La proposition impérialiste américaine de ressusciter le «concert des puissances» pour servir la quête de domination des États-Unis

Récemment, le Council on Foreign Relations (CFR) des États-Unis a présenté un nouveau projet avec lequel il espère pouvoir unir la bureaucratie militaire, industrielle et financière/civile des États-Unis et imposer à leurs alliés son monopole sur les prises de décisions et l'usage de la force. Le CFR est un groupe de réflexion américain établi il y a longtemps qui rassemble les factions rivales de la classe dirigeante américaine dans le but de concevoir une politique étrangère américaine qui puisse être considérée comme justifiant tout ce que les États-Unis font. À l'heure actuelle, le CFR propose ce qu'il appelle un « concert des puissances » pour s'attaquer aux questions des relations internationales.

Le CFR fait partie de ceux dont le point de départ est l'affirmation que nous vivons dans une période de transition parce que la puissance des États-Unis est en déclin. « Dans un article intitulé « Comment prévenir les catastrophes et promouvoir la stabilité dans un monde multipolaire ? », le CFR dit : « L'histoire montre clairement que de telles périodes de changement tumultueux s'accompagnent de grands périls. En effet, les conflits entre grandes puissances sur la hiérarchie et l'idéologie conduisent régulièrement à des guerres majeures. Pour éviter cette issue, il faut reconnaître sagement que l'ordre libéral dirigé par l'Occident qui a émergé après la Seconde Guerre mondiale ne peut pas ancrer la stabilité mondiale au XXIe siècle. La recherche d'une voie viable et efficace est en cours[1]. » La thèse est qu'un groupe directeur de grandes puissances est la meilleure option pour gérer un monde intégré qui n'est plus présidé par un hégémon. Bien entendu, les États-Unis choisissent « les grandes puissances » qui composeront le groupe, choisissent les règles et les sanctions en cas de non-respect des règles pour finir avec l'affirmation que l'hégémon a survécu pour voir un autre jour.

Alors que le président Joe Biden et ses homologues canadiens vantent la supériorité des « valeurs partagées » des pays du G7 et de l'OTAN et la nécessité d'obliger tout le monde à obéir ou à se méfier de leur puissance militaire, le groupe de réflexion se livre à des lamentations sur ce qu'il perçoit comme le déclin des États-Unis et des démocraties libérales. Le fait que les conditions qui ont donné naissance aux institutions de la démocratie libérale n'existent plus et que les peuples du monde les ont rejetées n'est pas discuté. Tout ce qui compte, c'est de les ressusciter dans le vain espoir que le passé des États-Unis en tant que « nation indispensable » se projettera dans l'avenir et que les États-Unis émergeront comme le dernier homme debout, quoi qu'il arrive – le seul survivant des batailles qui font rage dans le monde, alors que tous les autres sont tombés. Il s'agit d'un plaidoyer ahistorique désespéré pour l'obéissance, une proposition ridicule qui a déjà échoué et qui remonte à la période précédant la Première Guerre mondiale, lorsque la première tentative de parvenir à un équilibre entre les grandes puissances d'Europe, appelée le Concert européen, s'est fracassée sur les rochers de la guerre de Crimée en 1853.

Le CFR juxtapose la voie et les valeurs des États-Unis et des autres nations « civilisées » à ce qu'il appelle l'« illibéralisme et la dissension populiste » d'une « Chine en plein essor » et d'une « Russie pugnace » qui, selon lui, remettent en question « l'autorité de l'Occident et ses approches républicaines de la gouvernance intérieure et internationale ».

