Sur le droit à un vote éclairé
Les petits partis exigent l'abolition des privilèges de radiodiffusion électorale et défendent le droit à l'égalité et à un vote éclairé
Dans ce numéro, Le Marxiste-Léniniste
publie une lettre soumise par 11 des 20 partis
enregistrés du Canada demandant à l'arbitre en
matière de radiodiffusion Monica Song d'utiliser
les pouvoirs discrétionnaires de sa fonction pour
faire respecter le droit à un vote éclairé en
allouant du temps d'antenne pour la publicité
électorale télévisée et radiophonique de manière
égale à tous les partis, et pressant les autres
partis à soutenir cette position. La lettre a été
présentée à une réunion des partis politiques
enregistrés convoquée par l'arbitre en novembre
2020 pour déterminer la répartition du temps
d'émission à la prochaine élection générale.
La Loi électorale du Canada
comprend une « formule législative » pour la
répartition du temps d'émission électoral, payant
et gratuit, entre partis politiques enregistrés.
Adoptée en 1974, cette formule utilise des
facteurs de pondération fondés sur la performance
électorale antérieure d'un parti pour répartir le
temps d'émission : le nombre de sièges qu'il a
remportés à l'élection précédente, le pourcentage
de votes qu'il a obtenus et le nombre de candidats
qu'il a présentés. La formule est d'abord utilisée
pour diviser les 390 minutes aux heures de grande
écoute que certains réseaux autorisés par une
licence doivent chacun mettre à la disposition des
partis politiques pendant une campagne électorale.
La même proportion de temps est ensuite utilisée
pour répartir une plus petite quantité de temps
gratuit que les réseaux doivent fournir pour les
publicités électorales, à une heure de diffusion
choisie par le réseau. La quantité de temps payant
allouée à un parti déterminait également le temps
maximum qu'un parti enregistré pouvait acheter,
mais en 1993 cet aspect de la loi a été invalidé
puisque considéré comme une restriction
inconstitutionnelle de la liberté d'expression.
Aujourd'hui, le seul rôle réel du régime de
radiodiffusion est de répartir le temps gratuit
sur une base inégale. Un parti peut acheter autant
de publicité que ses moyens lui permettent, tant
qu'il ne dépasse pas la limite des dépenses
électorales.
Le régime de radiodiffusion de la Loi électorale
était initialement administré par le président du
Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes (CRTC). En 1993, la
Loi électorale a été modifiée pour créer le poste
d'arbitre en matière de radiodiffusion, doté de
pouvoirs discrétionnaires lui permettant de
modifier la répartition si elle est « inéquitable
pour l'un des partis enregistrés ou contraire à
l'intérêt public ». L'arbitre en matière de
radiodiffusion est tenu de convoquer une réunion
annuelle de tous les partis enregistrés pour
délibérer sur la répartition du temps d'émission
dans le but supposé d'établir un consensus. En
l'absence d'un consensus, c'est l'arbitre qui
décide.
La réunion pour la répartition du temps d'antenne
de novembre 2020 a donné lieu à une discussion
intense au cours de laquelle les petits partis ont
fait valoir la nécessité de défendre le principe
d'égalité. Le Parti libéral est le seul parti à la
Chambre à avoir tenté de défendre la loi telle
qu'elle est, affirmant qu'elle reflète la «
volonté des Canadiens » puisqu'elle a été adoptée
par le Parlement. Tous les partis représentés à la
Chambre des communes ont voté contre le principe
de l'égalité.
En janvier, l'arbitre en matière de
radiodiffusion a rendu sa décision, confirmant ce
que l'on appelle l'« approche modifiée 50-50 »,
selon laquelle 50 % du temps disponible est
attribué de manière égale et l'autre moitié selon
la formule législative. Sur cette base, les cinq
partis de la Chambre des communes se sont vu
attribuer 58 % du temps d'antenne disponible. Les
libéraux et les conservateurs se retrouvent avec
77,5 et 70 minutes respectivement, le NPD 33
minutes, le Bloc québécois 23 et les Verts 16. Le
Parti marxiste-léniniste du Canada (PMLC) a le
droit d'acheter 9 minutes, les autres petits
partis disposant également de 6 à 9 minutes[1].
