Des sujets de préoccupation pour le corps politique

Le Parlement devient de moins en moins pertinent dans la prise de décisions

Le manque de pertinence du Parlement du Canada dans la prise de décisions importantes qui affectent l'avenir du pays est parfaitement évident à l'approche de la fin des travaux de la Chambre des communes et du Sénat le vendredi 17 décembre, 20 jours après l'ouverture de la législature. Il est de plus en plus difficile de voir dans les délibérations du Parlement canadien, qui est censé être un organe décisionnel, un but autre que d'être le lieu des querelles partisanes et des jeux de surenchère, lesquels ne font que discréditer davantage les partis cartellisés et le système de gouvernement de parti. Il y a absence de toute délibération sérieuse, sur quelque sujet que ce soit. Les problèmes urgents auxquels sont confrontés la population et le corps politique ne figurent pas à l'ordre du jour : de la crise climatique à la détérioration et à la précarité des conditions économiques qui voient l'utilisation des banques alimentaires monter en flèche et les travailleurs être traités comme des objets jetables, en passant par l'escalade de la violence contre les plus vulnérables et le déni des droits ancestraux des peuples autochtones, sans oublier l'instabilité de la situation internationale et la place qu'y occupe le Canada en tant que membre de l'OTAN.

Les délibérations du Parlement du Canada sont devenues un camouflage pour les décisions prises sur la base du fédéralisme exécutif. Les décisions sont également prises par des instances supranationales créées pour servir les intérêts néolibéraux des oligarques financiers mondiaux les plus puissants. Il est devenu courant pour les ministres et leurs suppléants de répondre aux questions sur ce que fait le gouvernement, par exemple sur des sujets liés à l'environnement ou à la pandémie de COVID-19, en débutant avec des phrases comme « nous consultons nos alliés », « nous travaillons avec nos partenaires » ou « nous discutons avec des pays aux vues similaires ».

L'insignifiance du Parlement a été illustrée par la formation d'un Comité spécial sur l'Afghanistan le 9 décembre, avec le soutien de tous les députés sauf les députés libéraux. La motion créant le comité avait comme préambule : « Étant donné que la dissolution du Parlement a rendu impossible pendant un certain temps la surveillance parlementaire en temps réel » de la chute de l'Afghanistan aux mains des talibans (parce que les élections avaient été déclenchées). Elle faisait valoir que le Comité spécial était nécessaire pour tenir des audiences et revoir les événements qui ont mené à la chute de l'Afghanistan. La raison pour laquelle le Canada était en Afghanistan n'est toutefois pas sujette à l'enquête, pas plus que l'imputabilité pour le désastre qui a résulté de la participation du Canada à l'agression américaine contre ce pays. Le Comité spécial se concentrera sur la façon dont le gouvernement a géré l'évacuation des personnes qui avaient collaboré avec les forces dirigées par l'OTAN en Afghanistan, mais il ne se penchera pas sur pourquoi les collaborateurs d'une agression et d'une occupation étrangères sont appelés des héros ou pourquoi les forces spéciales ukrainiennes formées par les forces spéciales canadiennes ont dû tirer les marrons du feu pour le Canada.

Pendant ce temps, dans l'ici-présent de la « surveillance parlementaire en temps réel », il n'y a pas eu la moindre délibération à la Chambre des communes avant que la nouvelle ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, et le nouveau ministre du Développement international, Harjit Sajjan, qui était auparavant au ministère de la Défense, aux commandes des forces canadiennes en Afghanistan, ne se rendent à la réunion des ministres des Affaires étrangères et du Développement du G7 du 10 au 12 décembre à Liverpool, en Angleterre. On savait que les États-Unis y imposeraient leur discours belliciste contre la Russie en ce qui concerne l'Ukraine. Le communiqué d'Affaires mondiales Canada pour l'occasion indique que « les ministres Joly et Sajjan chercheront à harmoniser les efforts du Canada avec ceux de partenaires aux vues similaires sur un certain nombre de priorités ». Rien de plus. Le communiqué indique que les ministres du G7 « échangeront également sur des questions géopolitiques urgentes, y compris la situation en Afghanistan, la Chine, la Corée du Nord, l'Éthiopie, l'Iran, le Myanmar, la Russie, le Soudan et l'Ukraine ». La ministre des Affaires étrangères, dont la principale expertise semble être sa capacité à inventer des façons de ne rien dire, a envoyé un gazouillis depuis Liverpool pour dire qu'elle était « impatiente d'avoir des discussions importantes avec mes collègues et de chercher des solutions réelles à certains des problèmes les plus pressants de notre époque ».

Les explications pour le manque de pertinence du Parlement

Le manque de pertinence du Parlement est devenu un sujet d'intérêt pour plusieurs experts. Un des aspects qui retient l'attention est l'extrême lenteur du Parlement à assumer ses fonctions après l'élection fédérale anticipée du 20 septembre, que le gouvernement prétendait nécessaire pour définir une nouvelle orientation dans les conditions de la pandémie. Le premier ministre Justin Trudeau, qui en est à son troisième mandat, a retardé la convocation du Parlement pendant plus de deux mois après cette élection qui a donné une Chambre des communes pratiquement identique à la précédente. Il a inauguré la session parlementaire avec un discours du Trône pratiquement identique aux déclarations d'intention qu'il avait publiées après la prorogation de la Chambre en août 2020.