« Alors que l'Asie poursuit son ascension économique, deux siècles de domination occidentale du monde, d'abord sous la Pax Britannica puis sous la Pax Americana, touchent à leur fin. L'Occident est en train de perdre non seulement sa domination matérielle mais aussi son emprise idéologique. Dans le monde entier, les démocraties sont la proie de l'illibéralisme et des dissensions populistes, tandis que la Chine montante, assistée d'une Russie pugnace, cherche à contester l'autorité de l'Occident et ses approches républicaines de la gouvernance nationale et internationale. Le président des États-Unis, Joe Biden, s'est engagé à rénover la démocratie américaine, à restaurer le leadership des États-Unis dans le monde et à maîtriser une pandémie aux conséquences humaines et économiques dévastatrices. Mais la victoire de Joe Biden a été serrée ; d'un côté comme de l'autre de l'Atlantique, le populisme furieux ou les tentations illibérales ne s'apaiseront pas facilement. En outre, même si les démocraties occidentales parviennent à surmonter la polarisation, à repousser l'illibéralisme et à relancer l'économie, elles n'empêcheront pas l'avènement d'un monde à la fois multipolaire et idéologiquement diversifié. »

Devant ce qu'il voit comme le déclin des États-Unis, le CFR tente de trouver un moyen pour les États-Unis de s'en sortir d'une manière ou d'une autre afin de continuer à être la puissance « indispensable » du monde. Le CFR est obligé de revenir en arrière pour trouver des réponses, dans ce cas à une ancienne forme appelée le Concert européen. Il déclare : « Le meilleur véhicule pour promouvoir la stabilité au XXIe siècle est un concert mondial des grandes puissances. Comme l'a démontré l'histoire du Concert européen au XIXe siècle - ses membres étaient le Royaume-Uni, la France, la Russie, la Prusse et l'Autriche - un groupe directeur de pays dirigeants peut freiner la concurrence géopolitique et idéologique qui accompagne généralement la multipolarité. » Il faudrait faire abstraction du fait que ce groupe directeur n'a rien « freiné » lorsqu'il s'agissait de poursuivre les intérêts nationaux des États-Unis tel qu'il les voyait. Le CFR appelle à un nouveau groupement comprenant la Chine, l'Union européenne, l'Inde, le Japon, la Russie et les États-Unis.

Ainsi, le CFR appelle à la création d'un autre club exclusif tout en refusant de reconnaître les efforts des peuples du monde pour affirmer leur droit d'être et de développer des arrangements politiques où les peuples eux-mêmes gouvernent et décident. Il ferme également les yeux sur les leçons de l'histoire. Leur Concert européen remonte à 1814, ce qui signifie qu'il précède même le Grand Jeu de Lord Palmerston qui a été introduit dans les années 1850 et a mis la géopolitique sur une base moderne, pour ainsi dire. Cette politique a déclenché la ruée impérialiste vers l'Afrique et s'est terminée par la Première Guerre mondiale, qui a réduit en miettes trois empires, l'Empire des tsars russes, l'Empire austro-hongrois et l'Empire ottoman, tandis que la Britannia n'a plus jamais régné sur les mers. Le Concert européen n'a pas équilibré les puissances rivales et a en fait contribué à leur disparition dans ces conditions.

Dans les conditions actuelles, la guerre n'est plus la continuation de la politique par d'autres moyens, finalement réglée par des négociations pour établir une fois de plus la paix en faveur du vainqueur. La guerre n'est pas ce qui arrive lorsque les négociations échouent, car il n'y a pas de négociations. S'il n'y a pas de négociations, il ne peut y avoir de traités de paix contenant des conditions qui normalement devraient lier les parties concernées. Le retrait des troupes américaines d'Afghanistan n'a pas été négocié et n'a pas non plus mis fin à la guerre d'agression et à l'occupation de l'Afghanistan. Au moins 18 000 contracteurs privés restent en Afghanistan, sous le commandement du Pentagone.

Le traité que les États-Unis ont signé avec l'Iran est un autre exemple. Les États-Unis violent ces traités en toute impunité, alors même que l'Iran et parfois les signataires européens tentent de les faire respecter. Ou encore des traités tels que ceux qui lient les membres de l'Organisation mondiale du commerce, qui n'ont aucun poids parce que les États-Unis les défient et que personne ne prend de mesures pour les en empêcher. Les États-Unis menacent les pays qui songent à ne pas se soumettre de bombardements, agression, occupation, assassinats, etc. Ils fixent la direction sur la base de ces actions et menaces qui prennent de nombreuses formes. Les États-Unis dictent la direction par ces actions et menaces qui prennent de nombreuses formes, notamment les régimes de sanctions criminelles – en soi des actes de guerre – et l'utilisation d'armes comme la privation de prêts ou de vaccins pour les pays ciblés ou le vol de leurs réserves d'or et de leurs comptes bancaires ou propriétés.

