Lettre de la majorité des partis enregistrés à l'arbitre en matière de radiodiffusion
Le 8 novembre 2020
Mme Monica Song
Arbitre en matière de radiodiffusion
Objet : Répartition de 2020 du temps d'émission
Félicitations pour votre nomination à titre
d'arbitre en matière de radiodiffusion. Nous
serons heureux de travailler avec vous.
Nous, soussignés, vous proposons par la présente
d'utiliser les pouvoirs discrétionnaires accordés
à l'arbitre en matière de radiodiffusion par la Loi
électorale du Canada (LEC) pour répartir
équitablement le temps d'émission de 2020 entre
tous les partis politiques enregistrés. Nous
pensons qu'un tel usage de votre pouvoir
discrétionnaire est approprié parce que toute
répartition qui n'est pas fondée sur le principe
de l'égalité est non seulement injuste pour tous,
sauf pour les plus grands partis déjà représentés
au Parlement, mais elle est également contraire à
l'intérêt public.
Lorsqu'une ressource publique, comme le temps
d'antenne des élections, est mise à la disposition
des partis politiques enregistrés, elle ne doit
pas être utilisée pour avantager certains partis
au détriment de d'autres. Une répartition fondée
soit sur la formule législative, soit sur l'«
approche modifiée 50-50 » de 2019 ne respecte pas
le principe démocratique qui consiste à permettre
aux Canadiens d'exercer un vote éclairé.
Les arguments pour justifier le traitement
préférentiel de certains partis ont été avancés
pour la première fois dans les années 1930, avant
même que les partis politiques ne soient reconnus
dans la LEC. Ces arguments s'articulaient
autour d'un concept d'élections « libres et
équitables » dans lequel certains partis devaient
être avantagés par du temps d'antenne public s'ils
avaient une chance raisonnable de former un
gouvernement majoritaire. À l'époque, cet objectif
était considéré comme « réalisable » pour
seulement deux partis politiques. Aujourd'hui, il
y a beaucoup plus de partis et les arguments selon
lesquels certains méritent plus de temps d'antenne
gratuit pour se faire entendre que d'autres ne
résistent pas aux normes démocratiques modernes.
En plus de la répartition injuste de temps
d'émission gratuit, la couverture de l'actualité
par les radiodiffuseurs et la presse écrite est
également très discriminatoire. L'élection
fédérale de 2019 a vu une suppression de
l'information sur les petits partis presque
complète par les médias nationaux.
De plus, non seulement pendant une élection, mais
aussi entre les élections, les partis politiques
qui ont des sièges à la Chambre des communes
reçoivent une couverture médiatique importante,
surtout le parti au pouvoir. D'autre part, les
médias érigent un mur de silence quasi hermétique
autour des petits partis, silence qui n'est brisé
qu'en de très rares occasions.
Au cours des trois dernières décennies, les
gouvernements successifs ont rejeté les
recommandations visant à modifier la répartition
du temps d'émission pour la rendre démocratique.
Dès la Commission royale sur la réforme électorale
de 1992, l'iniquité du régime et son incapacité à
contribuer à un vote éclairé ont été signalées
comme un problème. Les observations de la
Commission royale comprenaient un sondage montrant
que plus de 53 % des Canadiens voulaient en savoir
plus sur les petits partis.
Depuis deux décennies, Élections Canada
recommande la répartition égale du temps gratuit
entre tous les partis politiques enregistrés. En
2001, le directeur général des élections de
l'époque, Jean-Pierre Kingsley, a soutenu que
l'utilisation de la formule du temps payé pour
déterminer le temps gratuit « défavorise les
petits partis et les nouveaux partis, car ils
n'ont pas les ressources des partis bien établis
pour payer le temps d'antenne, ce qui fait qu'on
leur accorde aussi moins de temps gratuit ».
Cette recommandation a été formulée après que la
Cour d'appel de l'Alberta eut statué, en 1995, que
la répartition du temps d'émission payant ne
pouvait plus être utilisée comme une limite au
temps d'émission qu'un parti peut acheter. Ainsi,
l'argument selon lequel la formule de répartition
de temps payant sert à empêcher un parti disposant
de plus d'argent de dominer les ondes a été
invalidé. Tout parti peut acheter autant de
publicités qu'il le souhaite, tant qu'il ne
dépasse pas les limites de dépenses.
Après le jugement de la Cour suprême du Canada en
2003 [Figueroa c. Canada (Procureur général)],
le directeur général des élections a ajouté que le
régime de répartition est potentiellement une
violation de la Charte des droits et libertés.
Dans cette affaire, le gouvernement a soutenu que
les violations du droit d'élire et d'être élu en
vertu de la Charte pouvaient être justifiées parce
que « Le parti qui ne participe pas aux élections
dans le but de former le gouvernement ou, du
moins, de remporter un nombre substantiel de
sièges au Parlement n'est pas en mesure de
favoriser la représentation effective. » La Cour
suprême n'était pas d'accord. Elle a estimé que
des dispositions législatives éclairées par
l'objectif de donner naissance à une forme
particulière de gouvernement responsable était «
problématique ».
« L'adoption d'une loi dans le but exprès de
réduire les chances qu'une certaine catégorie de
candidats se fasse élire est non seulement
contraire aux principes d'une société libre et
démocratique, mais elle constitue l'antithèse de
ces principes », a déclaré la Cour suprême.
Après l'élection fédérale de 2015, le directeur
général des élections, Marc Mayrand, a réitéré la
recommandation de M. Kingsley de 2001. Le Comité
permanent de la procédure et des affaires de la
Chambre a promis de « réexaminer » la question
plus tard, une promesse qui n'a pas été tenue.
La répartition actuelle du temps d'antenne
profite aux partis politiques qui ont des sièges à
la Chambre des communes – certains plus que
d'autres – au détriment des partis qui n'ont pas
de siège à la Chambre. Elle n'est ni raisonnable
ni perçue comme étant démocratique.
Pour habiliter les Canadiens à exercer leur droit
à un vote éclairé, il faut des mesures qui, à tout
le moins, les informent correctement de la
présence et des positions de tous ceux qui
participent à une élection.
Nous ne pouvons qu'espérer que le 9 novembre, les
représentants de tous les partis politiques
enregistrés, et en particulier ceux qui ont des
sièges à la Chambre des communes, feront un petit
pas, mais un pas important, en faveur d'un vote
éclairé en appuyant la répartition égale du temps
d'émission.
Respectueusement soumis,
Liz White, Animal Protection Party of
Canada
Partap Dua, Quatrième Front du Canada
Rodney Taylor, Parti de l'Héritage
Chrétien du Canada
Liz Rowley, Parti communiste du Canada
Coreen Corcoran, Parti Libertarien du
Canada
Blair Longley, Parti Marijuana
Anna Di Carlo, Parti Marxiste-Léniniste
du Canada
Stephen Garvey, Alliance Nationale des
Citoyens du Canada
Sébastien CoRhino, Parti Rhinocéros
Ken Ranney, Arrêtons le changement
climatique
Randy Joy, Parti de la Coalition des
anciens combattants du Canada
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 8 - 21 mars 2021
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