La proposition impérialiste américaine de ressusciter le «concert des puissances» pour servir la quête de domination des États-Unis
- Kathleen Chandler -
Récemment, le Council on Foreign Relations (CFR)
des États-Unis a présenté un nouveau projet avec
lequel il espère pouvoir unir la bureaucratie
militaire, industrielle et financière/civile des
États-Unis et imposer à leurs alliés son monopole
sur les prises de décisions et l'usage de la
force. Le CFR est un groupe de réflexion américain
établi il y a longtemps qui rassemble les factions
rivales de la classe dirigeante américaine dans le
but de concevoir une politique étrangère
américaine qui puisse être considérée comme
justifiant tout ce que les États-Unis font. À
l'heure actuelle, le CFR propose ce qu'il appelle
un « concert des puissances » pour s'attaquer aux
questions des relations internationales.
Le CFR fait partie
de ceux dont le point de départ est l'affirmation
que nous vivons dans une période de transition
parce que la puissance des États-Unis est en
déclin. « Dans un article intitulé « Comment
prévenir les catastrophes et promouvoir la
stabilité dans un monde multipolaire ? », le CFR
dit : « L'histoire montre clairement que de telles
périodes de changement tumultueux s'accompagnent
de grands périls. En effet, les conflits entre
grandes puissances sur la hiérarchie et
l'idéologie conduisent régulièrement à des guerres
majeures. Pour éviter cette issue, il faut
reconnaître sagement que l'ordre libéral dirigé
par l'Occident qui a émergé après la Seconde
Guerre mondiale ne peut pas ancrer la stabilité
mondiale au XXIe siècle. La recherche d'une voie
viable et efficace est en cours[1].
» La thèse est qu'un groupe directeur de grandes
puissances est la meilleure option pour gérer un
monde intégré qui n'est plus présidé par un
hégémon. Bien entendu, les États-Unis choisissent
« les grandes puissances » qui composeront le
groupe, choisissent les règles et les sanctions en
cas de non-respect des règles pour finir avec
l'affirmation que l'hégémon a survécu pour voir un
autre jour.
Alors que le président Joe Biden et ses
homologues canadiens vantent la supériorité des «
valeurs partagées » des pays du G7 et de l'OTAN et
la nécessité d'obliger tout le monde à obéir ou à
se méfier de leur puissance militaire, le groupe
de réflexion se livre à des lamentations sur ce
qu'il perçoit comme le déclin des États-Unis et
des démocraties libérales. Le fait que les
conditions qui ont donné naissance aux
institutions de la démocratie libérale n'existent
plus et que les peuples du monde les ont rejetées
n'est pas discuté. Tout ce qui compte, c'est de
les ressusciter dans le vain espoir que le passé
des États-Unis en tant que « nation indispensable
» se projettera dans l'avenir et que les
États-Unis émergeront comme le dernier homme
debout, quoi qu'il arrive – le seul survivant des
batailles qui font rage dans le monde, alors que
tous les autres sont tombés. Il s'agit d'un
plaidoyer ahistorique désespéré pour l'obéissance,
une proposition ridicule qui a déjà échoué et qui
remonte à la période précédant la Première Guerre
mondiale, lorsque la première tentative de
parvenir à un équilibre entre les grandes
puissances d'Europe, appelée le Concert européen,
s'est fracassée sur les rochers de la guerre de
Crimée en 1853.
Le CFR juxtapose la voie et les valeurs des
États-Unis et des autres nations « civilisées » à
ce qu'il appelle l'« illibéralisme et la
dissension populiste » d'une « Chine en plein
essor » et d'une « Russie pugnace » qui, selon
lui, remettent en question « l'autorité de
l'Occident et ses approches républicaines de la
gouvernance intérieure et internationale ».
« Alors que l'Asie poursuit son ascension
économique, deux siècles de domination occidentale
du monde, d'abord sous la Pax Britannica puis sous
la Pax Americana, touchent à leur fin. L'Occident
est en train de perdre non seulement sa domination
matérielle mais aussi son emprise idéologique.