Une fois le Parlement finalement réuni, le 22 novembre, le gouvernement n'a pas considéré que c'était une priorité de rétablir les comités parlementaires, qui sont censés être les forums permettant aux élus d'examiner les lois et d'étudier les questions importantes. Au 10 décembre, seuls deux comités avaient commencé leurs travaux : le Comité permanent des finances et le Comité permanent de la sécurité publique et nationale. La liste des membres de tous les autres comités a été déposée le 9 décembre et ceux-ci ont reçu l'ordre d'élire leur président avant que la Chambre n'ajourne ses travaux pour la pause de six semaines débutant le 17 décembre.

Par ailleurs, depuis le début de son deuxième mandat en octobre 2019, le gouvernement libéral a pris de nombreuses mesures et a tenté d'instituer des mesures caractérisées par un mépris de la Chambre des communes en tant qu'organe décisionnel présumé des représentants élus des Canadiens. Il a notamment tenté de déposer un projet de loi qui aurait donné au ministre des Finances le pouvoir d'augmenter les dépenses sans demander l'approbation du Parlement et de contester une décision du président de la Chambre devant la Cour fédérale lui ordonnant de fournir les documents demandés à la Chambre des communes.

Dans un éditorial du 9 décembre, le Globe and Mail déplore que la Chambre des communes ne sera pas « pleinement fonctionnelle » avant février. Il rappelle que depuis juin 2019, la Chambre n'a siégé que 169 jours. Il note que la prorogation d'août 2020 a servi à étouffer l'enquête sur le scandale de l'organisme UNIS et conclut : « M. Trudeau préfère de toute évidence ne pas être tenu responsable par les institutions démocratiques auxquelles il prétend croire. Il semble même qu'il se considère au-dessus de ces institutions [...]. Mais M. Trudeau n'est pas au-dessus du Parlement. Dans un gouvernement minoritaire, il n'est premier ministre qu'au bon plaisir de la Chambre des communes. Ce n'est pas à lui d'étouffer le débat et l'examen minutieux qui sont l'oxygène de notre démocratie, et le fait qu'il continue à s'en sauver devrait inquiéter tous les Canadiens. »

Dans la même veine, d'autres experts politiques ont appelé le premier ministre « M. Tergiversation » et ont inventé un terme pour décrire la lenteur du fonctionnement du Parlement comme étant « le temps de Justin ». L'absence de lettres de mandat pour les ministres du Cabinet est également dénoncée, surtout qu'au début de son premier mandat Justin Trudeau avait fait si grand cas de ces lettres comme outils essentiels avec lesquels son gouvernement allait assurer la « transparence » et la « responsabilité ». Des « sources » du gouvernement promettaient encore, 44 jours après l'assermentation du Conseil des ministres, qu'elles seraient publiées « bientôt ».

Les diversions se succèdent rapidement et la dernière en date est que, même dans les rangs du Parti libéral, personne ne s'oppose à ce que l'on parle de remplacer le premier ministre le plus tôt possible.

La situation ne peut être expliquée par un penchant personnel, par le narcissisme ou le manque de substance du premier ministre. L'explication se trouve dans les structures mêmes du système démocratique dominé par les partis, qui n'est tout simplement pas représentatif du peuple, car il représente des intérêts privés étroits qui sont habilités à dominer et à maintenir le peuple sous contrôle. L'état de décrépitude de toutes les institutions, structures et agences de la société civile, qui sont censées représenter la société civile – depuis les partis cartellisés jusqu'aux notions de responsabilité ministérielle qui ne sont plus pratiquées –, fait en sorte que le discours politique a disparu pour être remplacé par une chasse aux scandales qui mène dans des voies sans issue. Tout cela pour détourner l'attention des enjeux qui sont devenus les plus importants aujourd'hui : par qui sont prises les décisions et comment obliger les forces corrompues qui prennent ces décisions dans leurs propres intérêts à rendre des comptes.

Partout dans le monde, les peuples sont assaillis par le pouvoir d'instances décisionnelles et consultatives néolibérales établies aux niveaux national et international. Le Canada n'est pas le seul pays à constater que son Parlement n'est pas pertinent dans la prise de décisions sur la direction du pays. C'est un grave sujet de préoccupation pour tous les peuples du Canada et du monde qui se battent pour la dignité du travail, pour une solution à la crise qui paralyse l'environnement social et l'environnement naturel et pour mettre fin aux dangers de nouvelles guerres et aux ravages qu'elles laissent dans leur sillage. Nous sommes une seule humanité, qui mène une seule lutte pour le droit d'être – comme nous le définissons nous-mêmes, ensemble.

Le fait que le Parlement n'ait plus rien à voir avec les décisions qui affectent nos vies marque la fin des formes de gouvernement de parti et le début de quelque chose d'autre. Assurons-nous que ce qui vient favorise les intérêts des peuples du Canada et du monde, et non les intérêts privés étroits qui se battent pour tout contrôler et tout soumettre à leurs besoins.


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 15 - 12 décembre 2021

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