les droits humains. L'aspect qui n'est souvent pas reconnu est qu'il y a perversion de l'histoire, que l'histoire est falsifiée. Il existe des lois et des normes pour des crimes comme le génocide et les crimes contre l'humanité et sur la base de ces lois et normes nous pouvons mesurer ce qui se passe. Mais une fois que ces règles et normes sont perverties, la confusion s'installe qui empêche de juger de ce qui se passe.

L'exemple de la Palestine en dit long sur la perversion qui est faite du rapport de cause à effet et sur la fraude de l'histoire. La conception israélienne de la Nakba, qui signifie la catastrophe, le fait que les Palestiniens ont été chassés de leurs foyers et de leur patrie, est qu'il s'agit d'une version palestinienne de la création d'Israël utilisée pour s'opposer à l'État israélien. Israël dit que la cause est l'établissement de l'État d'Israël, qu'il défend, et l'effet est que les Palestiniens appellent cela la Nakba. On dit souvent que l'histoire est écrite par les vainqueurs. Israël répondrait bien sûr que c'est ainsi. Une réponse donnée à l'histoire écrite par les vainqueurs est qu'il existe une histoire « alternative », une « histoire du peuple », comme si deux histoires pouvaient exister. Mais ni l'histoire des vainqueurs ni l'histoire alternative ne permettent de déterminer s'il existe une norme permettant de mesurer ce qui était avant et de ce qui était après et les conséquences. C'est là le coeur du problème.

On peut légitimement énumérer tous les crimes, exprimer une juste colère et lutter contre l'agression américano-israélienne et pour la Palestine, comme le font les gens dans le monde entier. Or, le problème est que pour être effectif, il faut défaire la perversion de cause à effet des impérialistes. Les peuples sont certainement unis dans une cause puissante et l'effet qu'elle peut avoir sur le monde est reconnaissable, comme son efficacité à exposer les crimes des sionistes et à rallier les peuples pour qu'ils rejettent les prétentions américaines/israéliennes concernant le droit d'Israël de se défendre. De même, si nous prenons un exemple lié aux droits humains, nous pouvons examiner ce qui constitue la mesure de la personnalité, les qualités de la personne proposées par les États-Unis et Israël. Israël fait tout pour imposer la conception fasciste selon laquelle une personne n'est pas nécessairement un être humain, avec les qualités de ce qui rend quelqu'un humain. Ces qualités d'êtres sociaux pensants ayant des réclamations à faire à la société sont liées à l'histoire. Nous ne parlons pas ici de ce que l'on peut reconnaître comme un humain émergeant de ses conditions d'espèce descendue du singe. Plusieurs êtres sont descendus du singe, mais nous avons abouti à l'homo sapiens. Ce résultat n'est pas basé sur une séquence d'événements, comme on le présente souvent, tout comme l'émergence d'une personnalité démocratique moderne et les qualités de la personne d'aujourd'hui ne sont pas non plus une question de séquence d'événements. L'histoire n'est pas une suite d'événements. L'histoire, c'est l'intervention des êtres humains dans le monde pour apporter des changements et faire progresser l'humanité.

De la même manière, la capacité d'une Constitution d'établir l'égalité, par exemple, se mesure par les conditions du peuple. Les conditions générales et persistantes d'inégalité, de racisme d'État, d'injustice et d'absence de rendre des comptes auxquelles les Américains sont confrontés - et que la Constitution américaine ne fait rien pour empêcher - sont la mesure de la Constitution et de son invalidité pour le présent.

Pour masquer l'incohérence des arguments avancés par les États-Unis et leur désespoir de cause à se perpétuer en tant que « nation indispensable » en imposant leur « ordre international fondé sur des règles », Antony Blinken crée l'impression que cet ordre et le droit international sont une seule et même chose. S'attaquant avec véhémence à ceux qui sapent les règles, il dit : « Lorsque les États membres de l'ONU – en particulier les membres permanents du Conseil de sécurité – bafouent ces règles et bloquent les tentatives de mettre face à leurs responsabilités ceux qui violent le droit international, ils envoient le message que d'autres pays peuvent enfreindre ces règles en toute impunité. » Il insiste sur les règles dans le but de les assimiler au droit international. Néanmoins, la majeure partie de son discours fait référence aux règles et à l'ordre fondé sur les règles, et il limite la référence au droit international à l'une de ses parties – le droit humanitaire.