Depuis l'adoption de ce régime, treize élections
fédérales ont eu lieu, chacune avec une
répartition du temps d'antenne qui privilégie les
partis politiques en place. L'élection fédérale de
1979 a été la première à se tenir sous le régime
de radiodiffusion, à une époque où il y avait six
partis enregistrés, dont le PMLC. Sur les 390
minutes disponibles, les libéraux en ont obtenu
155, les conservateurs (alors
progressistes-conservateurs) 134 et le NPD 63. Le
Crédit social a eu droit à 22 minutes. Le PMLC,
qui présentait 144 candidats dans cette élection,
s'est vu attribuer 8 minutes et le Parti
communiste la même chose.
Le 18 mai 1979, le PMLC a envoyé sa première
lettre de protestation à ce sujet au directeur
général des élections du Canada et au commissaire
du CRTC. Il s'opposait à la façon dont les médias
monopolisés divisent les partis politiques entre
partis « majeurs » et partis « mineurs » pour
justifier leur refus d'informer l'électorat sur
les opinions de tous les partis. Le PMLC
reprochait notamment au CRTC son échec à faire
respecter les dispositions de la Loi sur la
radiodiffusion qui stipulent que les médias
doivent fournir « la possibilité raisonnable et
équilibrée d'exprimer des vues différentes sur des
sujets qui préoccupent le public ».
La
lettre indiquait que « bien que le Parti
marxiste-léniniste soit tenu d'obéir à toutes
leurs lois, il n'a pas les mêmes droits. Les
[partis au pouvoir] ont tous les droits : ils
peuvent adopter des lois et peuvent appliquer
celles qui servent leurs intérêts, tandis que la
classe ouvrière et le peuple en général n'ont
aucun droit ». La lettre concluait que « les
résultats des élections ne peuvent être considérés
comme les résultats d'un processus démocratique,
même dans la définition la plus étroite du terme
».
En juin 1996, à l'initiative du PMLC, neuf partis
politiques enregistrés ont présenté une soumission
conjointe à l'arbitre en matière de
radiodiffusion, soulignant l'importance de
maintenir le droit à un vote éclairé et l'égalité
des partis politiques dans le contexte du
mécontentement politique croissant et de la perte
de crédibilité du processus électoral et politique[2], ce qui a été
confirmé par une lettre de suivi du leader
national du PMLC, Hardial Bains[3].
Cinq ans plus tard, le 1er juin 2001, le
directeur général des élections de l'époque,
Jean-Pierre Kingsley, recommandait au Parlement de
modifier la Loi électorale afin de séparer la
répartition du temps gratuit de la formule
législative. Il proposait d'augmenter le nombre de
stations tenues d'accorder du temps gratuit et de
répartir ce temps gratuit de façon égale entre
tous les partis politiques enregistrés. Sa
recommandation a été rejetée par la Chambre des
communes. Depuis, cette même recommandation a été
reprise par les directeurs généraux des élections,
Marc Mayrand et Stéphane Perrault, mais elle a été
rejetée à chaque fois par les partis à la Chambre
des communes.
La décision de l'arbitre en matière de
radiodiffusion, qui avantage certains partis
politiques par rapport à d'autres, n'est ni
raisonnable ni perçue comme étant démocratique.
Pour permettre aux Canadiens d'exercer leur droit
à un vote éclairé, il faut des mesures qui, à tout
le moins, les informent correctement de la
présence et des positions de tous ceux qui
participent à une élection.
Notes
1. Décision
de l'arbitre en matière de radiodiffusion sur
la répartition de 2020 du temps d'émission
payant, 8 janvier 2021
2. Lettre adressée à
l'arbitre en matière de radiodiffusion par
neuf partis politiques enregistrés, le 31 mai
1996
3. « Hardial Bains
adresse une lettre à l'arbitre en matière de
radiodiffusion », Le Marxiste-Léniniste
quotidien, 6 juillet 1996
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 8 - 21 mars 2021
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