Le traitement illégal et cruel des réfugiés haïtiens


Le campement haïtien sous le pont du Del Rio, au Texas, septembre 2021

Dans un mémo interne daté du 2 octobre, Harold Koh, conseiller juridique du département d'État américain, a qualifié d'« illégale » et d'« inhumaine » l'utilisation de l'autorité de santé publique connue sous le nom de Titre 42 et, par conséquent, il abandonne son rôle au sein de l'administration Biden.

Harold Koh a expliqué que lorsque l'administration Trump a émis son premier décret présidentiel en vertu du Titre 42 en mars 2020, pendant la pandémie croissante de COVID-19, « c'était la première fois que le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) invoquait son autorité en vertu de ce statut. Ce décret extraordinairement large ‘suspendait le droit d'introduire aux États-Unis certaines personnes en provenance de pays où existe une maladie transmissible pouvant être mise en quarantaine', mais limitait cette suspension aux personnes voyageant depuis le Canada ou le Mexique.' Avec le Titre 42, le département de la Sécurité intérieure (DHS) est devenu responsable de l'application du décret à la frontière. ‘Mais l'ampleur et la mise en oeuvre ultérieure de l'autorité en vertu du Titre 42, a poursuivi Harold Koh, soulève maintenant des préoccupations importantes quant à savoir si les États-Unis respectent leurs obligations contraignantes en vertu du droit international' ».

Harold Koh a indiqué qu'il a passé une grande partie de sa carrière juridique à chercher à s'assurer que les États-Unis respectent leurs obligations de non-refoulement en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (CCT), et du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés (Protocole sur les réfugiés), qui modifie et intègre les termes de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (Convention sur les réfugiés). La Convention contre la torture, a-t-il souligné, interdit aux États parties d'expulser, de refouler ou d'extrader une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. Il a ajouté que la Convention sur les réfugiés, sous réserve de certaines exceptions, interdit aux États parties d'expulser ou de renvoyer des réfugiés vers « les frontières de territoires » où leur vie ou leur liberté serait menacée pour l'un des motifs désignés.

Harold Koh a également souligné que la mise en oeuvre actuelle par l'administration Biden de l'autorité en vertu du Titre 42 « continue de violer notre obligation légale de ne pas expulser ou renvoyer (‘refouler') les individus qui craignent la persécution, la mort ou la torture, en particulier les migrants fuyant Haïti » et a déclaré que ses préoccupations « n'ont été que renforcées par les récents événements tragiques » dans ce pays.

Les expulsions en vertu du titre 42, a-t-il dit, « sont actuellement exécutées pour renvoyer des familles et des adultes célibataires mexicains, guatémaltèques, honduriens et salvadoriens dans leur pays d'origine et, plus récemment, des Haïtiens en Haïti. »

Citant les statistiques de l'agence de la Protection des douanes et des frontières des États-Unis (CBP), Harold Koh a révélé que près de 700 000 personnes ont été expulsées en vertu du Titre 42 depuis février de cette année, et que rien qu'en août dernier, 91 147 personnes ont été expulsées de force des États-Unis.

L'ancien conseiller juridique a également attiré l'attention sur l'existence de « rapports troublants selon lesquels certains migrants n'ont même pas été informés de l'endroit où ils étaient emmenés lorsqu'ils ont été placés sur des vols d'expulsion, n'apprenant qu'à l'atterrissage qu'ils avaient été renvoyés dans leur pays d'origine ou dans un lieu où ils risquaient d'être persécutés ou torturés, c'est-à-dire, précisément l'acte de refoulement qui est interdit par la CCT et la Convention sur les réfugiés ».

Il n'y a pas non plus de base, a-t-il noté, pour défendre les expulsions en vertu du Titre 42 selon le motif que l'exception de « danger pour la sécurité » de la Convention sur les réfugiés s'applique ou permet au gouvernement américain d'exclure des individus pour des raisons de santé publique. Même l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), a-t-il ajouté, « a expliqué dans sa référence juridique de mars 2020 sur la réponse à la COVID-19 que les mesures d'entrée des États ne devraient pas empêcher les personnes de demander l'asile face à la persécution et que les États ne peuvent pas refuser l'entrée aux personnes risquant d'être refoulées ».


Les mauvais traitements des réfugiés haïtiens à Del Rio, Texas, septembre 2021

Harold Koh a également informé que le 17 septembre, 71 organisations de la société civile aux États-Unis ont envoyé une lettre conjointe au président Biden, au secrétaire à la Sécurité intérieure Mayorkas et au procureur général Garland au sujet du Titre 42, appelant l'administration « à cesser immédiatement d'appliquer, de défendre et de promouvoir les politiques illégales et cruelles de l'administration Trump qui nuisent aux familles et aux personnes en quête de protection et renforcent la rhétorique xénophobe en traitant les personnes en quête de protection comme des menaces ».

La poursuite des vols vers Haïti en vertu du Titre 42, a-t-il noté, est particulièrement injustifiable, en raison des « conditions extraordinaires et temporaires » qui « empêchent ses ressortissants de revenir en toute sécurité ». Le statut de protection temporaire (SPT) s'applique actuellement aux Haïtiens déjà présents aux États-Unis à partir du 30 juillet 2021, quel que soit leur statut d'immigration. La désignation du SPT aux Haïtiens, annoncée en mai, invoquait « de graves problèmes de sécurité, des troubles sociaux, une augmentation des violations des droits humains, une pauvreté dévastatrice et un manque de ressources de base, qui sont exacerbés par la pandémie de COVID-19. C'était avant que l'assassinat du président Moïse ne plonge le pays dans une instabilité politique encore plus grande, le tremblement de terre dévastateur du 14 août 2021 et la dépression tropicale Grace du 16 août 2021 », a-t-il noté.

Harold Koh a également cité le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, qui note qu'« Haïti continue de se remettre de l'assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet et de l'escalade de la violence des gangs qui a touché 1,5 million de personnes et déplacé 19 000 personnes dans la région métropolitaine de Port-au-Prince depuis juin. » Le rapport indique également : « Quelque 4,4 millions de personnes, soit près de 46 % de la population, sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, dont 1,2 million de personnes en situation d'urgence ... et 3,2 millions de personnes en situation de crise.... On estime que 217 000 enfants souffrent de malnutrition aiguë modérée à sévère. »

Entre autres, Harold Koh a proposé que l'administration Biden suspende immédiatement tous les vols à destination d'Haïti en vertu du Titre 42 « en raison des conditions humanitaires désastreuses qui y règnent ».


Manifestation à Boston, 24 septembre 2021 contre l'expulsion des Haïtiens

(Politico. Photos : N. Conway, ajplus, redfishstream, L. Rouijeune)


Cet article est paru dans

Volume 51 Numéro 12 - 17 octobre 2021

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