Tout cela montre que les négociations n'existent plus et que, si les pays visés ne se soumettent pas, ils seront soumis à des guerres de destruction des forces productives humaines. C'est ce qui s'est passé depuis l'opération Tempête du désert, avec des conséquences désastreuses non seulement pour l'Afghanistan, l'Irak, le Yémen, la Syrie, la Libye et la Palestine, mais aussi pour les millions de personnes qui sont obligées de migrer d'Afrique, ou du Mexique et d'Amérique centrale et des Caraïbes, ou comme travailleurs sous contrat, travailleurs sous visa, travailleurs migrants, etc. L'objectif est de faire en sorte que ce soit la volonté de domination des États-Unis qui dicte l'objectif auquel tout monde doit réagir.

Malgré cette réalité, selon le CFR, « les démocraties et les non-démocraties seraient sur un pied d'égalité, et que l'inclusion serait fonction de la puissance et de l'influence, et non des valeurs ou du type de régime. Les membres du concert représenteraient collectivement environ 70 % du PIB mondial et des dépenses militaires mondiales. L'inclusion de ces six poids lourds dans les rangs du concert lui conférerait un poids géopolitique tout en évitant qu'il ne devienne un salon de discussion peu maniable. » Le CFR présume que le « concert des puissances » mettra fin au G7 et au G20 et à leurs déclarations publiques et réunions.

Dans tout cela, il n'y a aucune reconnaissance du fait que les États-Unis sont sur un pied de guerre permanent, que les guerres ne sont pas la continuation de la politique par d'autres moyens mais des actes de destruction, et que les négociations ont été éliminées en faveur du gouvernement par décret et de l'utilisation des pouvoirs de police. Il en est ainsi, qu'il s'agisse de mettre fin à des guerres, de régler des différends dans des organes dysfonctionnels comme les assemblées législatives et les parlements, ou de régler des différends entre employeurs et travailleurs et dans des affaires liées aux cartels et aux coalitions impliquant des oligopoles, des gouvernements et des intérêts financiers.

En plus de ne pas reconnaître le rôle des peuples, le CFR refuse de voir que dans les conditions actuelles, ce ne sont pas les États-nations mais les oligopoles qui s'efforcent de tout contrôler et de politiser leurs intérêts privés étroits en s'emparant et en contrôlant des États que l'on disait autrefois souverains. L'intégration à la machine de guerre américaine, comme ce que les États-Unis font avec le Canada, le Mexique et maintenant l'Amérique centrale et les Caraïbes, en fait partie. Le « concert des puissances » du CFR est un moyen de saper davantage et d'éliminer le droit et les normes internationales et de les remplacer par un ordre international soi-disant fondé sur des règles. Cela est fait pour éliminer les peuples et leurs luttes de l'équation tout en renforçant l'hégémonie et la dictature des États-Unis.

Dans le cadre du remplacement du droit international et de ses normes exécutoires, le concert mondial des puissances encourage le rejet des « règles codifiées », c'est-à-dire du droit international : « Un concert mondial éviterait les règles codifiées, s'appuyant plutôt sur le dialogue pour construire un consensus. Comme le Concert européen, il privilégierait le statu quo territorial et une vision de la souveraineté qui exclut, sauf en cas de consensus international, le recours à la force militaire ou à d'autres outils coercitifs pour modifier les frontières existantes ou renverser des régimes. Cette base de référence relativement conservatrice encouragerait l'adhésion de tous les membres. Dans le même temps, le concert serait le lieu idéal pour discuter de l'impact de la mondialisation sur la souveraineté et de la nécessité éventuelle de refuser l'immunité souveraine aux nations qui se livrent à certaines activités abominables. Ces activités pourraient inclure la perpétration d'un génocide, l'hébergement ou le parrainage de terroristes, ou l'aggravation du changement climatique par la destruction des forêts tropicales. »