Les arguments qu'il avance servent à défendre les actions des États-Unis et utilisent les droits humains comme des munitions pour l'intervention contre la souveraineté des pays au nom d'un être humain abstrait. Le leadership des États-Unis serait censé être jugé sur ses actes à venir et non par ce qu'il a fait dans le passé. C'est carrément la fraude qui est donnée comme contenu. C'est comme lorsque Obama n'a pas voulu s'attaquer à la question de la torture, des opérations secrètes et des expulsions vers la torture en disant : le passé est le passé et nous devons nous tourner vers l'avenir. Ce qu'ils ne disent pas, c'est que l'avenir n'existe pas encore. Ce qu'ils vendent, c'est une sorte d'avantage futur. De la même manière, les États-Unis vendent des menaces futures pour justifier ce pour justifier ce qui ne peut l'être. Cela comprend leur discours sur la violence potentielle des manifestants ou les actes terroristes potentiels. On ne peut pas apporter de preuves pour s'attaquer à ces menaces, alors ils s'engagent à s'y attaquer le moment venu. L'engagement est envers un avenir qui n'existe pas encore. Il ne s'agit pas d'actes dans le présent. Obama a justifié son refus d'engager des poursuites contre l'ancien président Bush pour crimes de torture et d'agression en disant que « le passé est le passé ». Autrement dit, les États-Unis n'ont pas besoin de rendre des comptes dans le présent.

Il existe également une notion ancienne chez les gouvernants selon laquelle il est nécessaire de prendre des mesures dans le monde entier pour se protéger contre ce qui n'est pas faisable et d'évaluer ce qui est faisable. Pour les idéologues de l'impérialisme américain, la possibilité se confond avec la nécessité. Ils n'évaluent pas ce que sont les besoins, puis ce qui peut être fait sur la base d'une évaluation des ressources, des forces disponibles, des coûts et ainsi de suite. Autrement dit, ils ne tirent pas les conclusions qui s'imposent. C'est parce qu'ils ignorent complètement les normes dans leurs décisions - comme cela se voit dans les directives quotidiennes données pendant la pandémie de la COVID qui changent sans rime ni raison et contribuent à créer une atmosphère d'irrationalité et d'incohérence. En ce qui concerne la guerre en Afghanistan, on dit maintenant que le coût de la guerre est trop élevé ou que le temps nécessaire pour la mener à bien est trop long. Qu'est-ce qui est trop élevé ou trop long ? Cela peut être n'importe quoi, mais la seule chose certaine est que le coût humain en termes de morts, de blessés et de destruction des forces productives humaines ne compte pas. L'ex-ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Madeleine Albright, l'a très bien dit en 1996, lors d'une entrevue à l'émission 60 Minutes sur les sanctions contre l'Irak qui ont tué plus d'un demi-million d'enfants. Elle a dit : « Je pense que c'est un choix très difficile, mais nous pensons que le prix payé en valait la peine. »

L'argument intéressé à la base des positions des États-Unis est que, parce qu'ils sont dans une position supérieure, ils ont le droit de prendre ces décisions. L'argument d'Antony Blinken est que les États-Unis se sont débarrassés des crimes du passé et qu'ils sont désormais supérieurs. C'est l'avant et l'après. Par exemple, puisque ce sont eux qui ont créé les diverses institutions commerciales et financières, ils sont mieux en mesure de décider de leur utilisation. L'illogisme est que ce qui était premier reste premier ; il est le plus important, donc supérieur et le meilleur possible et devrait donc être le juge. Le passé est supplanté, il est dépassé par le présent et la conception est que le passé a créé – causé – le présent et l'effet est le présent. Le rôle de l'action humaine, des êtres humains qui changent les conditions, qui interviennent pour ouvrir une voie favorable à l'humanité, est totalement absent.