Dans le monde entier, les démocraties sont la
proie de l'illibéralisme et des dissensions
populistes, tandis que la Chine montante, assistée
d'une Russie pugnace, cherche à contester
l'autorité de l'Occident et ses approches
républicaines de la gouvernance nationale et
internationale. Le président des États-Unis, Joe
Biden, s'est engagé à rénover la démocratie
américaine, à restaurer le leadership des
États-Unis dans le monde et à maîtriser une
pandémie aux conséquences humaines et économiques
dévastatrices. Mais la victoire de Joe Biden a été
serrée ; d'un côté comme de l'autre de
l'Atlantique, le populisme furieux ou les
tentations illibérales ne s'apaiseront pas
facilement. En outre, même si les démocraties
occidentales parviennent à surmonter la
polarisation, à repousser l'illibéralisme et à
relancer l'économie, elles n'empêcheront pas
l'avènement d'un monde à la fois multipolaire et
idéologiquement diversifié. »
Devant ce qu'il voit comme le déclin des
États-Unis, le CFR tente de trouver un moyen pour
les États-Unis de s'en sortir d'une manière ou
d'une autre afin de continuer à être la puissance
« indispensable » du monde. Le CFR est obligé de
revenir en arrière pour trouver des réponses, dans
ce cas à une ancienne forme appelée le Concert
européen. Il déclare : « Le meilleur véhicule pour
promouvoir la stabilité au XXIe siècle est un
concert mondial des grandes puissances. Comme l'a
démontré l'histoire du Concert européen au XIXe
siècle - ses membres étaient le Royaume-Uni, la
France, la Russie, la Prusse et l'Autriche - un
groupe directeur de pays dirigeants peut freiner
la concurrence géopolitique et idéologique qui
accompagne généralement la multipolarité. » Il
faudrait faire abstraction du fait que ce groupe
directeur n'a rien « freiné » lorsqu'il s'agissait
de poursuivre les intérêts nationaux des
États-Unis tel qu'il les voyait. Le CFR appelle à
un nouveau groupement comprenant la Chine, l'Union
européenne, l'Inde, le Japon, la Russie et les
États-Unis.
Ainsi, le CFR appelle à la création d'un autre
club exclusif tout en refusant de reconnaître les
efforts des peuples du monde pour affirmer leur
droit d'être et de développer des arrangements
politiques où les peuples eux-mêmes gouvernent et
décident. Il ferme également les yeux sur les
leçons de l'histoire. Leur Concert européen
remonte à 1814, ce qui signifie qu'il précède même
le Grand Jeu de Lord Palmerston qui a été
introduit dans les années 1850 et a mis la
géopolitique sur une base moderne, pour ainsi
dire. Cette politique a déclenché la ruée
impérialiste vers l'Afrique et s'est terminée par
la Première Guerre mondiale, qui a réduit en
miettes trois empires, l'Empire des tsars russes,
l'Empire austro-hongrois et l'Empire ottoman,
tandis que la Britannia n'a plus jamais
régné sur les mers. Le Concert européen n'a pas
équilibré les puissances rivales et a en fait
contribué à leur disparition dans ces conditions.
Dans les conditions actuelles, la guerre n'est
plus la continuation de la politique par d'autres
moyens, finalement réglée par des négociations
pour établir une fois de plus la paix en faveur du
vainqueur. La guerre n'est pas ce qui arrive
lorsque les négociations échouent, car il n'y a
pas de négociations. S'il n'y a pas de
négociations, il ne peut y avoir de traités de
paix contenant des conditions qui normalement
devraient lier les parties concernées. Le retrait
des troupes américaines d'Afghanistan n'a pas été
négocié et n'a pas non plus mis fin à la guerre
d'agression et à l'occupation de l'Afghanistan. Au
moins 18 000 contracteurs privés restent en
Afghanistan, sous le commandement du Pentagone.
Le traité que les États-Unis ont signé avec
l'Iran est un autre exemple. Les États-Unis
violent ces traités en toute impunité, alors même
que l'Iran et parfois les signataires européens
tentent de les faire respecter. Ou encore des
traités tels que ceux qui lient les membres de
l'Organisation mondiale du commerce, qui n'ont
aucun poids parce que les États-Unis les défient
et que personne ne prend de mesures pour les en
empêcher. Les États-Unis menacent les pays qui
songent à ne pas se soumettre de bombardements,
agression, occupation, assassinats, etc. Ils
fixent la direction sur la base de ces actions et
menaces qui prennent de nombreuses formes. Les
États-Unis dictent la direction par ces actions et
menaces qui prennent de nombreuses formes,
notamment les régimes de sanctions
criminelles – en soi des actes de
guerre – et l'utilisation d'armes comme la
privation de prêts ou de vaccins pour les pays
ciblés ou le vol de leurs réserves d'or et de
leurs comptes bancaires ou propriétés.
