Les valeurs contenues dans la Charte de Paris

Extrait du discours principal prononcé par Hardial Bains lors du Séminaire international sur le communisme et les exigences de la démocratie moderne, tenu à Chicago le 8 octobre 1994. Le discours s'intitule « Crise des valeurs : pour une théorie politique indienne moderne ».

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Alors que s'effondrait l'Union soviétique, tous les pays d'Europe sauf l'Albanie (qui a signé plus tard) de même que le Canada et les États-Unis, se sont réunis à Paris le 14 novembre 1990 et en grandes pompes ont signé un document intitulé : Charte de Paris pour une Europe nouvelle. Cette charte venait affirmer la supériorité de ce qui était devenu périmé depuis longtemps. Une Europe nouvelle fondée sur une telle charte devait forcément s'enliser dans une crise des valeurs, puisque les définitions modernes et les aspirations des peuples au progrès se heurtaient aux tentatives d'enchaîner le monde à nouveau. C'était une proclamation de la bourgeoisie d'Europe, des États-Unis et du Canada, sous l'empire des monopoles, en appui à l'économie de marché, au pluralisme et à une définition des droits humains fondée sur leur notion particulière de démocratie.

La Charte stipule :

« Nous entreprenons de bâtir, consolider et renforcer la démocratie en tant que seul système de gouvernement de nos nations. Dans cette entreprise, nous nous en tiendrons à ce qui suit :

« Les droits de l'homme et les libertés fondamentales sont des droits de naissance de tout être humain. Ils sont inviolables et garantis par la loi. Leur protection et leur promotion sont la responsabilité première du gouvernement. Leur respect est un rempart essentiel contre un État omnipotent. L'observance et le plein exercice de ces droits et libertés sont les fondements de la liberté, de la justice et de la paix.

« Tout gouvernement démocratique est fondé sur la volonté du peuple telle qu'exprimée régulièrement à travers des élections justes et libres. La démocratie a comme fondement le respect de la personne humaine et un État de droit. La démocratie est la meilleure garantie de la liberté d'expression, de la tolérance pour tous les groupes dans la société et de l'égalité des chances pour tous.

« La démocratie, avec ses caractères représentatif et pluraliste, suppose la responsabilité envers l'électorat, l'obligation pour les autorités publiques de se soumettre à la loi et à l'administration impartiale de la justice. Personne n'est au-dessus de la loi.

« Nous affirmons que tous les individus, sans discrimination, ont le droit à :
- la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de croyance;
- la liberté d'expression;
- la liberté d'association et de rassemblement pacifique;
- la liberté de mouvement.

« Personne ne sera :
- soumis à une arrestation ou détention arbitraire;
- soumis à la torture ou à tout autre traitement ou châtiment cruel, inhumain ou dégradant.

« Tout être humain a le droit :
- de connaître ses droits et d'agir en vertu de ceux-ci;
- de participer dans des élections justes et libres; à un procès juste et public s'il est accusé d'un délit ou d'un méfait;
- de détenir une propriété, seul ou en association et d'exploiter une entreprise;
- de jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels.

« De plus :

« La liberté économique, la justice sociale et la responsabilité environnementale sont indispensables à la prospérité.

« Le libre arbitre de chaque individu exercé en démocratie et protégé par un État de droit constitue le fondement du succès du développement économique et social.

« Nous encouragerons toute activité économique qui respecte et soutient la dignité humaine.

« La liberté et le pluralisme politique sont des éléments nécessaires à nos objectifs communs de développement des économies de marché vers une croissance économique soutenable, la prospérité, la justice sociale, un nombre croissant d'emplois et une utilisation efficace des ressources économiques. Il est important et dans notre intérêt à tous que soient couronnés de succès les efforts des pays qui tentent une transition vers une économie de marché. Leur succès nous permettra à tous de partager un niveau plus élevé de prospérité, ce qui est notre objectif commun. »

En conclusion, la Charte de Paris déclare :

« Conscients des besoins pressants d'une grande partie du monde, nous nous engageons à nous solidariser avec tous les autres pays. De Paris, nous lançons donc un appel à toutes les nations du monde. Nous sommes prêts à nous joindre à tout État dans un effort commun pour protéger et faire avancer la communauté des valeurs humaines fondamentales. »

Quand on considère la Charte de Paris comme un tout, il est clair qu'il s'agissait d'une déclaration de la vieille Europe, de concert avec les États-Unis et le Canada, d'une tentative de présenter de vieilles définitions au monde, définitions qu'elle espérait faire passer pour quelque chose de moderne et dont elle pourrait se servir pour dominer le monde à nouveau.

Mais la Charte de Paris n'a pas résolu la crise des valeurs. Au contraire, cette crise s'est aggravée lorsqu'on a tenté d'imposer cette charte au monde dans cette nouvelle situation qui venait de se créer avec la fin de la division bipolaire du monde.

La signature de la Charte de Paris constituait aussi un engagement de l'impérialisme anglo-américain à poursuivre la guerre froide dans les nouvelles conditions et de proclamer sa victoire sur le communisme. Au centre de cette crise des valeurs, il y a le fait qu'aujourd'hui les valeurs européennes – enchâssées dans la Charte de Paris – sont imposées au monde entier. La crise des valeurs s'approfondit du fait que partout dans le monde des pays et des peuples y résistent.

Où les valeurs de la Charte de Paris trouvent-elles leur origine ? Dans la conception anglo-américaine de la démocratie, datant de la guerre froide, une conception qui a pour objectif l'anticommunisme et le développement du système impérialiste en faveur de l'impérialisme américain – même si aujourd'hui les Allemands, les Japonais, les Français, les Britanniques et d'autres contestent la domination américaine. Pour l'instant toutes ces puissances ont intérêt à proclamer ces valeurs, quitte à plus tard mettre de l'avant les leurs. Tôt ou tard il y aura affrontement, entre elles, mais aussi avec d'autres forces expansionnistes qui ont des valeurs propres : la Chine, la Russie, ou encore ce qu'on appelle l'Asie ou l'Islam, pour ne nommer que celles-là. Une manifestation de ce phénomène est l'opposition à ce qu'on appelle l'« intégrisme islamique » à partir d'un point de vue eurocentrique, ou l'opposition à la position exprimée par l'Indonésie, l'Inde et d'autres pays sur les droits humains, sans parler de l'affrontement avec des forces carrément médiévales comme le Vatican.

Cette notion anglo-américaine de la démocratie et des valeurs qui l'accompagnent sont l'expression de l'ensemble de l'évolution de la bourgeoisie, de son apparition à son déclin de la société civile et de l'ordre mondial auxquels elle a donné naissance à la défense de la propriété privée – bref, elle est l'expression des développements qui ont marqué les périodes coloniale et postcoloniale et la période s'étendant de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à nos jours. L'affrontement se situe au niveau des « valeurs » parce que les conditions concrètes dans chaque pays exigent une solution. Le vieux système de démocratie qui existe aujourd'hui de par le monde a besoin d'être remplacé. Il doit faire place à un nouveau système fondé sur des définitions modernes. Au lieu d'aborder les problèmes politiques à partir d'une théorie politique moderne, qui ne soit plus fondée sur les notions dépassées du XIXe siècle comme celles de « bon gouvernement », de l'État de droit et de la nationalité, on prétend maintenant que l'affrontement porte sur les valeurs. Au fond, l'affrontement au niveau des valeurs est une opposition entre le progrès et la rétrogression. [...]

(Paru originalement dans Discussion, revue trimestrielle, hiver 1994-1995)


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 13 - 11 juin 2021

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