Quand on parle ainsi de ce qui était premier, puis de ce qui est venu en second, ce dernier est toujours un dérivé du premier. Le premier reste primaire et le second reste secondaire. On nie que ce qui est secondaire, ou qui est venu après, renverse ou subvertit ce qui était là en premier. Ce déni conduit à la crise à laquelle est confronté ce que l'on appelle l'ordre international fondé sur des règles.

Si l'on accepte la logique de Blinken et Biden, alors la norme pour une règle telle que présentée est un paradoxe et prête à confusion. Mesurer implique suivre une norme, indépendante de soi, comme 1+1=2 n'est pas une question d'opinion. La confusion se présente quand on pose la question : la règle détermine-t-elle la conduite de l'action ? On peut être pour ou contre la règle, mais est-ce le fait d'être pour ou contre la règle qui détermine vos actions ? L'action humaine découle-t-elle d'une prise de position pour ou contre la règle ? C'est présenter la règle comme la cause de l'action et l'action comme étant séparée de l'origine de la règle. Les Palestiniens se soulèvent pour défendre leur droit d'être et leur droit de résister, cela n'est pas basé sur l'opposition aux règles américaines/israéliennes.

Une autre façon d'exprimer le droit à la résistance est la suivante : « Quand l'injustice devient loi, la résistance est un devoir. » Ce n'est pas une question de règles. C'est une question de cause juste et de responsabilité sociale d'intervenir pour la justice, pour les droits. C'est l'action humaine qui affirme les droits. Elle est proactive et ne consiste pas principalement à réagir aux règles imposées par les impérialistes.

L'histoire n'est pas une question d'interprétation

Si l'on se penche à nouveau sur l'histoire et la fraude de l'histoire, certains disent qu'il y a à la fois une histoire « du peuple » et une histoire des oppresseurs, comme s'il y avait deux histoires différentes. L'histoire est donnée comme une question d'interprétation, l'une donnée du point de vue du peuple, l'autre du point de vue des gouvernants. L'une prétend établir les causes et les effets, l'autre dit que ce n'est pas le cas parce que l'interprétation est fausse.

La propagande américaine répète sans cesse qu'Israël ne fait que se défendre contre les attaques à la roquette du Hamas. La réponse est souvent qu'Israël a commencé les affrontements, une notion couramment utilisée pour détourner le mouvement de sa juste cause. Qui a tiré le premier coup de feu était l'argument utilisé par les États-Unis contre la Corée. Ils ont accusé le Nord de lancer une agression contre le Sud, niant ainsi le fait que les États-Unis avaient divisé la Corée au 38e parallèle et que c'était l'agresseur qui n'avait rien à faire là, à s'immiscer dans les affaires coréennes et à financer les troubles. Elle a été utilisée au Vietnam en créant l'incident du golfe du Tonkin. Le fait est que « qui tire le premier coup » n'est pas pertinent. La question est de savoir si l'on résiste ou non à l'agression. Accepter l'argument « qui a tiré le premier », c'est tomber dans le piège qui dit que le premier est le meilleur et c'est lui qui doit décider tandis que le second qui est un dérivé du premier, il est secondaire et le reste toujours.

