La Cour suprême des États-Unis sape ses propres règles
- Voice of
Revolution -
Rassemblement à l'extérieur de la
Cour suprême des États-Unis, 2 octobre 2021
Le
1er septembre, le jour même de l'entrée en vigueur de la loi du Texas
interdisant tout avortement après six semaines, la Cour suprême a décidé
à 5 contre 4 qu'elle n'interviendrait pas pour bloquer la loi. Elle ne
s'est pas prononcée sur la constitutionnalité de la loi, qui est
maintenant
contestée devant les tribunaux inférieurs. De nombreuses poursuites ont
été intentées contre la loi du Texas, mais celle-ci l'a été par le
président Biden et le ministère de la Justice des États-Unis. L'action
de Joe Biden montre que, si la Cour suprême agit généralement comme un
bras de l'exécutif,
qui défend ses pouvoirs, le conflit entre les cercles dirigeants et le
dysfonctionnement des institutions existantes est tel que la Cour agit
parfois aussi en faveur des factions dirigeantes qui ne sont pas au
pouvoir. Cela montre également le conflit croissant entre les États et
le gouvernement
fédéral.
La décision de la Cour suprême a été prise par le biais de ce que
l'on appelle le « shadow docket » (un registre de l'ombre qui est
l'utilisation d'ordonnances d'urgence et de décisions sommaires sans
plaidoirie). C'est une pratique qui sape les propres règles de la Cour
suprême. Dans ce cas,
cela signifiait qu'il fallait trancher des questions importantes avec
une décision précipitée, sans un exposé complet ni plaidoirie orale, y
compris les directives des décisions des tribunaux inférieurs, qui
n'avaient pas encore eu lieu. Comme l'a dit la juge Elena Kagan dans son
opinion dissidente,
« la décision d'aujourd'hui illustre à quel point les décisions de la
Cour relatives au 'shadow-docket' peuvent s'écarter des principes
habituels de la procédure d'appel ». Elle a ajouté qu'une telle décision
« a de grandes conséquences ». Elle a déclaré que la décision a été
prise à la hâte et
seulement après un examen « très superficiel » des soumissions des
parties concernées. La décision de ne pas agir face à une «
réglementation manifestement inconstitutionnelle en matière
d'avortement, soutenue par un régime d'application totalement inédit »,
n'a pas été expliquée ou justifiée par
la décision de la majorité. Elle conclut : « À tous les égards, la
décision de la majorité est emblématique d'un trop grand nombre de
décisions prises dans l'ombre par cette cour – qui deviennent chaque
jour plus déraisonnables, incohérentes et impossibles à défendre ».
Il
est clair que les juges eux-mêmes sont préoccupés par le fait que la
Cour sape ses propres règles et crée un précédent qui fait de ces
décisions « sommaires » et « non-motivées » la norme. Nombreux sont ceux
qui considèrent déjà que la Cour est devenue si politisée que, comme le
Congrès et la
présidence, elle a perdu toute crédibilité aux yeux du public. Elle
n'est pas un défenseur de l'état de droit, mais de son affaiblissement, y
compris de l'affaiblissement de ses propres règles et normes.
Les commentaires supplémentaires des juges dissidents le confirment.
La juge Sonia Sotomayor a écrit dans son opinion dissidente : « Face à
une demande d'interdire une loi manifestement inconstitutionnelle,
conçue pour empêcher les femmes d'exercer leurs droits constitutionnels
et pour se
soustraire à l'examen judiciaire, une majorité de juges a choisi de
faire l'autruche ». Elle a ajouté : « La Cour ne devrait pas se
contenter d'ignorer ses obligations constitutionnelles de protéger non
seulement les droits des femmes, mais aussi le caractère sacré de ses
précédents et de l'état de
droit. »
Le juge en chef Roberts a écrit qu'il aurait bloqué la loi pendant
que les appels se poursuivaient. Il a déclaré que « l'assemblée
législative du Texas a imposé une interdiction des avortements après
environ six semaines, puis a essentiellement délégué l'application de
cette interdiction à la
population en général. La conséquence souhaitée semble être d'écarter
l'État de la responsabilité de la mise en oeuvre et de l'application du
régime réglementaire ».
La
loi du Texas est conçue pour attiser les passions et monter les gens
les uns contre les autres tout en laissant l'État s'en tirer à bon
compte. Elle interdit aux fonctionnaires de l'État de l'appliquer et
permet aux particuliers de poursuivre toute personne qui pratique
l'avortement ou qui «
l'aide et l'encourage ». La patiente ne peut pas être poursuivie mais
les médecins, les membres du personnel des cliniques, les conseillers,
les personnes ou les organisations qui contribuent à payer la procédure,
et même le chauffeur qui conduit une patiente à une clinique
d'avortement peuvent tous
être poursuivis. Les personnes qui intentent de telles poursuites n'ont
pas besoin de vivre au Texas, d'avoir un lien quelconque avec
l'avortement ou de démontrer qu'elles subissent un quelconque préjudice.
De cette façon, l'État n'a aucune responsabilité et les instigateurs
des poursuites ont les
coudées franches pour s'en prendre plus largement et plus arbitrairement
aux femmes et aux travailleurs de la santé.
Le 6 octobre, un juge fédéral a déclaré que la loi texane (S.B. 8)
était inconstitutionnelle et a interdit aux juges et aux greffiers des
tribunaux de l'État d'accepter toute action en justice découlant de
cette loi. Le juge Pitman a également ordonné à l'État de publier son
arrêt sur tous les «
sites web des tribunaux destinés au public, avec une instruction visible
et facile à comprendre indiquant au public que les tribunaux du Texas
n'accepteront pas les poursuites intentées en vertu de la loi S.B. 8 ».
Il a statué que l'État et « toute autre personne ou entité agissant en
son nom »
étaient empêchés d'appliquer la loi, déclarant que « cette Cour
n'approuvera pas un jour de plus cette privation offensive d'un droit
aussi important ».
Le Texas a immédiatement fait appel auprès de la Cour d'appel du 5e
circuit, connue pour ses décisions réactionnaires. Comme le soulignent
les nombreuses personnes qui manifestent et se battent contre les
attaques des États et du fédéral contre le droit aux soins de santé, la
lutte pour les
droits se poursuivra et est loin d'être terminée. Ce qui ressort
également, c'est que les décisions existantes de la Cour suprême et ses
propres normes et règles sont sapées. Il n'y a pas d'état de droit ou
d'ordre fondé sur des règles lorsque les règles et les lois sont si
facilement violées.
Cet article est paru dans
Volume 51 Numéro 12 - 17 octobre 2021
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