Tout cela montre que les négociations n'existent
plus et que, si les pays visés ne se soumettent
pas, ils seront soumis à des guerres de
destruction des forces productives humaines. C'est
ce qui s'est passé depuis l'opération Tempête du
désert, avec des conséquences désastreuses non
seulement pour l'Afghanistan, l'Irak, le Yémen, la
Syrie, la Libye et la Palestine, mais aussi pour
les millions de personnes qui sont obligées de
migrer d'Afrique, ou du Mexique et d'Amérique
centrale et des Caraïbes, ou comme travailleurs
sous contrat, travailleurs sous visa, travailleurs
migrants, etc. L'objectif est de faire en sorte
que ce soit la volonté de domination des
États-Unis qui dicte l'objectif auquel tout monde
doit réagir.
Malgré cette réalité, selon le CFR, « les
démocraties et les non-démocraties seraient sur un
pied d'égalité, et que l'inclusion serait fonction
de la puissance et de l'influence, et non des
valeurs ou du type de régime. Les membres du
concert représenteraient collectivement environ 70
% du PIB mondial et des dépenses militaires
mondiales. L'inclusion de ces six poids lourds
dans les rangs du concert lui conférerait un poids
géopolitique tout en évitant qu'il ne devienne un
salon de discussion peu maniable. » Le CFR présume
que le « concert des puissances » mettra fin au G7
et au G20 et à leurs déclarations publiques et
réunions.
Dans tout cela, il n'y a aucune reconnaissance du
fait que les États-Unis sont sur un pied de guerre
permanent, que les guerres ne sont pas la
continuation de la politique par d'autres moyens
mais des actes de destruction, et que les
négociations ont été éliminées en faveur du
gouvernement par décret et de l'utilisation des
pouvoirs de police. Il en est ainsi, qu'il
s'agisse de mettre fin à des guerres, de régler
des différends dans des organes dysfonctionnels
comme les assemblées législatives et les
parlements, ou de régler des différends entre
employeurs et travailleurs et dans des affaires
liées aux cartels et aux coalitions impliquant des
oligopoles, des gouvernements et des intérêts
financiers.
En plus de ne pas reconnaître le rôle des
peuples, le CFR refuse de voir que dans les
conditions actuelles, ce ne sont pas les
États-nations mais les oligopoles qui s'efforcent
de tout contrôler et de politiser leurs intérêts
privés étroits en s'emparant et en contrôlant des
États que l'on disait autrefois souverains.
L'intégration à la machine de guerre américaine,
comme ce que les États-Unis font avec le Canada,
le Mexique et maintenant l'Amérique centrale et
les Caraïbes, en fait partie. Le « concert des
puissances » du CFR est un moyen de saper
davantage et d'éliminer le droit et les normes
internationales et de les remplacer par un ordre
international soi-disant fondé sur des règles.
Cela est fait pour éliminer les peuples et leurs
luttes de l'équation tout en renforçant
l'hégémonie et la dictature des États-Unis.
Dans le cadre du remplacement du droit
international et de ses normes exécutoires, le
concert mondial des puissances encourage le rejet
des « règles codifiées », c'est-à-dire du droit
international : « Un concert mondial éviterait les
règles codifiées, s'appuyant plutôt sur le
dialogue pour construire un consensus. Comme le
Concert européen, il privilégierait le statu quo
territorial et une vision de la souveraineté qui
exclut, sauf en cas de consensus international, le
recours à la force militaire ou à d'autres outils
coercitifs pour modifier les frontières existantes
ou renverser des régimes. Cette base de référence
relativement conservatrice encouragerait
l'adhésion de tous les membres. Dans le même
temps, le concert serait le lieu idéal pour
discuter de l'impact de la mondialisation sur la
souveraineté et de la nécessité éventuelle de
refuser l'immunité souveraine aux nations qui se
livrent à certaines activités abominables. Ces
activités pourraient inclure la perpétration d'un
génocide, l'hébergement ou le parrainage de
terroristes, ou l'aggravation du changement
climatique par la destruction des forêts
tropicales. »
En d'autres termes,
ce sont elles qui établissent les règles et c'est
donc elles qui les interprètent. La fraude d'un
club exclusif de six puissances qui prend des
décisions qui affectent le monde entier est
évidente, mais le CFR affirme néanmoins que sa
proposition « l'emporte par défaut ».