L'idée de suivre une règle est donnée comme suivant une ligne d'action. La présentation de l'histoire du peuple par rapport à celle de l'oppresseur est considérée comme une interprétation – pro ou anti-peuple, raciste ou antiraciste – ce qui pose le problème immédiat de cette conception du monde, à savoir qu'à un moment donné, on peut dire une chose et à un autre moment, on peut dire quelque chose de très différent. Lorsque les Israéliens ont détruit un gratte-ciel de la ville de Gaza qui abritait le siège de l'Associated Press et d'autres agences de presse, Israël a déclaré que c'était parce que le Hamas utilisait le bâtiment pour se cacher. La réaction, y compris celle de l'Associated Press qui répète régulièrement la propagande américaine contre le Hamas et la Palestine, a été que non, ce bâtiment abritait la presse et non le Hamas et devait donc être protégé. D'autres avancent l'idée que le Hamas est le gouvernement légitime de Gaza et d'autres disent que non, il ne l'est pas. Ce qui est caché, c'est que l'agression et la résistance existent objectivement, elles ne sont pas une question d'interprétation de quel « côté » a agi en premier ou de qui est présent dans le bâtiment. Le fait est que suivre des règles n'est pas une question d'interprétation mais plutôt la reconnaissance d'une mesure et d'une norme.

Il y a aussi le fait qu'une norme est une chose publique, pas privée. Une norme n'est pas une question d'interprétation ou de nouvelles informations qui pourraient faire changer d'avis. La résistance et l'agression se poursuivent indépendamment du fait que quelqu'un change d'argument.

Quelle est la différence entre la conception d'une mesure qui est publique et la conception que la mesure est sujette à interprétation ? Une règle mesure 30 centimètres et les centimètres sont normalisés ; il s'agit d'une mesure publique. On peut dire la même chose des mesures basées sur le Système international d'unités. Mais lorsqu'il s'agit de définir un être humain moderne, contemporain, réel, la question est présentée comme une affaire d'interprétation. Les Palestiniens disent que leur histoire n'est pas simplement une affaire de chiffres, que chaque personne a sa propre histoire, sa vie entière, les contributions qu'elle apporte, qui devraient être placées en première place. Comment mesurer cela ? Ils essaient de trouver un visage public pour la norme. Comment le faire ?

L'argument que chacun a sa propre perspective de l'histoire, par exemple l'histoire du peuple par rapport à celle des dirigeants, soulève le problème suivant : si l'histoire est une question d'interprétation par une personne ou un groupe de personnes, cela revient à dire que si vous pensez suivre la règle, c'est la même chose que de suivre la règle. Il y a une incapacité à saisir la mesure. C'est ce que font les États-Unis lorsqu'ils disent que nous ne devons pas regarder le passé et comment il se mesure au droit et aux normes internationales. Le passé est le passé, disent les États-Unis. Suivre une règle n'est pas quelque chose qui se passe dans la tête de quelqu'un, ou le fait d'un consensus au sein d'un groupe donné. Si c'était le cas, alors cela devient la règle d'Antony Blinken, son interprétation à lui.

Ouvrir une voie

La promotion par les États-Unis du complexe militaro-industriel et, plus généralement, de l'affirmation qu'en raison de sa complexité, la société ne peut être comprise que par ceux qui sont supérieurs, est en conflit avec ce qui a été caractérisé par Marx comme étant le trait caractéristique de la société bourgeoise moderne, son trait distinct, qui est la simplification de l'ensemble de la société et de ses nombreux antagonismes. Il y a un conflit entre la simplification – l'ensemble de la société se divisant de plus en plus en deux, ce qui est la base de l'existence de deux camps, l'un défendant l'Ancien, l'autre avançant le Nouveau – et les choses devenant de plus en plus complexes, comme le complexe militaro-industriel, qui se complique avec le capital financier, etc. Le monde, comme chaque pays, serait confronté à cette complexité. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de complexité, mais bien que le trait distinctif de la société moderne est la simplification, l'ensemble de la société se divisant en deux.

S'il existe un processus historique qui conduit à la simplification des antagonismes, et cet ordre différent dit que le monde est de plus en plus complexe, alors comment mesure-t-on la complexité ? Aucune norme n'est donnée pour mesurer la complexité. Elle est juste affirmée comme une réalité. Comment établir une mesure de cette complexité qui ne tombe pas dans le piège de suivre une règle, basée sur une interprétation après l'autre, et le piège de penser que parce qu'on la suit, c'est la même chose que de donner la mesure basée sur une norme ? Autrement dit, penser que l'on a un choix à faire n'est pas la même chose que d'occuper un moment décisif où des choix sont faits à votre place et vous voulez en tirer avantage et éviter de donner l'avantage aux gouvernants.