En d'autres termes, ce sont elles qui établissent les règles et c'est donc elles qui les interprètent. La fraude d'un club exclusif de six puissances qui prend des décisions qui affectent le monde entier est évidente, mais le CFR affirme néanmoins que sa proposition « l'emporte par défaut ».

Les arguments sont si incohérents et si faibles qu'il est évident que les porte-parole de l'impérialisme américain sont au bout de désespoir et ne peuvent concevoir une alternative au système qui a embourbé dans la crise les États-Unis, le G7 et d'autres institutions établies sous la tutelle des États-Unis au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Des propositions comme celle d'établir un « concert des puissances » ne tiennent pas compte des énormes développements des forces productives humaines qui ont lieu indépendamment de la volonté et du contrôle de quiconque. Les impérialistes américains font régner l'anarchie et la violence pour tenter de contrôler l'explosion des forces productives qui ne peuvent être contrôlés. Leur incapacité à le faire donne lieu à des actes de vengeance, à la destruction de tout ce qu'ils ne peuvent pas contrôler.

Ce qui est caché, c'est que la classe ouvrière, qui a créé ces énormes forces productives, peut les contrôler en les dirigeant dans le sens de servir l'humanité. C'est de cela que les impérialistes ont peur. C'est cette inéluctabilité qu'ils cherchent à éviter par tous les moyens. La proposition de créer un autre groupe de grandes puissances comme solution n'a même pas de chance de voir le jour. Aucun pays qui se respecte et qui est digne de son peuple n'acceptera jamais une telle tentative d'usurper le pouvoir au nom de grands idéaux.

L'évolution actuelle du monde montre que l'autorité des anciennes formes créées à partir des constitutions issues des conceptions nées de l'effort pour éviter la guerre civile au pays n'a plus de base matérielle. De nouvelles formes, qui reconnaissent le droit des peuples de parler en leur propre nom, voient le jour. L'Ancien cherche à bloquer l'action de la classe ouvrière, nécessaire en cette conjoncture historique pour ouvrir une voie de progrès dans chaque pays ainsi qu'au niveau international. L'Ancien et ses représentants, tels que les pays qui composent le G7, agissent pour bloquer la libre expression de la volonté de la classe ouvrière et son droit de faire ses réclamations à la société.

Devant la fraude des États-Unis et les propositions comme le « concert des puissances », il est nécessaire de garder à l'esprit l'action humaine, sa capacité d'agir, et les conditions qui existent, avec leur système matériel et leurs processus. Les changements à l'avantage des peuples sont basés sur l'action humaine qui trouve et occupe des ouvertures, comme c'est le cas avec les batailles pour une réponse globale centrée sur l'humain à la COVID-19 et les batailles menées contre les attaques racistes organisées par l'État et pour la responsabilité et l'égalité. Les tentatives pitoyables de bloquer ces ouvertures et de détourner les mouvements vers d'anciennes formes telles que les relations proposées par le CFR ne tiennent à presque rien. Les peuples, dans leurs luttes, font émerger le Nouveau, en élaborant de nouvelles formes et de nouveaux contenus qui leur donnent un pouvoir d'agir et de décider. Leurs efforts sont imprégnés d'un désir d'harmonisation des intérêts et de l'esprit internationaliste que l'on retrouve dans la lutte contre la COVID-19, dans la défense des immigrants et des réfugiés, dans le soutien à la Palestine et dans de nombreuses autres batailles menées comme une seule humanité engagée dans une seule lutte pour les droits de tous.

Note

1. Richard N. Haass et Charles A. Kupchan, Foreign Affairs Magazine, 23 mars 2021


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 13 - 11 juin 2021

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