Les arguments sont si incohérents et si faibles
qu'il est évident que les porte-parole de
l'impérialisme américain sont au bout de désespoir
et ne peuvent concevoir une alternative au système
qui a embourbé dans la crise les États-Unis, le G7
et d'autres institutions établies sous la tutelle
des États-Unis au lendemain de la Deuxième Guerre
mondiale. Des propositions comme celle d'établir
un « concert des puissances » ne tiennent pas
compte des énormes développements des forces
productives humaines qui ont lieu indépendamment
de la volonté et du contrôle de quiconque. Les
impérialistes américains font régner l'anarchie et
la violence pour tenter de contrôler l'explosion
des forces productives qui ne peuvent être
contrôlés. Leur incapacité à le faire donne lieu à
des actes de vengeance, à la destruction de tout
ce qu'ils ne peuvent pas contrôler.
Ce qui est caché, c'est que la classe ouvrière,
qui a créé ces énormes forces productives, peut
les contrôler en les dirigeant dans le sens de
servir l'humanité. C'est de cela que les
impérialistes ont peur. C'est cette inéluctabilité
qu'ils cherchent à éviter par tous les moyens. La
proposition de créer un autre groupe de grandes
puissances comme solution n'a même pas de chance
de voir le jour. Aucun pays qui se respecte et qui
est digne de son peuple n'acceptera jamais une
telle tentative d'usurper le pouvoir au nom de
grands idéaux.
L'évolution actuelle du monde montre que
l'autorité des anciennes formes créées à partir
des constitutions issues des conceptions nées de
l'effort pour éviter la guerre civile au pays n'a
plus de base matérielle. De nouvelles formes, qui
reconnaissent le droit des peuples de parler en
leur propre nom, voient le jour. L'Ancien cherche
à bloquer l'action de la classe ouvrière,
nécessaire en cette conjoncture historique pour
ouvrir une voie de progrès dans chaque pays ainsi
qu'au niveau international. L'Ancien et ses
représentants, tels que les pays qui composent le
G7, agissent pour bloquer la libre expression de
la volonté de la classe ouvrière et son droit de
faire ses réclamations à la société.
Devant la fraude des États-Unis et les
propositions comme le « concert des puissances »,
il est nécessaire de garder à l'esprit l'action
humaine, sa capacité d'agir, et les conditions qui
existent, avec leur système matériel et leurs
processus. Les changements à l'avantage des
peuples sont basés sur l'action humaine qui trouve
et occupe des ouvertures, comme c'est le cas avec
les batailles pour une réponse globale centrée sur
l'humain à la COVID-19 et les batailles menées
contre les attaques racistes organisées par l'État
et pour la responsabilité et l'égalité. Les
tentatives pitoyables de bloquer ces ouvertures et
de détourner les mouvements vers d'anciennes
formes telles que les relations proposées par le
CFR ne tiennent à presque rien. Les peuples, dans
leurs luttes, font émerger le Nouveau, en
élaborant de nouvelles formes et de nouveaux
contenus qui leur donnent un pouvoir d'agir et de
décider. Leurs efforts sont imprégnés d'un désir
d'harmonisation des intérêts et de l'esprit
internationaliste que l'on retrouve dans la lutte
contre la COVID-19, dans la défense des immigrants
et des réfugiés, dans le soutien à la Palestine et
dans de nombreuses autres batailles menées comme
une seule humanité engagée dans une seule lutte
pour les droits de tous.
Note
1.
Richard N. Haass et Charles A. Kupchan, Foreign
Affairs Magazine, 23 mars 2021
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 13 - 11 juin 2021
Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/Lml2021/Articles/LS51136.HTM
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