La confusion sur la mesure et les normes sert à donner une base à la fraude de l'histoire. Tout est fait pour saper la réalité que l'histoire existe, que des voies précises sont suivies et que nous pouvons regarder ces actions de notre point de vue. Comment envisage-t-on d'ouvrir une voie ? Pour les dirigeants, toute action entreprise peut se résumer à agir suivant une règle donnée, et pour le peuple, chacun peut décider d'ajouter son interprétation des prétentions des riches. Comme rien n'a de sens, cette approche est très désorientante; elle ne fournit pas de guide pour l'action.

Il faut plutôt s'intéresser aux causes et aux effets. Le peuple a une cause. Mais comment mesurer la cause et l'effet ? La cause a quelque chose à voir avec l'orientation temporelle, du passé au présent et au futur, ainsi qu'avec l'orientation spatiale, qui implique le rapport entre la forme et le contenu. La cause et l'effet sont confondus et mélangés d'innombrables façons qui nuisent aux mouvements des peuples. Une confusion sans fin est entretenue sur la cause et l'effet et le rôle de l'action humaine dans la situation réelle du présent - en relation avec le passé, le présent et l'avenir.

Quelle est l'orientation nécessaire, la direction ? Les arguments de la « fin de l'histoire » s'avèrent être une grande arnaque. Mais les peuples ont une mémoire collective contre laquelle ces arguments se heurtent – comme l'attestent la Palestine, ou l'esclavage américain et les génocides d'aujourd'hui, etc. Pour nous, l'action humaine, l'activation du facteur humain et la base de l'information nécessaire, tout cela doit être abordé.

Notre argument selon lequel il faut partir du présent et examiner le passé pour éclairer le présent et formuler un guide pour l'action se réfère à l'analyse et à la synthèse sous forme de guide pour l'action. Il ne s'inscrit pas dans la ligne de la relation de cause à effet dont on parle habituellement, selon laquelle le passé a causé le présent qui à son tour est la cause du futur. Selon cette thèse, si vous savez ce qui s'est passé dans le passé, vous allez savoir ce qui se passera dans le futur. C'est une thèse dangereuse de l'équilibre entre continuité et changement, où le premier reste le premier et ce qui vient en second est un dérivé de ce qui vient en premier. Selon cette logique, les États-Unis sont le meilleur exemple d'empire. Ils sont arrivés en premier, sont « indispensables » et doivent le rester.

Nous disons qu'il y a une ligne de marche que l'on peut tracer, comme des empreintes de pas dans le sable, et que notre responsabilité est de marcher. Mais gardez à l'esprit que le changement n'est pas un événement particulier. Il y a des soulèvements et des luttes. Il y a des traces de pas dans le sable. Vous ne pouvez pas voir les traces de pas qui vont de l'avant tant que vous ne les faites pas avec l'action humaine. La ligne de marche, le chemin à suivre, implique le concept d'ouverture de ce chemin.

Il y a souvent confusion sur ce qui est fermé et ce qui est ouvert, sur la manière de tirer parti des ouvertures et sur la place l'action humaine dans ce processus. Un acte de participation consciente de l'individu est une intervention, une action humaine, le chemin est l'acte de découvrir. Le passé a lié et fermé l'information. Cependant, la base pour trouver une ouverture est qu'il existe déjà différents chemins, des traces, qui constituent le passé. C'est la base pour libérer une partie de l'information qui est liée à l'ensemble du système.

L'histoire est faite de relations réelles et n'est pas une liste d'événements du passé. Elle implique des causes et des effets. Pour faire l'histoire, il faut que cette action humaine, profite des ouvertures et progresse d'ouverture en ouverture.


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 13 - 11 juin 2021

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